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Watchmen - les gardiens

Par Rob Gordon
Watchmen - les gardiensUne fois n'est pas coutume : pour apprécier pleinement Watchmen, mieux vaut avoir lu - récemment si possible - le pavé d'Alan Moore et Dave Gibbons, oeuvre-somme sur une bande de super-héros vieillissants à qui on veut manifestement du mal. Qui n'a jamais mis le nez dans le comic aura sans doute bien du mal à se repérer dans ce film foisonnant, complexe, qui refuse la facilité afin de se conformer au mieux au matériau de base. C'est la grande qualité du film de Zack Snyder : son extrême fidélité. Le travail d'adaptation semble s'être résumé à un dégraissage conséquent destiné à faire entrer quatre cents pages sacrément denses dans un film de moins de trois heures. À l'arrivée, Watchmen le film est littéralement une mise en image de la BD, respectant tout la ligne narrative, n'oubliant aucun rebondissement, ne cherchant jamais le raccourci destiné à raccrocher le spectateur un peu paumé. À une fin près (la même, mais en différent), c'est une copie conforme et très fidèle. Trop peut-être : s'il n'est pas clairement indiqué, on sent le poids du chapitrage, notamment parce que l'on passe parfois dix minutes avec le même personnage avant de revenir aux autres. Cela provoque un léger déséquilibre, plus criant à l'écran qu'à l'écrit, mais n'affecte en rien le rythme et la personnalité de l'ensemble.
Le rythme, parlons-en : contrairement à une grande majorité de films de super-héros, Watchmen ne raconte pas un combat mené contre un gros vilain armé de mauvaises intentions. C'est la quête, parfois introspective, de quelques êtres à bout de souffle qui cherchent pourquoi on leur veut du mal. Le tout agrémenté de flashbacks, de monologues intérieurs, de digressions, comme un journal intime collectif. De l'action ? Il y en a, et sanglante en plus ; mais que personne n'espère se gaver de morceaux de bravoure, de poursuites en Watchmen-mobile et de duels ultimes avec le(s) méchant(s). De ce fait, qui n'est pas happé par l'univers risque de trouver le temps sacrément long : il faut faire l'effort de s'attacher à ces personnages bien sombres et de plonger dans cette ville poisseuse et sordide. Ce qui n'empêche pas l'humour : pour dédramatiser l'importance suprême de l'adaptation d'une oeuvre si vénérée, Snyder se permet d'en injecter pas mal, de façon parfois incongrue, comme une série de petites irrévérences destinées à rappeler que tout cela n'est que du cinéma. Cela n'a pas du plaire à Alan Moore, qui doit s'arracher la barbe devant des scènes comme celle où le Spectre Soyeux et le Hibou lutinent sur le Hallelujah de Leonard Cohen. De quoi faire s'évanouir un ou deux fans intégristes.
Globalement, donc, c'est un sans-faute : comme The dark knight l'été dernier, Watchmen est un film noir et politique, la différence étant qu'ici le contexte est on ne peut plus réel. Le film se déroule en effet sur fond de guerre froide et de menace nucléaire, l'ensemble étant très intimement lié à la destinée des Watchmen. Si dégraissage il y a eu (on passe un peu vite sur les opinions politiques douteuses de certains des prétendus héros), il a heureusement été pratiqué avec parcimonie, et l'ensemble a une résonance très actuelle (remplaçons le bloc soviétique par l'Iran, et le tour est joué). On aboutit parfois à une sorte de réalisme cru, dû à la haute qualité technique et artistique du film, qui rend tout extrêmement crédible.
Car Watchmen est aussi une réussite plastique, Snyder ayant su dilapider intelligemment son confortable budget. Mise en scène très carrée (ça manque tout de même d'un peu de génie), effets visuels irréprochables, costumes et décors idem. Et un casting qui, malingre sur le papier, révèle son vrai potentiel. Parmi les plus performants (ils le sont tous), Jackie Earle Haley est un fabuleux Rorschach et Malin Akerman un Spectre félin et explosif. Quant à Billy Crudup, bien relayé par les effets spéciaux, il campe un Dr. Manhattan totalement convaincant alors que ce n'était pas gagné : pensez donc, un type tout bleu, qui se balade souvent tout nu (oui, VRAIMENT tout nu) et peut changer de taille comme il l'entend... On y croit presque tout le temps, sauf peut-être lorsqu'il part désintégrer du Viêt-cong au son de la Chevauchée des Walkyries. Un petit côté too much qui est également l'une des marques de fabrique du film.
Sauf que le too much, le kitsch et le rococo étaient des éléments essentiels pour réussir une bonne adaptation d'un comic se déroulant principalement dans les années 70-80, et se caractérisant par des couleurs criardes et très souvent hideuses... Alors oui, à plus d'un endroit, l'imagerie du film peut sembler totalement ringarde, mais ce parti pris devient rapidement très agréable à condition de l'accepter dès le départ. D'une façon générale, il faut produire un certain effort pour aimer ce Watchmen, mais celui-ci vous le rendra au centuple. Profond, intense, multiple, attachant : voilà un film tout sauf fade, qui ne laissera personne indifférent, mais auquel manque il est vrai ce gros supplément d'âme et de tragique qui fait les chefs d'oeuvre. Étant donné les innombrables risques engendrés par ce projet ô combien casse-gueule, on se contentera allègrement de cet enthousiasmant concentré de pop culture.
8/10

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