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Carole Zalberg, écrivain du passage (2)

Publié le 29 mars 2009 par Lethee
Entretien paru dans le Magazine des Livres n° 15

Carole Zalberg, écrivain du passage (2)
Dans Chez Eux, vous adoptiez le point de vue d'une petite fille juive séparée de ses parents pendant la guerre. Dans Les Mémoires d'un arbre, vous preniez possession du corps tout entier d'un arbre pour rapporter ses souvenirs de végétal. Dans Léa et les voix, vous faisiez parler Antoine, atteint d'une dégénérescence de la mémoire. Dans Et qu'on m'emporte, vous poussez Emma à convoquer toute la mémoire de sa vie. C'est important pour vous de faire parler le passé ?
Cela correspond en tout cas à ma perception du monde. Il me semble que les différents temps de notre vie individuelle et collective ne s’annulent pas mais au contraire se superposent, se fondent et forment un tout qui définit à la fois notre environnement et notre être. Convoquer le passé n’est donc pas une tentative d’explication du présent mais plutôt une mise à plat ; comme un étirement qui permettrait de mieux saisir les détails, les nuances.

Dans toutes ces voix, on sent au fil de vos livres un déplacement du point de vue, comme si vous regardiez la vie à travers un prisme déformant. Dans La mère horizontale, vous utilisez même deux modes de narration différents : le « je » de Fleur, et la voix omnisciente. Ce procédé ce profilait déjà dans Léa. Est-ce que c'est une contrainte que vous vous imposez, ou plutôt un besoin ?

Disons que c’est une contrainte qui s’impose d’elle-même. Ce n’est pas un procédé visant l’efficacité ou un objectif quelconque. Là encore, cela correspond sans doute à ma perception du réel. J’ai l’impression de pouvoir saisir au plus juste possible n’importe quel événement, n’importe quelle personnalité. Cette justesse, je crois que je l’atteins grâce à la distance qui, elle, est toujours plus ou moins la même : « à la crête étroite entre le dedans et le dehors » comme l’a joliment formulé Pierrette Fleutiaux. Même quand j’emploie le « je » et que ce « je » est un autre, c’est cet équilibre que je cherche à atteindre, ce « mélange, je cite encore Pierrette, d’empathie et de distance ».
Vous êtes écrivain à plusieurs voix. C'est établi. Mais votre écriture aborde également d'autres domaines. La musique (avec Christophe Berthier notamment) et la photographie, avec Gilbert Brun. Comment s'établissent ces rencontres ? Comment les placez-vous au regard de vos romans ?
Ce sont des rencontres de hasard. Deux personnalités qui à un moment donné se parlent d’une manière très profonde. La production qui en découle s’inscrit dans la continuité de mon travail romanesque ou poétique. Mais ce qui m’enchante dans ces collaborations, c’est précisément qu’elles offrent la possibilité de vivre des aventures collectives. C’est une respiration nécessaire.
Attendez-vous quelque chose de vos lecteurs au moment où vous écrivez ? Votre écriture se trouve-t-elle influencée par des regards qui se penchent sur votre épaule ?
Quand j’écris, je ne suis préoccupée que de ma propre voix intérieure. Je n’écoute qu’elle. Cela n’empêche pas qu’au fur et à mesure, quelques regards bienveillants et exigeants m’encouragent ou m’amènent à m’interroger, à améliorer autant que possible. Cette relation nécessite une immense confiance.
Vous écrivez également pour les enfants, et Le jour où Lania est partie remporte un vif succès dès sa sortie. Ecrire pour les enfants est différent de ce que vous faites habituellement. Comment pourriez-vous définir cet élan ? Et quel effet cela fait-il d'avoir autant de retours ? (là je prévois de mettre les références des prix, des nominations etc..)
En fait, l’élan lui-même, la façon d’aborder l’écriture sont les mêmes. Un désir qui soudain se fait impérieux. La seule différence c’est que je peux avoir une intention précise en abordant une histoire pour enfant. Ce qui n’est pas le cas de l’écriture pour adultes où ce sont toujours les mots qui dictent le chemin.
On vous a vue dernièrement à une conférence organisée par Pierrette Fleutiaux à Limoges, avec Benoîte Groult. Le thème était le féminin, et le féminisme. On vous a sentie très engagée, et surtout révoltée. Est-ce que c'est un peu de cette colère qui vous a fait écrire Mort et vie de Lili Riviera ?
Ah oui, absolument ! J’avais, face à Lolo Ferrari, qui m’a inspiré le personnage de Lili Riviera, des envies de la délivrer, de faire justice aux femmes enfermées de mille manières. Je voulais aussi parler du corps comme source de plaisir et de souffrance, du corps apparent et de celui qu’on fantasme, idéal ou monstrueux.
Dans vos livres, les figures marquantes sont les femmes. Même dans vos romans pour enfants, il s'agit de petites filles. Les hommes sont présents mais parfois maladroits, peu dégourdis, méprisants ou même méchants. De manière générale, sauf dans Léa, ils sont distants. Ne trouvez-vous pas que vous êtes un peu dure avec eux ?
On m’a souvent fait cette remarque et je suis bien obligée de l’admettre. Parfois, c’est l’histoire que j’ai entrepris de raconter qui veut ça ; parfois cela s’impose sans que je l’aie vraiment décidé. Si je suis sincère, je trouve sans doute les femmes plus fortes et plus complexes, non par essence mais en conséquence d’une vie souvent plus entravée tout en étant moins cloisonnée. Cela dit, il y a des hommes très présents, admirables ou pas, dans Les Mémoires d’un arbre. Et je pense que quand j’aurais achevé ma trilogie effectivement très féminine, j’aurais faim de personnages masculins.
Dans La Mère horizontale, nous avions le point de vue de Fleur. Nous étions témoins de la vie de Sabine. Dans Et qu'on m'emporte, c'est Emma qui se raconte. Savez-vous déjà où vous allez placer la narration pour le troisième volet ?
Il sera double. On retrouvera Fleur. Et un narrateur adoptera le point de vue d’un nouveau personnage. Mais je n’en suis vraiment qu’aux prémices et je préfère ne pas trop en parler.

