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Paul Auster, DVD Arte Vidéo et Seul dans le Noir, Actes Sud

Par Irigoyen
Paul Auster, DVD Arte Vidéo et Seul dans le Noir, Actes Sud

Je ne fais pas partie du club des inconditionnels de Paul Auster ... mais la sortie, coup sur coup, d'un DVD qui lui est consacré et de son dernier roman seraient de nature à me faire changer d'avis ...

Paul Auster, DVD Arte Vidéo et Seul dans le Noir, Actes Sud

Exercice très difficile que le documentaire littéraire ... difficile car, comme le dit ici l'écrivain, il n'y a rien à filmer ... suivre quelqu'un dans un processus de création peut vite devenir ennuyeux ... d'où l'intérêt de se promener avec l'auteur dans des lieux ayant un rapport évident avec son œuvre ... nous partons donc pour New York, une ville qui colle tellement à la peau de l'écrivain – comme à d'autres d'ailleurs - ...

Mais ici, la Grosse Pomme est celle d'avant le 11 septembre 2001 ... on y voit en effet intactes les tours du World Trade Center ... Paul Auster a donc quelques années de moins, tout comme sa femme Siri Hustvedt, écrivain également publié chez Actes Sud, dont nous partageons quelques moments d'intimité ...

Les interviews de l'auteur réalisées par un de ses collègues français, Gérard de Cortanze, sont ponctuées d'extraits de « Brooklyn Boogie » et de « Smoke », d'images d'archives du premier train traversant le Brooklyn bridge, du joueur de base-ball Jackie Robinson, ou encore de cérémonies du Ku Klux Klan ...

Il y a aussi, bien sûr, des passages de livres écrits et lus par le maître ... sans compter quelques réflexions très intéressantes sur le judaïsme et la société israélienne ainsi que sur cette attitude toute américaine qui consiste à ne pas faire attention aux autres ...

Un très joli moment donc pour tous ceux qui préféreraient entrer progressivement dans le « monde Auster » ... signalons aussi l'impressionnante maîtrise de la langue française de l'auteur que vous aurez certainement entendu ces derniers jours lors de son passage en France pour la sortie de son dernier opus ...

Paul Auster, DVD Arte Vidéo et Seul dans le Noir, Actes Sud

Si je voulais résumer « Seul dans le noir » ce qui semble une gageure – je dirais qu'un dénommé Owen Brick se retrouve en plein milieu d'une nouvelle guerre civile aux États-Unis ... lui seul peut y mettre un terme ... pour cela il doit assassiner un homme ... un homme qui a inventé cette guerre ...

On n'est même pas sûrs de son nom. Peut-être Blake. Peut-être Black. Peut-être Bloch. Mais nous avons une adresse et, s'il ne s'est pas tiré à l'heure qu'il est, tu ne devrais pas avoir de problème. On va te donner un contact en ville, tu passeras à la clandestinité, et en quelques jours tout devrait être terminé.

L'inventeur de cette guerre n'est autre que le narrateur : August Brill, ancien critique littéraire à la retraite ... il habite Brattleboro avec sa fille Myriam et sa petite-fille Katya dont l'ex petit-ami a été exécuté en Irak ... et c'est dans cette demeure que Brill, insomniaque, se met à imaginer des histoires mêlant des éléments de sa propre vie ...

L'histoire est celle d'un homme contraint à tuer l'individu qui l'a créé, à quoi bon prétendre que je ne suis pas cet individu ? Si je me mets dans l'histoire, l'histoire devient réelle. Ou bien c'est moi qui deviens irréel, une création supplémentaire de mon imagination.

Dans cette fiction inventée par August Brill on croise ainsi Virginia Blaine, un amour de jeunesse ..; on croise aussi des personnages inventés : Molly Wald, la serveuse qui n'a jamais entendu parler du 11 septembre 2001 ... et pour cause : l'événement n'a jamais eu lieu ...

