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Dia de Tiradentes: Coup d’envoi de l’Année de la France au Brésil

Publié le 21 avril 2009 par Abracarioca

Bandeiras - Foto: Marco Antonio Cavalcanti / Ag. O Globo

Lancée officiellement par les Présidents Lula et Sarkozy au mois de décembre dernier, l’Année de la France au Brésil débute véritablement aujourd’hui par un spectacle pyrotechnique de grande ampleur, réalisé à la Lagoa Rodrigo de Freitas de Rio de Janeiro par le Groupe F, compagnie française de théâtre de rue notamment responsable du feu d’artifice de la Tour Eiffel célébrant le passage à l’an 2000. Cette fois, 450 000 spectateurs sont attendus pour assister à “La Rencontre de l’Eau et du Feu”.

La date du 21 avril n’a pas été choisie au hasard: il s’agit d’un jour férié au Brésil, en l’honneur du martyr Tiradentes. Un nom qui ne dit peut-être rien aux Français, mais pourtant non sans lien avec notre pays, comme l’explique l’article ci-dessous d’Yves Saint-Geours, Président du commissariat de l’Année de la France au Brésil, paru dans la revue Histoire de ce mois-ci:

“C’est le 21 avril que s’ouvre l’Année de la France au Brésil, par des cérémonies à Ouro Preto et à Rio de Janeiro. Cette date est jour férié dans le pays : elle correspond à l’anniversaire de l’exécution à Rio, en 1792, de Joaquim José da Silva Xavier, plus connu, à cause de ses talents de dentiste, sous le nom de Tiradentes (littéralement « arracheur de dents » !). Celui-ci fut pendu puis décapité et écartelé, sa tête et ses membres furent ensuite exposés à Vila Rica (aujourd’hui Ouro Preto), principale ville du Minas Gerais (les « Mines générales »), riche capitainerie de la colonie brésilienne. Tiradentes avait en effet été l’instigateur d’une révolte minière, étouffée dans l’oeuf au printemps 1789.

En quoi ce soulèvement avorté est-il lié à l’amitié franco-brésilienne ? C’est que, dans l’imaginaire national, les Lumières, les philosophes, voire l’esprit républicain en sont à l’origine. Et il apparaît aujourd’hui – quoique son interprétation reste discutée – comme un événement précurseur de l’indépendance brésilienne.

Fin 1788, la Couronne portugaise envoie dans le Minas Gerais un nouveau gouverneur, Luis Antonio Furtado de Mendonça, vicomte de Barbacena. Celui-ci a pour mission de faire appliquer plus strictement les décisions prises en 1750 par le Premier ministre Pombal : le paiement annuel par la colonie d’un quinto (impôt d’un cinquième sur la production d’or) de 100 arrobes (12 kilos environ) d’or. Depuis le début des années 1760 en effet, les contributions sont bien loin d’atteindre ce niveau et les autorités portugaises attribuent cette diminution à la corruption et à la fraude. Elle est en fait, selon toute vraisemblance, la conséquence de la baisse de la production aurifère par épuisement des gisements les plus facilement exploitables.

Le nouveau gouverneur a l’intention de prélever une contribution exceptionnelle, une derrama (capitation prélevée sur tous les habitants), visant à récupérer d’un coup le manque à gagner accumulé, soit 538 arrobes d’or ! Il prévoit également de réviser les contrats d’affermage des impôts et de sanctionner les indélicats.

Ces projets, associés au malaise économique et social, fédèrent des mécontentements dans les groupes dirigeants du Minas : Alvarenga Peixoto, propriétaire de mines et poète, Francisco de Paula Freire de Andrade, commandant des forces militaires de la capitainerie, le chanoine Luis Vieira da Silva, Claudio Manuel da Costa, l’un des plus célèbres poètes du temps, sont parmi les conjurés qui comptent avec l’appui de quelques financiers dans le Minas et à Rio.

Le projet est d’assassiner le gouverneur, de proclamer l’indépendance de la province puis la république. Il n’est pas question d’abolir l’esclavage, mais nombre d’esclaves, notamment les mulâtres, seront affranchis. On se dotera d’un drapeau. On créera une milice de citoyens. La dîme servira à assurer l’éducation et l’assistance.

En mai 1789, le complot est déjoué à la suite de sa dénonciation par un de ses soutiens financiers, le « fermier » collecteur d’impôt Joaquim Silvério dos Reis. Un vaste coup de filet permet d’arrêter les conjurés : Tiradentes à Rio, presque tous les autres dans le Minas. Da Costa se suicide en prison. Vingt-quatre accusés sont condamnés, dont 10 à mort. La reine Maria Ire commue les peines de mort en déportation en Afrique. Seul Tiradentes, la personnalité la plus militante (sa propagande avait sans doute attiré l’attention), celle venant aussi du milieu le plus modeste, est exécuté à Rio le 21 avril 1792.

Pourquoi cette révolte, qui n’a même pas eu lieu, a-t-elle pris une telle importance dans l’imaginaire national ? Parce que les pièces du procès comme les inventaires des bibliothèques des conspirateurs (les « inconfidentes ») semblent indiquer de nombreuses références à l’indépendance américaine et aux Lumières françaises. Ainsi, dans cette colonie brésilienne qui n’avait ni université, ni imprimerie, les conjurés possédaient des ouvrages de Montesquieu, Diderot, Voltaire… Un des livres les plus commentés était l’Histoire philosophique et politique des deux Indes de l’abbé Raynal, véritable dénonciation de la colonisation.

Par ailleurs, cette conspiration a fait des émules : deux autres mouvements, l’un limité à Rio, en 1794, et l’autre à Bahia en 1798 – la « révolution des Jacobins noirs » – entretiennent le malaise de la colonie. En réalité, ces révoltes traduisent, outre la pénétration des idées nouvelles au sein des élites, une lassitude face au « pacte colonial » et à « l’exclusif » qui assurait à la métropole le monopole du commerce et de l’activité manufacturière. En outre, le despotisme éclairé de Pombal avait engendré le mécontentement politique des créoles à l’égard des Portugais.

Les conspirations et révoltes des années 1789-1798 sont, dans une certaine mesure, des événements précurseurs de l’indépendance. Mais, comme on sait, cela n’a pas suffi. Ce sont les guerres napoléoniennes qui, en obligeant la cour portugaise à installer sa capitale à Rio en 1808, la provoquèrent. En 1822, l’héritier au trône du Portugal devient le chef du nouvel État indépendant, sous le nom de Pedro Ier, «empereur et défenseur constitutionnel » du Brésil.

Au temps de l’Empire brésilien, Tiradentes n’était pas encore un personnage central de l’histoire du nouvel État : les empereurs étaient les héritiers de Maria Ire qui l’avait fait exécuter. Mais, avec la proclamation de la république, le 15 novembre 1889 (le 15 novembre sera le jour de la clôture de l’Année de la France au Brésil), et sous l’ifluence des hommes politiques positivistes liés à l’influence française et au comtisme, le révolté devient le martyr de la liberté, la personnification des origines de la République brésilienne.


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