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Jacques Genin - Chocolatier

Par Toinard

Planqué dans un atelier où il travaillait pour les autres, ce fondeur en chocolat est sorti de sa tanière en décembre dernier pour dévoiler au grand public, l’immensité de son talent. Paris comptait de grands noms du chocolat comme Patrick Roger, Jean-Paul Hévin ou Pierre Marcolini, il faudra désormais ajouter un certain Jacques Genin.

« J’suis au fond d’la mine, j’pousse des wagonnets ».

Ces paroles, extraites de la bande originale du film « Vive les Femmes », Jacques Genin aurait pu les faire siennes dans les années 70. A douze ans, quand tous les Vosgiens de son âge étaient sur les bancs de l’école pour apprendre les divisons à deux chiffres, Jacques travaillait à l’abattoir. Au programme, découpe de porc, de bœuf, de veau. Pas franchement l’endroit rêvé pour un bonhomme haut comme trois pommes qui rêvait de devenir chercheur. Mais Jacques est en rupture avec la société. Pour ne pas penser à sa condition, le travail comme seul remède. Un enfer qui durera deux ans et qui fera de lui, un écorché vif.

« Là où vous irez, j’irai ».

Baluchon sur l’épaule, quelques centimes dans le fond d’une poche, Jacques quitte les Vosges sans se retourner, le pouce dressé sur le bord d’une route en pleine nuit. Un chauffeur de poids lourd s’arrête. « Là où vous irez, j’irai ». Ce sera Paris, ses petits boulots, ses nuits sans sommeil à droite et à gauche, ses paies heureusement quotidiennes dans une boîte de jazz à Châtelet et une place de commis à l’office puis serveur à la brasserie La Méthode dans le 5e. Jacques avance dans la vie, de place en place qu’il quitte sur des coups de tête, au propre comme au figuré, jusqu’au milieu des années 80 où il prend la direction de l’Auberge de Beauregard nichée non loin des Ulis. Son associé en cuisine, Jacques en salle et à la gestion des affaires courantes. L’idylle dure deux ans. Les portes claquent, les noms d’oiseaux fusent, Jacques s’éclipse la rage au ventre et ouvre son propre restaurant, rue de Tournon dans le 6e, le Basic. Cette fois, il est en cuisine et pas peu fier pour un autodidacte de récolter les louanges de la chronique gastronomique. Les grandes guides le repèrent, lui attribuent des notes qui dépassent ses espérances et disent de sa cuisine qu’elle est limpide. Un sourire, le premier depuis des lustres, se dessine sur le visage fermé de ce trentenaire. Un client lui offre une importante somme d’argent pour céder son pas-de-porte. il refuse. Le client revient à la charge. Jacques cède et le Basic devient « Au Nom de la Rose ».

De la cuisine à la pâtisserie

A La Maison du Chocolat, il décroche un poste de chef pâtissier sans jamais avoir fait un éclair au chocolat de sa vie. Sans être une révélation, ce métier le passionne même s’il comprend que la pâtisserie reste dans l’ombre du chocolat. Pour que cette situation ne perdure pas, il signe de savoureuses tartes au chocolat, tartes au citron et chaque année, la traditionnelle galette des rois. Le maître chocolatier, Robert Linxe, qu’il surnomme affectueusement le « Bocuse du Chocolat », goûte et approuve. Religieuses, Paris-Brest et millefeuilles n’ont plus aucun secret pour Jacques qui se réalise enfin. Il restera dans cette illustre maison pendant quatre ans sans jamais toucher au chocolat.

