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Québec : Au pays des géants, la route de la baie James

Publié le 30 mars 2009 par Kanawata

Le Grand Nord ne se découvre pas qu’en traîneau à chiens ou en motoneige. Si « tailler la route » ne vous fait pas peur, vous pouvez relier Montréal à Radisson en véhicule de tourisme et partir à la découverte (en autres richesses !) du plus grand complexe hydroélectrique du monde, au delà du 53ème parallèle…

  La route des pionniers.
7 heures du matin à Montréal, le ciel est bleu et le soleil darde ses rayons de juillet. Mais pas le temps de rêvasser, il faut prendre la route qui ce soir me mènera à Val d’Or, à 700 km au nord de mon point de départ.
A la sortie de la ville je prends la route 117 N. Comme aux abords de toutes les agglomérations tentaculaires, je traverse bon nombre de petits villages presque accolés les uns aux autres. Quelques kilomètres plus loin, l’habitat fait bientôt place à la verdure, aux bois et aux rivières. Le paysage se modifie aussi, la plaine laisse place à de petits vallons verdoyants jusqu’à Mont Laurier. J’en profite pour acheter quelques provisions pour la route car j’ai l’intention de déjeuner dans la réserve faunique de la Vérendrye.
Cette réserve est un véritable havre de paix. De nombreux emplacements au bord des lacs ou des rivières permettent la détente et offre une première occasion de « sentir » la forêt. Le calme y est saisissant. Seul le chant des oiseaux sème un peu de dynamisme dans cet endroit si sauvage qu’il semblerait presque mélancolique. Une fois repu des senteurs de la forêt, je reprends ma route. Il est presque 5 heures de l’après-midi lorsque j’arrive à Val d’Or, en Abitibi.
Cette ville a connu au fil des ans une croissance exponentielle du fait de deux ressources : les mines et la forêt. Je profite des derniers rayons de soleil pour visiter celle qui accueilli au siècle dernier les chercheurs d’or. Au carré Lapointe, un monument honore les mineurs qui ont fait jaillir ce pays des entrailles de la terre.
Je me dirige ensuite vers le village minier de Bourlamarque, toujours à Val d’Or, afin d’y admirer sa soixantaine de maisons en bois rond, toutes construites à l’époque de la ruée vers l’or. Aujourd’hui, Val d’Or se tourne vers le tourisme avec une foule d’activités : baignades, randonnées, pêche, chasse, canoë, visites du patrimoine axées sur l’industrie minière. L’hiver aussi n’est pas dépourvu de charme, la motoneige, le traîneau à chiens, la raquette, le ski de fond. Ici pas de bains de foule, le territoire est vaste et la population faible. Pour s’en rendre compte il faut surtout ne pas manquer la Tour d’observation Rotary, qui du haut de ses 18 mètres vous permet de visualiser l’immensité de celle qu’on surnomme « la région au 100 000 lacs ». Mais il est temps de se coucher et de penser à prendre des forces pour les jours à venir.
Après une nuit réparatrice et un petit déjeuner digne d’un bûcheron québécois (toasts, confiture, bacon, œufs sur le plat, pommes de terre rôties, crêpes au sirop d’érable), direction Matagami, « la rencontre des eaux ». En chemin je découvre le lac Paradis dont les eaux vert jade sont le résultat de minerais cuivrés en suspension. Un contraste étonnant dans ce coin de …….paradis.
Matagami, fondée en 1963, est au confluent des rivières Bell, Allard et Waswanipi. Chose surprenante, en plein centre ville, un sentier pédestre de 3, 5km invite à la promenade. Il longe la rivière Bell et le rapide du Chenal pour parvenir à la tour d’observation. Le panorama est splendide. On aperçoit les marques des plus anciens volcans, ainsi que celles des glaciers qui ont laissé en héritage des plages de sable fin. Cette ville, très éloignée des grands centres urbains, est un espace rêvé pour les amoureux de la nature. Une ballade, la nuit tombée, vous fera découvrir la pureté du ciel nordique où scintillent des millions d’étoiles. Mais ne vous couchez pas trop tard car demain commence la véritable aventure : la route de la Baie James.

