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Eau : la privatisation est-elle vraiment une mauvaise solution ?

Publié le 16 mars 2009 par Unmondelibre

David Bonnardeaux – Le 16 mars 2009. La privatisation de l’eau est souvent dépeinte comme moralement répréhensible. Mais il faut sans doute regarder au-delà de l’idéologie et du sentimentalisme. Les pays pauvres, où le manque d’eau et d’infrastructures d’évacuation tue presque deux millions de personnes par an, ont en effet un besoin crucial d’alimentation en eau. Un milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable, alors que seulement 3% de l’eau mondiale est gérée de manière privée. Il semble donc que la campagne engagée contre la privatisation oublie de nombreuses défaillances publiques.

L’exemple favori est celui de la « Guerre de l’Eau » de Cochabamba : les résidents de cette grande ville bolivienne descendirent dans la rue en 2000 pour se débarrasser du consortium privé gérant l’eau, lorsque les prix avaient augmenté. Pour les activistes anti-privatisation, cet exemple avait tout ce qu’il fallait : l’implication de la Banque Mondiale, des prix plus élevés, des citoyens en colère et un « happy ending » avec l’eau « rendue au peuple ». Mais c’était en fait une histoire de corruption politique et de mauvaise gouvernance, avec une fin tragique largement ignorée.

En 1997, la Banque Mondiale donna à la Bolivie 20 millions de dollars, à la condition de privatiser le réseau public de fourniture d’eau très endetté de Cochabamba, la SEMAPA, qui alimentait alors seulement 60% de la population en eau et fournissait 50% réseau d’égouts. Alors que les industries et les quartiers riches recevaient un traitement préférentiel, les zones les plus pauvres ne disposaient que d’un réseau délabré d’eau et d’égouts et devaient ainsi payer 3 à 5 fois plus cher pour se procurer de l’eau chez des revendeurs. Après une décennie de sous-investissement le système fuyait, perdant à peu près la moitié de son eau.

En plus de privatiser la SEMAPA, la Banque Mondiale souhaitait que la Bolivie investisse pour que Cochabamba reçoive l’eau supplémentaire nécessaire à partir du barrage existant de Corani. Cela aurait coûté 70 millions de dollars et devait être financé par des fonds privés. Mais le maire de Cochabamba préféra créer un nouveau réservoir, dans le Projet Misicuni, qui coûtait 175 millions de dollars dont près de 50 % financés par des subventions publiques. Alors que la Banque Mondiale expliquait que l’option Corani était moins onéreuse et plus rapide, d’autres intérêts entrèrent en jeu et c’est le Projet Misicuni qui fût intégré au contrat de privatisation. Il n’y eut qu’une seule offre, de la part du consortium Aguas del Tunari (AdT) qui, après d’âpres négociations, obtînt un contrat de 40 ans en septembre 1999.

La nouvelle tarification complexe d’AdT favorisait les pauvres mais augmentait toujours les prix pour tout le monde, de 10 % pour les plus pauvres à 100 % pour les autres. Les protestataires derrière la Coalition pour la Défense de l’Eau et de la Vie descendirent dans la rue et, après des manifestations très étendues et plusieurs morts, le contrat avec AdT fût annulé en avril 2000 et redonné à la SEMAPA.

Pour les détracteurs de la privatisation, ce cas incarne tous les méfaits de cette dernière. Cochabamba a en effet été un échec, mais pas pour les raisons avancées par les activistes anti-privatisation.

Premièrement, l’augmentation brutale des prix de l’eau n’était pas de la simple arnaque. La société devait couvrir les coûts élevés du Projet Misicuni, réparer l’infrastructure délabrée et s’étendre à de nouvelles zones. Et par ailleurs, de nombreuses factures d’eau plus élevées étaient en réalité dues à ce que les ménages utilisaient plus d’eau du fait d’un meilleur service. AdT devait aussi facturer le coût réel d’alimentation en eau.

Mais la mauvaise gouvernance avait posé les bases du problème : la SEMAPA avait facturé des prix ridiculement bas, accumulant 35 millions de dollar de dette, et les autorités municipales n’avaient pas clairement expliqué les changements à leurs administrés. Le mécontentement était déjà élevé avant la privatisation. Fait important, l’éradication des plantations de coca avait forcé de nombreux paysans à migrer à Cochabamba, y générant plus de chômage. En outre, la loi de 1999 sur les services de l’eau menaçait les « irrigateurs » établis depuis longtemps, propriétaires privés de puits et coopératives d’eau, en donnant à AdT le contrôle sur n’importe quelle eau souterraine locale et en rendant tout autre échange privé illégal.

Il y avait en réalité des intérêts coalisés derrière cette affaire. Aguas del Tunari comprenait quatre sociétés boliviennes, toutes impliquées dans la construction et l’ingénierie. En apparence, ce fût le maire qui s’opposa au projet du Corani, mais la pression vint de ces firmes politiquement influentes qui anticipaient des contrats très lucratifs du Projet Misicuni.

Enfin, les activistes anti-privatisation évitent aussi de parler de la situation actuelle à Cochabamba. Près de la moitié des 600 000 habitants de la ville restent non connectés au réseau, alors que les riches profitent toujours d’un traitement préférentiel et que la SEMAPA passe d’un scandale de corruption à un autre.

La leçon à en tirer ne concerne donc pas la privatisation en soi, mais la corruption et les intérêts coalisés. Utiliser Cochabamba comme emblème de l’anti-privatisation est ainsi contreproductif. Cela a découragé des investisseurs privés dans des régions qui nécessitent désespérément de nouveaux investissements et une assistance technique pour créer des services essentiels pour les plus démunis.

Des événements tels que le Forum Mondial de l’Eau qui se tient à Istanbul cette semaine cherchent de vraies idées pour réellement aider les pauvres. Malheureusement, cette réunion de bon sens est éclipsée par la clameur des activistes qui s’opposent à des solutions privées aux malheurs du monde en matière d’eau. Le cas de Cochabamba démontre en fait que nous avons besoin de plus de pragmatisme et de moins de rhétorique.

David Bonnardeaux est consultant freelance en développement rural et en gestion des ressources naturelles, notamment auprès de la Banque Mondiale, USAID, ou CARE.


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