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"Si la lune est là", d'Olivier Bourdelier (lecture de Jean-Pascal Dubost)

Par Florence Trocmé

C’est un tout petit objet, format carré (10,5 sur 10,5), qui tient facilement dans la poche ou dans la main, qui contient seize poèmes, ça n’encombrera pas, c’est fait pour ne pas encombrer ; de même que la poésie d’Olivier Bourdelier n’encombre pas, elle tarabuste, relaie le choix de la discrétion, de la rareté et de la fulgurance. Elle ruse avec les monstres, ceux qui restent sous la peau depuis l’enfance, parfois les interpelle, alterque. Le premier poème est déjà une ruse, une adresse au lecteur (à des lecteurs) feignant de poser une filiation, citons :

« Frères humains qui après nous vivez
si par chance êtes en paix bien rassis
et si vous plaît d’agacer votre nerf
sucez ce noyau de souci
mâchez mon amende amère
mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! »

Continuons où nous ne nous attendons pas d’aller, car la parentèle d’Olivier Bourdelier n’est point du côté de la lyrique médiévale, mais plutôt de la lyrique minimale d’un Guillevic. Cependant, ces poèmes s’entendent comme épitaphes en train de se graver sur le roc(-page) (du coup réunissent Villon et Guillevic). Épitaphes parce que le poète semble adieuser directement quelques-uns de ses contemporain(e)s qu’on dirait proches (« A Dieu mes amours, à Dieu vous commant », dit l’ancienne chanson), « Retire ta main de mon cou car je n’ai plus d’amour pour toi », déchante le poète terriblement. Ruse parce qu’il faut ruser avec une place laissée vide, froide ; la froide douleur du manque rusée par la chaude tendresse des mots (« les enfants n’ont pas peur de moi/s’avancent quand je souris ») ; la poésie d’Olivier Bourdelier allie les contraires chaud et froid, dans ce livret.

Les monstres, on l’a dit, se meuvent sous la peau, réveillent le vide, et attraient vers les enfers ; ils obligent à la lucidité. Le rusé poète pratique l’art du contre-pied par des rapprochements incongrus ou des changements inattendus de direction, ça égare le monstre, ou le détourne de ses intentions, ou l’empêche de trop s’affirmer.

La force du poème est d’armer son fabricant d’illusions solides (« et le poème tient debout/tandis que/je vacille. »)

Par moments, ça rit jaune, comme chez Tristan.

Si l’enfance doit filigraner le poème, comme le préconise Guillevic, chez Olivier Bourdelier, on la reconnaît dans ce rythme qui fait entendre une voix lointaine qui crie ses manques (-monstres) enfantins (inidentifiables cependant hyper présents), et tente, mais ne peut, de les recracher en noyaux de souci, aussi, le poème ruse avec l’impossibilité.

Le manque et le monstre, à chacun sa part d’ombre, ou ses trous, selon la chapelle qu’on fréquente.

Olivier Bourdelier est de ceux qui tournent autour du manque, sans jamais pouvoir en définir les contours, juste en deviner le masque.

Le manque, le monstre et le masque ?

Il n’y a pas à dire, l’émotion est à fleur de peau, prégnante, envahissante, cependant contenue (il ne s’agit pas de chougner).

On ne sait pas exactement ce qui opère et qui pourtant parle, fraternise avec ses propres monstres de lecteur.

Contribution Jean-Pascal Dubost

Olivier Bourdelier
Si la lune est là
pré # carré


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