Le déclin, la fin de vie, et la perte de ce qui nous est cher : ce sont des thèmes qu'on retrouve dans vos romans. Vous en êtes maintenant au second tome de la Trilogie des Tombeaux. Quelque part, c'est un peu la fin d'une aventure qui approche, en tout cas en écriture. Est-ce que ça vous inquiète ? Est-ce que vous avez déjà pensé à « l'après » trilogie ?

Cela ne m’inquiète pas, non. Je sais que le moment venu, le désir reviendra et avec le désir, le sujet.
Justement, lorsque vous avez écrit La mère horizontale, saviez-vous que vous alliez vous plonger dans une trilogie au moment de l'écriture ? Qu'est-ce qui vous a donné le besoin (si c'en était un) d'écrire l'histoire d'une famille en trois dimensions ?
L’idée s’est imposée très vite. Il y a quelque chose de purement esthétique dans ce choix. En entamant cette trilogie je visualisais une sorte d’objet fait de trois parties autonomes pouvant s’emboîter. J’aimais aussi la perspective de la remontée dans le temps et l’histoire de cette famille, jusqu’aux racines des défaillances ou des choix.

Ecrivez-vous vite ? Souvent ? Dans quelles conditions ?

J’écris vite par nécessité. J’aime disposer d’une plage de temps totalement libre pour me laisser flotter et n’écrire qu’au moment où les phrases s’imposent. Ces plages sont rares. En attendant je laisse monter. Et quand je peux enfin passer à l’écriture, c’est comme si je n’avais plus qu’à déposer l’essentiel du projet. Ensuite, j’affine, je taille, je règle. Par ailleurs, je ne cesse jamais tout à fait d’écrire puisque je poursuis différents projets (scénario, nouvelles pour des recueils collectifs, chroniques littéraires, chansons, etc.)
Après avoir écrit, dans quelle littérature aimez-vous vous réfugier ?

La même que lorsque j’écris. Je lis tout le temps et mes goûts sont très éclectiques. Plutôt contemporains malgré tout. Je suis très attentive aux écrivains actuels, les confirmés comme Pierrette Fleutiaux, Nancy Huston, Laura Kasischke, François Bégaudeau, Olivier Adam, Arnaud Cathrine, Jonathan Safran Foer (la liste n’est évidemment pas exhaustive). Ceux dont on commence seulement à entendre parler mais qui imposent déjà une voix puissante et singulière : Jérôme Ferrari, Thomas Reverdy,  Stéphanie Hochet, Christina Mirjol… J’ai aussi une passion pour les polars.

Quel est le livre que vous souhaiteriez préserver du feu ? Oui, un seul !

Je ne vais pas être très originale : Belle du seigneur, d’Albert Cohen, car il contient à mon sens tous les livres à la fois.

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