Les élections de 2000 ... juste après la décision de la Cour suprême ... manifestations ... émeutes dans les principales villes ... un mouvement pour l'abolition du collège électoral ... un projet de loi rejeté au Congrès ... un nouveau mouvement ... conduit par le maire et les présidents de boroughs de la ville de New York ... la sécession ... entérinée par la législature de l'Etat en 2003 ... les troupes fédérales attaquent ... Albany, Buffalo, Syracuse, Rochester ... New York bombardée, huit mille morts ... mais le mouvement prend de l'ampleur ... en 2004, le Maine, le New Hampshire, le Vermont, le Massachusetts, le Connecticut, le New Jersey et la Pennsylvanie se joignent à l'Etat de New York pour former les Etats indépendants d'Amérique .... plus tard, la même année, la Californie, l'Oregon et l'Etat de Washington font sécession et constituent leur propre république, Pacifica ... en 2005, l'Ohio, la Michigan, l'Illinois, le Wisconsin et le Minnesota rallient les Etats indépendants ... l'Union européenne reconnaît l'existence du nouveau pays ... établissement des relations diplomatiques ... et puis le Mexique ... et puis les pays d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud ... la Russie suit, et puis le Japon ...Pendant ce temps, les combats continuent, souvent atroces, avec un nombre de morts toujours croissant ... les résolutions des Nations-Unies ignorées par les fédéraux, mais jusqu'ici pas d'armes nucléaires, lesquelles signifieraient la mort pour tout le monde des deux côtés ... Politique étrangère : aucune intervention, nulle part ... Politique intérieure : assurance santé universelle, plus de pétrole, plus de voitures ni d'avions, salaires des enseignants quadruplés (afin d'attirer vers la profession les étudiants les plus brillants), armes sous contrôle sévère, enseignement gratuit et formation professionnelle pour les nécessiteux ... le tout relevant encore du fantasme, un rêve d'avenir, car la guerre se prolonge et l'état d'urgence est encore de rigueur.

Paul Auster dénonce en fait le climat des années Bush et sa guerre « morale » - affrontement du bien contre le mal - en Irak ... pendant ces huit années, l'Amérique a semblé se détacher de ses amis, comme un invité devenu gênant, à qui l'on ose plus parler de peur de l'entendre dire tout et n'importe quoi ... j'y ai vu dans ce livre un écho au film de Wim Wenders, « Land of plenty » qui avait faire dire au réalisateur allemand vivant outre-Atlantique son incompréhension grandissante vis-à-vis d'un pays qu'il aime tant ...

Dans ce pays qui est censé être l'Amérique mais qui n'est pas l'Amérique, en tout cas pas l'Amérique que je connais.

« Seul dans le noir » est un aussi un livre sur l'isolement ... isolement d'un homme qui ne se reconnaît plus dans ses semblables et qui doit, par nécessité plus que par véritable enchantement à mon avis, créer un monde où il se sentira protégé ...

Il existe plusieurs réalités. Il n'y a pas qu'un seul monde. Il y en a plusieurs, et ils existent tous parallèlement les uns aux autres, mondes et antimondes, mondes et mondes fantômes, et chacun d'entre eux est rêvé ou imaginé ou écrit par un habitant d'un autre monde. Chaque monde est la création d'un esprit.

Isolement aussi d'un homme prenant conscience qu'il entre progressivement dans la dernière période de sa vie ... se pose alors la question du legs ... inquiétude de la transmission ...

August Brill, critique littéraire de 72 ans qui habite près de Brattleboro, Vermont avec sa fille de 47 ans et sa petite-fille de 23 ans. Le mari de la fille l'a quitté il y a cinq ans. C'est une maison d'âmes en peine, blessées, et, nuit après nuit, Brill reste éveillé dans l'obscurité et, pour essayer de ne pas ruminer ses souvenirs, il invente des histoires qui se passent dans d'autres mondes.

Livre sombre « Seul dans le noir » ? Peut-être ... mais si Paul Auster ne donne pas de recette miracle à ce que pourrait être une vie modèle il se livre ici à un véritable exercice d'inquiétude ... et qu'est-ce que l'inquiétude sinon l'antichambre de l'espérance ?


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