  Construction du plus grand complexe hydroélectrique du monde.
En 1972 le gouvernement québécois entreprend la construction du Complexe La Grande qui en fait la plus grande centrale hydroélectrique souterraine du monde. Aujourd’hui rebaptisée Robert Bourassa en l’honneur de son concepteur. Cela n’a pas été sans mal, car ce territoire était vierge et la propriété des indiens Crees. Une entente a donc été conclue avec les intéressés. Celle-ci portera le nom de « la convention de la Baie James et du Nord Québécois ». En tout huit centrales seront construites générant plus de la moitié de l‘énergie hydroélectrique du Québec.
Un travail de titan est alors entrepris, car rien n’existe dans cette région hormis la forêt, les lacs et les rivières. Tout est à créer, routes, ponts, ponceaux, systèmes d’assainissement, baraquements pour loger et héberger des milliers de travailleurs du monde entier. Chaque jour 36 000 œufs sont cassés au petit déjeuner, sans compter les tonnes de viande, de légumes, de fruits pour nourrir les hommes qui travaillent sans relâche 24h/24h se relayant par équipe de 8 heures par des températures de + 25° ou par – 40°. Il fallait une route pour acheminer depuis Matagami les matériaux jusqu’à la centrale La Grande. Cette route les québécois m’en ont si souvent parlé, c’est un peu leur fierté. C’est la route du progrès, bon pour les uns, mauvais pour les autres. Depuis la construction des grands barrages LG1, LG2, LG3, LG4, sur la rivière La Grande, il devenait indispensable de relier ces immenses complexes au monde extérieur.

   420 miles en 420 jours
Matagami est le point de départ de la route de la Baie James. A la sortie de la ville la fameuse arche de bois marque le km 0. C’est là que commence l’aventure qui se terminera à Radisson 650 km plus haut. Cette route fût construite en 420 jours, soit un mile par jour et par tout temps. D’un empattement plus large que la moyenne elle peut supporter des poids de 500 tonnes. Elle nécessita le labeur de milliers de travailleurs. Onze ponts traversent des rivières qui chez nous feraient office de fleuves. 940 ponceaux et 32 km de canalisations assurent le drainage des eaux. La route est rectiligne. De part et d’autre, lacs et rivières abondent. On peut aussi y croiser ours, orignaux et caribous.
Trois axes routiers totalisant 1700 km seront construits dans cette région du Nord : la Route de la Baie James ( Matagami-Radisson), la route Transtaîga ( Radisson-Caniapiscau) le long de la rivière La Grande et la Route du Nord (Chibougamau-Radisson) à travers les réserves fauniques Assinica et des lacs Albanel.
« La route du nord », toute en gravier, a vu le jour il y a peu de temps. Le point de jonction est le km 381. C’est le seul relais sur la route de la Baie James. J’en profite pour faire le plein, prendre quelques provisions et me restaurer. Après, plus rien jusqu’à Radisson. Gare à celui qui ne s’arrête pas ! L’été passe encore, mais l’hiver avec ses températures de – 40°, tomber en panne équivaut à un arrêt de mort.
Au fur et à mesure que je monte vers le Nord, la forêt s’éclaircie, laissant place à la taïga et à son cortège d’arbres clairsemés, rabougris. Mais le spectacle en vaut la chandelle. Les cours d’eau d’un bleu profond sont nombreux. Ce n’est pas l’envie qui me manque de pêcher, mais la route est longue et je ne veux pas rouler de nuit.
Des milliers de km2 sans âme qui vive… Je traverse un territoire que seuls les indiens Crees connaissent. Je profite d’une halte au lac du Vieux Comptoir (sans doute un ancien lieu d’échange) pour me délecter des splendeurs du soleil couchant. Celui-ci pare le paysage de jaune orangé, de rose pourpre, d’un bleu rosé opalescent… Ces couleurs si particulière du Grand Nord.
Encore quelques km et la ville de Radisson apparaît dans l’immensité de la taïga. Elle porte le nom de l’un des fondateur de la célèbre Compagnie de la Baie d’Hudson qui oeuvrait dans le commerce des fourrures. De nos jours, cette compagnie existe encore mais les postes de traites se sont transformés en hyper et supermarchés. Construite en 1974 pour accueillir les travailleurs la ville, Radisson est tirée au cordeau. Les rues se coupent à angle droit et toutes les maisons sont dans le même alignement. A la fin des grands travaux, certains travailleurs sont tombés en amour (mot québécois) pour cette ville et y ont pris racine. Ce sont des « amants de la nature » et ici, elle est omniprésente de quelque côté que l’on se tourne.
Me voici donc à 1500 km au nord de Montréal, fourbu mais heureux je décide de m’offrir une chambre à « l’auberge Radisson ». Cet hôtel offre un confort rare dans cette région et sa table y est excellente. L’auberge propose quelques activités de découverte comme un survol en hélicoptère, l’observation des ours polaires « à la décharge municipale » du km 582 (à l’automne), une excursion sur la rivière La Grande, la visite du complexe Robert Bourassa. Les habitants de Radisson sont des gens charmants, toujours prêts à vous aider. « Aider », ce mot, que nous européens oublions trop souvent, prend toute sa grandeur dans le grand nord. Ici les gens ne dédaignent pas donner un coup de main et l’hiver, c’est croyez-moi bien utile…
Un hommage éternel aux bâtisseurs d’eau de la Baie James.
Après une bonne nuit de repos, je me rends au Parc A.-Boyd qui retrace la vie du campement d’exploration G-68. Ce village de tentes invite les visiteurs de la Baie James à revivre le quotidien de ces héros anonymes (185 000) qui ont ouvert la voie aux bâtisseurs d’eau. Une visite obligée si l’on désire comprendre ce que fût l’existence de ces travailleurs durant près de 10 ans. Si le cœur vous en dit, vous pourrez même louer un camp de toile et vous glisser dans la peau de ces pionniers. Pas facile quand on est habitué au confort ! Beaucoup d’activités payantes sont proposées sur ce même site : location de canots, randonnées en ponton sur La Grande Rivière ou balades en rabaska. Quelques boutiques d’artisanat autochtone et inuit permettent aussi de dénicher en ville quelques souvenirs.
Sous ces latitudes, la luminosité du ciel est propice aux aurores boréales. Le phénomène débute par une lueur qui monte à l’horizon, pareille aux lumières de la ville lorsqu’on l’observe, à quelques kilomètres de distance. De minute en minute cette lueur grandit et avance en décrivant des arabesques parfois or, orangé ou couleur de jade. Ce rideau de lumière mouvante vous laissera en pâmoison devant cette danse céleste inoubliable…
La centrale Robert Bourassa, une cathédrale sous terre.
Je vais enfin visiter le complexe Robert Bourassa, but de mon voyage. L’accueil est une tradition à Hydro-Québec. Celle-ci est l’une des plus grandes entreprises d’Amérique du Nord. Elle produit et distribue 95% de l’électricité au Québec. Lors d’une vue d’ensemble au centre d’information situé au complexe Pierre Radisson, je parfais mes connaissances à propos de la nature, de la production et du transport de l’électricité. C’est le préambule à la visite. Comme moi aujourd’hui, des dizaines de milliers de visiteurs viennent chaque année découvrir cette centrale (le plus souvent en autocar, au départ de Montréal). Après la présentation générale du territoire et des 8 centrales du complexe, je prends le car pour un circuit de 25 km. Tout au long de ce parcours, je suis pris en charge par des spécialistes d’Hydro-Québec qui ne sont pas avares d’explications. C’est leur enfant, leur grande fierté. Le barrage en lui même est aussi haut qu’un immeuble de 53 étages. A partir de nombreux belvédères, la vue est époustouflante et les paysages inhabituels. Au parc Robert Bourassa j’admire l’évacuateur de crues. Une dizaine de marches le compose, taillées directement dans le bouclier canadien. Un escalier géant surnommé « l’escalier du diable » et dont chaque marche fait une bonne vingtaine de mètres de hauteur. Nous descendons ensuite à 140 mètres sous terre. Là se situe la cathédrale, la plus grande centrale au monde, taillée elle aussi dans le bouclier canadien, massif vieux de 3,5 milliards d’années, ni plus ni moins que l’époque des origines de la terre. L’impression est saisissante et le petit bonhomme que je suis inexistant… Ces 3 heures de visite resteront à jamais gravées dans ma mémoire. Je poursuis mon périple avec la découverte de La Grande 1, à moins d’une heure de route de Radisson. Là aussi le spectacle mérite de détour. J’apprécie la gentillesse de mes guides, toujours prompts à répondre aux diverses questions, ce n’est pas un métier c’est un sacerdoce…

