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Harvey Milk, du petit lait pour les cinéphiles…

Publié le 08 mars 2009 par Boustoune


Harvey Milk - 7 Peu de gens, en France tout du moins, connaissent Harvey Milk dont le film de Gus Van Sant raconte l’histoire tragique. Cet activiste américain a pourtant marqué l’histoire politique des Etats-Unis en devenant le premier élu ouvertement gay. Et sous son impulsion ont été accomplies des avancées majeures dans la lutte contre les discriminations frappant la communauté homosexuelle.
Il s’était pourtant engagé sur le tard en politique, à l’âge de quarante-deux ans, pour être précis. Le déclic s’est produit le jour de son quarantième anniversaire et la rencontre avec Scott Smith un nouvel amant plus jeune que lui, moins coincé, et assumant mieux son homosexualité aux yeux des autres. Milk a alors décidé de changer de vie : il a quitté son travail, adopté un look hippie et quitté New-York pour s’installer avec Smith à San Francisco, qui abritait alors une importante communauté gay.
Sa petite boutique de vente d’appareils photos est rapidement devenue le lieu de ralliement de tous les homosexuels du quartier, et Milk s’est imposé assez rapidement comme leur leader dans la lutte contre les injustices et la discrimination. Assez logiquement, cet engagement l’a conduit à se présenter à plusieurs reprises à des élections locales, sans succès. Jusqu’au jour où le mode de scrutin a été repensé et que les conseillers municipaux (supervisors) ont été désigné par quartiers…
Milk est alors devenu le premier promoteur de la cause homosexuelle et s’est empressé de faire voter une loi protégeant les droits des citoyens gays et lesbiens. Il a aussi combattu farouchement les projets de certains groupes ultraconservateurs destinés à exclure tous les enseignants homosexuels pour soi-disant protéger les enfants…
Cet engagement lui a valu bien des inimitiés, dont celle du conseiller municipal Dan White. Ce dernier, humilié par les succès de Milk et son influence grandissante auprès des autres élus, a fini par craquer et a abattu son confrère, ainsi que le maire George Moscone, le 27 novembre 1978.
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On comprend ce qui a pu pousser Gus Van Sant à réaliser ce biopic. Le cinéaste, qui a depuis longtemps révélé son homosexualité, milite pour les droits des gays et lesbiens et ce film est évidemment l’occasion de manifester son soutien à la cause. Mais la raison est aussi – et surtout – artistique, à chercher du côté de l’œuvre globale du cinéaste.
Les personnages des films de Van Sant évoluent souvent dans la marge (de Mala Noche à Drugstore cowboy), ou se retrouvant à un moment-clé de leur existence, à la croisée des chemins (Will Hunting, A la rencontre de Forrester) ou sont confrontés à des tourments existentiels, des dilemmes moraux (Gerry, Last Days, Paranoïd Park).
Harvey Milk concentre toutes ces thématiques. Le personnage est un homme ordinaire, assez effacé, discret, qui se retrouve propulsé à la tête d’un mouvement important, et qui se voit confronté aux responsabilités et aux sacrifices que cela implique. Milk est une personnalité complexe comme les affectionne Van Sant. C’est un homme volontaire, bien décidé à se sacrifier pour ses idées et la cause qu’il défend, faisant passer le collectif avant tout. Mais c’est aussi un ambitieux, un type narcissique et roublard qui sait manipuler pour arriver à ses fins (en cela, il se rapproche un peu du personnage joué par Nicole Kidman dans Prête à tout). Il est à la fois un être discret, fragile, en mal d’amour, et un impitoyable animal politique, aimant l’exposition médiatique, la foule et les débats, où il peut user de son sens de la répartie. Milk est en fait une sorte de comédien de génie, comme le pressent son amant au début du film, alors qu’il n’est encore qu’un employé de bureau effacé et timide : « Harvey, tu as besoin d’une plus grande scène pour t’exprimer », et comme le souligne Van Sant dans son final, faisant le parallèle entre la mort de Milk et celle de la Tosca dans l’opéra de Puccini.
Le politicien s’attendait d’ailleurs à cette issue fatale. Il avait reçu plusieurs menaces de mort et se sentait menacé. Si White ne l’avait pas lui-même exécuté, il est probable qu’il aurait été la cible de groupuscules d’extrême droite ou de fanatiques intolérants. Il avait d’ailleurs enregistré un texte à rendre public après son hypothétique assassinat.
Oui, il pressentait sa mort et la savait peut-être nécessaire pour faire encore avancer la cause qu’il défendait. En tombant sous les balles de White, Milk est devenu une sorte de martyr. Son décès brutal a contribué à réveiller les consciences et a probablement plus fait pour les droits de la communauté gay que des années de débats et de manifestations.
Il le savait et l’acceptait, car le plus grand sacrifice n’a probablement pas été sa propre vie, mais la perte des gens qui l’aimaient et qu’il a dû délaisser pour accéder au sommet : sa rupture avec Scott Smith – probablement son grand amour – et le suicide de son dernier compagnon, Jack Lira. Tous deux n’arrivaient plus à supporter cette constante mise en lumière, cette foule qui entourait le politicien, l’absence d’intimité et l’absence de Milk tout court… C’est cette amertume, cette douleur qui enveloppe le film et qui le rend particulièrement poignant.
Harvey Milk, du petit lait pour les cinéphiles…