Dans l’ombre des plus grands

Parce qu’il ne doit rien aux autres, parce qu’il a du mal à faire confiance à ceux qui l’entourent, Jacques s’échappe une fois encore pour monter son propre atelier de chocolat, rue Saint-Charles dans le 15e. Le grand public n’y a pas accès d’où la surprise pour nombre d’esthètes de découvrir ce chocolatier en décembre 2008 quand il s’installe dans le Marais. Il aura passé quinze ans dans l’ombre des plus grands, travaillant pour les chefs, les hôtels de luxe, les épiceries fines ou les agences d’événementiel dans un laboratoire de 23 m2 avec une dizaine de collaborateurs. Les débuts sont difficiles, il ne maîtrise pas le chocolat mais d’essai en essai, il finit par dompter la matière, se plongeant dans les livres à posteriori pour comprendre là où le bât blesse. Comme depuis son départ des Vosges, il s’accroche. Ses orangettes et ses bonbons au gingembre confit sous le coude, il démarche à l’instinct et avec abnégation, enrichit son carnet d’adresses. Indirectement, il connaît son heure de gloire. Les clients ne le savent pas mais les chocolats qui s’avancent en fin de repas en compagnie des mignardises sont de lui. Tous louent le fondant des caramels, la finesse des ganaches, le dosage parfait entre chocolat et arôme du fruit, de l’épice ou de l’herbe, l’équilibre du goût, l’harmonie des saveurs.

2008, l’aboutissement du plaisir

Depuis décembre dernier, Jacques Genin a donc mis le nez dehors, montré sa frimousse au plus grand nombre. Il aura fallu attendre son 50e anniversaire pour qu’enfin, il admette que son talent devait être étalé au grand jour. Il a fallu toute la persuasion de son entourage pour qu’il accepte de se rendre dans cette maison de la rue de Turenne. Coup de foudre et des travaux qui mettent à jour de superbes pierres, un mur de brique et une arche. Au premier étage, un laboratoire de 400 m2 sans chambre froide car c’est la particularité de Jacques Genin, ne proposer que des chocolats frais dont la durée de vie n’excède pas dix jours. Au rez-de-chaussée, un espace de vente luxueux sans être prétentieux et un salon de thé agrémenté de quelques fleurs et d’un mur de roses sculptées comme pour rendre hommage à ce client qui un jour lui a indirectement botté les fesses pour qu’il quitte son restaurant et entre dans le monde de la gourmandise sucrée et cacaotée. Derrière les comptoirs, de la pâtisserie de restauration, toujours en petit nombre car préparée à la demande, du Paris-Brest à la tarte aux framboises en passant par le millefeuille et le chou à la crème. A côté, des friandises et confiseries type nougats, pâtes de fruits ou guimauves à la vanille, au piment d’Espelette, à la rose ou à la violette. Et enfin, une vingtaine de bonbons au chocolat sérigraphiés qui patientent avant de rejoindre d’élégantes boîtes argentées. S’il ne fallait en choisir qu’un pour comprendre la finesse du travail de ce fondeur en chocolat, ce serait assurément le « Menthe amante » qui renvoie au terminus des prétentieux l’After Eight de nos vieilles tantes qui feraient mieux de se mettre aux Hespérides, une ganache chocolat au lait au pamplemousse ou au Thé Toi, ganache au chocolat noir au thé Wu Long. Jacques l’a promis, il ne partira pas. Nos palais l’en remercient d’avance.

Chocolaterie – Salon de Thé Jacques Genin. 133, rue de Turenne. 3e. Tél. : 01 45 77 29 01.

 

Jacques Genin sur le grill :

Un restaurant : L’Arpège d’Alain Passard. 84, rue de Varenne. 7e. Tél. : 01 45 51 47 33.

Un bistrot : Chez Michel. 10, rue de Belzunce. 10e. Tél. : 01 44 53 06 20.

Un champagne : Jacques Selosse.

Un vin blanc : Condrieu

Un vin rouge : Bourgogne

Un film : Le Pianiste de Roman Polanski

Un livre : Cuisine Inspirée par Ingrid Astier chez Agnès Viénot Editions

Un disque : Mozart

Un passe-temps : être dans sa cuisine

Un quartier de Paris : l’Ile Saint-Louis

Une destination de vacances : la Guadeloupe.


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