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Le Français va-t-il survivre ?

Publié le 09 avril 2009 par Argoul

De nombreuses langues disparaissent à chaque siècle, de très rares apparaissent. Les échanges et la globalisation du monde encouragent les communications, donc les langues majeures. Le français serait donc mal parti ? Non pas, mais il va se transformer. Une langue qui dure est une langue qui vit, introduisant des mots nouveaux qui correspondent à des concepts nouveaux. Parfois, la domination incite à user de termes étrangers alors qu’il existe les mots même en français – il faut lutter contre ce snobisme ou cette lâcheté. Parfois non. Par exemple week-end : si le repos du dimanche était un précepte catholique, reconnu en français, la fin de semaine qui dure deux jours n’existait qu’en anglais. Ils étaient culturellement leaders à la fin 19e, nous l’avons adopté. Je crains que les anglo-saxons tardent un tantinet à adopter nos « 35 heures ». En revanche, ils ont pris « rendez-vous », avec le sens galant que nous lui avons donné.

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Mais pourquoi faudrait-il que le français subsiste, si l’anglais, l’espagnol ou le chinois mandarin font aussi bien l’affaire ? Par répugnance à changer ? Non pas, mais parce qu’une langue est une conception du monde. Elle véhicule des mots qui sont parfois plus précis que nulle part ailleurs : le français a plus de mots que l’anglais pour décrire les sentiments divers de l’amour, le néerlandais détaille les divers âges du hareng (ils diffèrent par la taille à la pêche et par leur goût), dans une langue du Gabon existent des mots spécifiques intraduisibles pour qualifier les nuances des odeurs, les langues bantoues distinguent une dizaine de genres là où nous n’en voyons que trois (masculin, féminin et neutre), les Inuit savent vous parler des différences couleurs et consistances de la neige… La langue véhicule aussi une logique formelle, une façon de hiérarchiser les mots dans les phrases, qui expriment une dialectique. L’anglais par exemple est direct, résumé, efficace : « Just do it », « Yes we can ». L’espagnol est ronflant et entraîne à sa suite. L’allemand a la souplesse de former par agglutination des mots-concepts, fort utiles pour les concepts philosophiques. Le français est logique à la suite du latin et, dans la belle langue 18e, décompose le discours en fragments simples et précis.

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Traduire fait perdre du sens et de la saveur, sauf si l’on est parfaitement bilingue. Et encore… Nombre d’auteurs multilingues (Vladimir Nabokov, Arthur Koestler) sont incapables de « se traduire » eux-mêmes pour leurs œuvres. Ils ont besoin de s’immerger dans un univers, ils sentent différemment lorsqu’ils passent dans un autre. Ce pourquoi l’usage obligatoire de l’anglais dans nos entreprises ou dans nos enseignements supérieurs est une bonne et une mauvaise chose. Une bonne parce qu’elle permet à des étudiants venus de divers pays d’Europe ou du reste de la planète, d’avoir une langue de communication commune pour apprendre et échanger, comme fut le latin au moyen-âge. Une mauvaise parce qu’un cours en anglais effectué par un français aura un vocabulaire limité et des tournures standards ou incorrectes. Passe pour le savoir technique, mais l’enseignement des concepts ne peut gagner à ce genre de traduction. Reste que l’Union Européenne à 27 (bientôt 29) ne peut communiquer sans des tonnes de papiers en une trentaine de langues – et c’est un vrai problème qui coûte en temps, en capacités intellectuelles et en papier consommé sur la planète. Reste que les multinationales ne peuvent qu’user d’une langue commune pour rester efficaces. Savez vous qu’un Suisse de Genève qui parle à un Suisse de Zurich ne va utiliser aucune des quatre langues officielles suisses, mais… l’anglais ? L’allemand appris à l’école n’est en effet pas le switz deutsch effectivement parlé en Suisse allemande.

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Que faut-il donc faire ?

  • Ne pas baisser les bras en appauvrissant sa propre langue ! Le globish est un anglais abâtardi fondé sur 1500 mots de référence et des tournures standardisées. Le spanglish est du latino-américain qui mélange les termes, les verbes anglais étant conjugués à l’espagnole. Le SMS est du français phonétique altéré où les expressions sont réduites à divers syllabes, grognements et exclamations ponctuées, qui rappellent parfois les dialogues du film ‘La Guerre du Feu’…
  • Ne pas démissionner en utilisant des mots anglais ou autres quand ils existent parfaitement en français ! Ainsi le mot ‘benchmark’, tellement à la mode dans la finance et l’entreprise. Les usagers financiers français, bien scolaires, y voient un cadre contraignant de la performance, une sorte de garde-fou obligatoire. Alors qu’il en est rien. Un détour par un dictionnaire apprend que ‘benchmark’ est le niveau du maçon ; c’est une sorte de thermomètre que l’on peut traduire sans perte de sens en français soit par le mot référence, soit par le mot évaluation. Rien à voir avec le carcan ! Juste avec la mesure. Pourquoi prendre un mot anglais qui fait faux sens ?
  • En revanche, adopter les mots qui n’ont aucun équivalent en français. Foin des souverainistes et autres rétrogrades, un mot est utile quand il décrit ce qui n’existe pas dans la langue. Henriette Walter a écrit plusieurs livres pour dire combien le français a emprunté aux autres langues dans l’histoire. Et pour son plus grand bien.
  • Encourager l’apprentissage très jeune de plusieurs langues : la langue maternelle, indispensable pour acquérir une vision personnelle du monde ; la langue régionale pour la souplesse d’esprit et les racines qu’elle donne ; l’anglais pour communiquer avec le globe ; une langue aimée pour aborder une autre culture. Ainsi ai-je appris tout seul l’italien par goût de sa musique.
  • Ecrire en français, diffuser des textes en français sur la toile, émettre de la radio et permettre le podcast (quel mot équivalent en français ?), participer aux encyclopédies en ligne comme Wikipedia, ouvrir les livres tombés dans le domaine public à l’usage universel gratuit comme le fait Gallica – voilà les bonnes pratiques qui feront du français une langue utile, qui continue à vivre. Comme le montre le tableau ci-joint, tiré du dernier numéro de la revue La Recherche (avril 2009, 6€ en kiosque), le nombre de gens qui parlent une langue n’est qu’un élément parmi d’autres de son poids dans le monde ! Ce pourquoi il est aussi nécessaire de donner envie d’apprendre et de lire le français, à faire penser les autres.

Cela veut dire avoir des idées et ne pas se contenter de ressasser les vieilles lunes.

En ce sens, le naufrage de la littérature française et des « intellectuels », ces 30 dernières années, au profit de l’immédiat médiatique et du zapping rigolo n’augure rien de bon. La faute au conservatisme politique ? A l’inanité de l’université ? A l’élitisme des Grandes Ecoles qui incitent à raisonner mais surtout pas à penser neuf ? Au basique du petit écran, du portable et du mobile ? La gauche n’a plus rien à dire, le renouveau de la pensée de droite a avorté, les recherches en sciences humaines par les post-docs français se font souvent aux Etats-Unis, la sélection uniquement par les mathématiques inhibe l’expression par les mots. On modélise en algébrique et paraboles, on chatte, on borborygme en demi-phrases au cinéma (les jeunes acteurs français n’articulent pas), on résume toute sa pensée en un seul slogan face aux micros… On ne fait même plus l’effort de parler ou d’écrire en bon français. La preuve ? La jeunesse ne lit plus, un texte de Flaubert déjà « prend la tête » alors Amélie Nothomb à l’Académie Française, c pa bèt é pourkoi pa ?!?

Ce n’est pas comme cela que le français survivra.


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