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Richard Andrieux, L'Homme sans lumière, Héloïse d'Ormesson

Par Irigoyen
Richard Andrieux, L'Homme sans lumière, Héloïse d'Ormesson

Richard Andrieux, L'Homme sans lumière, Héloïse d'Ormesson

« Cher monsieur,

Jeanne m'a quitté il y a maintenant trente-sept jours et trente-sept nuits.

Avant de partir, elle m'a dit qu'elle ne m'aimait plus. Comment ne pas la croire. Je pense qu'elle a rencontré quelqu'un. C'est un terrible choc pour moi, même si je savais qu'elle me quitterait un jour.

Une semaine après son départ, j'ai voulu me quitter moi aussi, mais je n'ai pas su ; la mort me fait peur. Il est probable que je finisse ma vie un peu comme vous, simplement par habitude. »

Ainsi commence le dernier roman de Richard Andrieux, succession de lettres que le narrateur, Gilbert Pastois, passe l'essentiel de sa vie à écrire à un destinataire dont il espionne régulièrement les faits et gestes ... bâtir un roman sur une « correspondance » - correspondance entre guillemets car Gilbert ne reçoit jamais de réponse – n'est pas nouveau – citons par exemple Kressmann Taylor et son très célèbre Inconnu à cette adresse - ... mais ce procédé fait mouche ici précisément parce qu'il s'agit en fait d'un monologue ...

En perdant Jeanne, Gilbert s'égare et sombre dans une vie morne, sans relief ... le seul point d'ancrage semble être cet homme, découvert dans un café, à qui il écrit à intervalles très réguliers ... vous aurez certainement remarqué mon vif intérêt pour ces romans du quotidien décrivant à merveille l'isolement de personnages se retrouvant toujours seuls face à eux-mêmes ... seuls mais préférant lutter avec le peu de force qu'il leur reste plutôt que d'envisager le pire ...

Mon corps ne servira pas de cantine aux asticots.

Dit-il vrai Gilbert lorsqu'il prétend écrire ses lettres mais ne jamais les envoyer ? Là n'est (presque) pas la question ... ce qui saisit ici le lecteur c'est la tentative quotidienne de se rattacher à quelqu'un quand tout prend l'eau autour de soi ... que tout donne le sentiment d'exister à contre-courant ...

Il y a des gens comme ça qui vous donnent l'impression que leur vie est une évidence heureuse. Comme si pour eux le seul fait de vivre, de respirer suffisait pour que chaque instant ait un sens. On dirait qu'ils n'ont besoin de rien pour se sentir bien . Comment font-ils ?

La vie n'est faite que pour les gens heureux.

Plus loin ...

J'essaie d'aller chercher un peu d'amour pour moi chez les autres.

En finissant ce roman, j'ai pensé à une citation d'André Malraux qui m'avait beaucoup marqué lorsque je l'avais lu la première fois : « s’il existe une solitude où le solitaire est un abandonné, il en existe une où il n’est solitaire que parce que les hommes ne l’ont pas encore rejoint. »

Si les hommes n'ont pas encore rejoint Gilbert c'est peut-être aussi parce que lui-même s'en tient écarté ... il reconnaît d'ailleurs pleinement sa responsabilité quand il confie à son destinataire avoir une personnalité difficile avec son entourage ... un destinataire qu'il invective régulièrement et dont il fouille la vie privée – un père qui a dénoncé des Juifs durant la guerre - ... et pourtant, il me semble que Gilbert ne mérite pas cette solitude qui le conduira tout droit à l'horreur ...

Un drame dont on se demande si finalement il ne permettra pas au narrateur de raconter enfin quelque chose de fort survenu dans son quotidien ...

Il y a des phrases formidables dans ce roman ... en ce sens, Richard Andrieux montre qu'il excelle dans la description d'un homme qui tombe ...

Qu'y a-t-il de plus beau que les souvenirs ? Plus le temps passe, et plus on peut les embellir, les déformer à souhait, sans que personne ne s'en rende compte.

Cette chute progressive est d'autant plus compréhensible que Gilbert est souvent d'une lucidité extrême ... ainsi, quand il cherche par tous les moyens à récupérer Jeanne ... il lui envoie une lettre – encore une – dans laquelle il dit avoir retrouvé une de ses bagues, alors que son ancienne compagne n'est pas du genre à oublier quoi que ce soit ...

La seule chose qu'elle ait oubliée c'est moi.

Lucidité également quand il évoque leur vie commune passée ...

A force d'arrondir les angles, elle a dû se lasser de tourner en rond.

Tourner en rond, voilà ce qui arrive à Gilbert jusqu'à ce qu'il passe à la vitesse supérieure : l'alcool, les médicaments ... et entre les deux, les locations de films porno, expédient qui lui renverra sa solitude, comme un boomerang ...

Ils s'aimaient devant mes yeux, alors j'ai commencé à m'aimer, moi aussi. C'était la première fois que je faisais ça devant un film. Je te le jure, jamais je n'en avais eu l'idée.

Je n'ai été bien qu'un instant. Après, dès que le désir est passé entre ma main, je me suis senti très seul. J'ai éteint la télé, et je suis allé me coucher.

En pensant à Jeanne, dans mon lit, j'ai pleuré comme un enfant.

Il y a dans ce dernier opus de Richard Andrieux une montée en puissance vertigineuse qui vous empêche de lâcher l'histoire avant d'être arrivé à la dernière page ... il me semble que, ensuite, on se regarde plus ses congénères de la même manière ... parce que derrière chacun d'entre eux se cache peut-être un Gilbert Pastois ... qui peut sombrer si personne n'y prend garde ...


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