  La transtaïga, l’ultime route avant le Nunavik.
Le démon du Grand Nord me démange et il ne faut pas longtemps pour me décider à parcourir les 500 km de la transtaïga sur une route en gravier. Après avoir quitté Radisson, je longe l’immense réservoir Robert Bourassa. Tout au long de la route, la rivière La Grande me tient compagnie. Au cours de ce périple, la faune de la taïga se fait plus omniprésente et je croise au loin quelques caribous cherchant leur pitance parmi les lichens. Puis je suis en vue de LG4 et son réservoir du même nom. Là, le plein s’impose dans une simple baraque. Quelques km plus loin la centrale Laforge 1 (avec aussi son réservoir) et plus loin encore Laforge 2. Arrivée à la centrale Brisay la route se sépare en deux, prenant en tenaille le réservoir Caniapiscau. L’une des voies mène au village du même nom et l’autre à la pourvoirie Mirage qui est la mecque des chasseurs de caribous en période hivernale mais aussi un paradis pour la pêche.
Ici nous sommes vraiment dans le Grand Nord. La route ne mène plus nulle part………excepté vers les immensités du Nunavik. Après deux jours passés à pêcher, mon pêché mignon, je reprend mon chemin en sens inverse. Au km 381, j’oblique sur la gauche pour prendre la route du Nord en gravier qui me mènera à Chibougamou patrie des Crees, puis direction le Lac Saint-Jean, Québec et Montréal mon point de départ. La boucle est bouclée après plus de 4000 km.

Bernard Brando
 

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