Il y a aussi l’interprétation de Sean Penn, parfait dans le rôle-titre. Il s’est véritablement glissé dans la peau du personnage, sans en faire des tonnes, sans viser la performance d’acteur à tout prix. Il est parvenu, avec un mimétisme étonnant, à reproduire les mimiques, la gestuelle et la façon de parler du personnage réel, retranscrivant également son charisme.
Son oscar de meilleur acteur pour ce rôle n’a rien de scandaleux, d’autant que l’acteur n’a pas cherché à tirer la couverture à lui, laissant de la place aux autres comédiens pour s’exprimer. Eux aussi sont très ressemblants aux personnes qu’ils incarnent. D’Emile Hirsch à James Franco, de Victor Garber à Diego Luna, tous sont impeccables. Gus Van Sant a pris soin de faire exister chaque personnage, d’apporter à chacun l’épaisseur nécessaire, même le temps de quelques scènes.

Harvey Milk, du petit lait pour les cinéphiles…
 
Harvey Milk, du petit lait pour les cinéphiles…

Un rôle, cependant, semble avoir été privilégié, mis en avant par le cinéaste, celui de Dan White, joué par Josh Brolin. Lui aussi porte des thématiques chères à Gus Van Sant : le moment où un personnage arrive au point de rupture et laisse éclater la violence qu’il contenait jusqu’alors ; l’analyse des motivations d’un meurtre – ou d’un suicide, comme dans Last Days ; le malaise et les frustrations qui y conduisent. Ce n’est pas un hasard si, la séquence du double assassinat suit le personnage de White un peu à la façon du héros meurtrier d’Elephant
Pour quelles raisons White a-t-il assassiné Milk ? Par homophobie ? Par rejet de ses idées progressistes ? Par frustration sexuelle (lors d’une scène, Milk semble laisser entendre que White est un homosexuel refoulé) ? Peut-être, simplement, parce qu’il sentait que Milk lui était supérieur politiquement, meilleur tacticien, meilleur orateur et plus à l’aise avec les compromis que lui… Difficile, quand on vit constamment dans l’opposition d’idées et les rapports de force, dans la séduction perpétuelle, de supporter la défaite et d’accepter de se retrouver dans l’ombre d’une figure plus imposante. C’est peut-être le lot de n’importe quelle personnalité publique et médiatique…
Harvey Milk, du petit lait pour les cinéphiles…
 
Harvey Milk, du petit lait pour les cinéphiles…

Le vrai sujet du film est là. Plus qu’un film sur la cause homosexuelle, Harvey Milk est une oeuvre sur l’engagement politique, ses conséquences douloureuses, les sacrifices qu’il impose, les frustrations et les joies qu’il génère, les compromissions qu’il exige.
Van Sant fait l’éloge de la force du collectif – ici Milk et l’importante communauté qui le soutenait – par rapport à l’individualisme – incarné d’une certaine manière par White. Son film illustre également la complexité du système américain, le lobbying et les pressions exercées par chacun des camps, les accords secrets, les alliances de confort, les mises en scène médiatiques. Pas franchement glorieux, mais ce sont des outils à maîtriser quand on veut obtenir un certain pouvoir et faire avancer ses idées…
On peut d’ailleurs appliquer cette réflexion au style employé par le cinéaste, mélange d’expérimentations visuelles très « art et essai », de reconstitution historique très soignée, mais aussi d’artifices propres au cinéma hollywoodien, qui génèrent de l’émotion facile et permettent donc de toucher un public un peu plus large. Revers de la médaille, le film n’échappe pas à une certaine emphase dramatique qui a pour effet de le plomber un peu au final.
Harvey Milk n’en reste pas moins une belle leçon de cinéma, qui pose des questions intéressantes et qui ouvre les regards. L’homosexualité est moins taboue aujourd’hui que dans les années 1970, les mœurs ont un peu évolué, mais l’intolérance persiste. En témoigne cette motion qui vient d’être votée par l’état de Californie, lieu même des exploits de Milk et ses partisans, interdisant le mariage homosexuel. Le discours prononcé par Sean Penn aux Oscars prend alors tout son sens, et le film de Gus Van Sant est plus que jamais d’actualité, et d’utilité publique…
Note :
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Tags : Harvey Milk, Gus Van Sant, Sean Penn, Dan White, engagement politique, homosexualité, lutte, assassinat, biopic

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