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Le canard est toujours vivant

Publié le 22 avril 2009 par Doespirito @Doespirito

N1153214553_14047_9615 Une vraie amie est morte. Une vraie amie au sens de Facebook. Je ne la connaissais que via Facebook. Je ne l’ai jamais rencontrée. Je n’ai eu d’elle que des messages d’amitiés, des appréciations pour mon blog. Des “fleurs”. Des “cadeaux”. Quelques “bisous”. Un mot gentil pour mon anniversaire. Pas grand-chose, au fond. Mais avec une constance sans égal, une gentillesse touchante, une énergie communicative. Le genre d’attention que vous prenez avec plaisir et qui vous donnent la pêche pour la journée.

Annick Vernhes allait avoir 69 ans. Atteinte d’un lymphome depuis trois ans et de demi, elle souffrait énormément. Je ne l’ai jamais su. Elle l’a toujours caché, par pudeur et par peur de voir les amis Facebook se détourner d’elle. Née à Anglet, au Pays Basque, le 21 avril 1940, elle s’était marié jeune, avait eu un fils à 23 ans, accouché par césarienne. Le médecin qui l’a opérée avait la distraction sélective : s’il a bien pensé à lui envoyer sa note d’honoraire, cette tête en l’air a laissé un morceau d’aiguille dans le ventre avant de refermer. Au bout de quelques semaines, la douleur étant intolérable, on pratiqua une nouvelle intervention qui permit de découvrir et de retirer l’objet. Puis une autre, définitive celle-là, qui lui fit oublier les projets de faire d’autres enfants.  Ce manque-là ne l’a plus quitté.

Elle a vécu à Genève, où elle fut employée dans une compagnie fiduciaire. Plus tard, elle a travaillé dans l’immobilier. Après son divorce, elle s’est remariée avec un Libanais qui l’a emmenée avec lui en Afrique, à Lagos (Nigéria). Ils sont revenus s’installer sur la Côte d’Azur (à Cannes et Antibes), région qu’elle n’a plus quittée, même après le décès de son second mari, en 1993. Elle avait découvert Internet grâce à sa sœur et s’était passionnée tout de suite pour Facebook et le Backgammon. Sur des sites dédiés à ce jeu, on peut encore voir son profil, lire les appréciations des autres joueurs, sa notation, le nombre de parties gagnées (plus de 1500) et perdues (presqu’autant)… Facebook a été son soutien, son médicament. Nous, ses amis Facebook, nous avons fait partie de sa vie. Comme une marraine ou une mamie gâteau, cette femme coquette et au caractère bien trempé nous comblait de cadeaux et d’attention virtuelles. Il est facile d’y voir les conséquences de sa solitude affective, elle qui aurait bien voulu avoir d’autres enfants et qui voyait si peu ses petits-enfants. N’empêche qu’on aimait bien ça.

Et puis sa santé s’est dégradée, et la mort, impatiente d’en finir, ne l’a plus lâchée depuis février 2009. Septicémie, traumatisme crânien après une chute, AVC… En sortant des séances de chimiothérapie, elle avait coutume de dire «Et le canard était toujours vivant», allusion à un sketch de Robert Lamoureux des années 60. Cette fois, elle a dû s’avouer vaincue. Tombée dans l’inconscience mercredi 15 avril, elle a salué le départ des amies venues lui rendre visite le soir par une larme qui a coulé sur sa joue. Ce qui prouve qu’il faut parler aux gens qui agonisent, car il y a de fortes chances qu’ils vous entendent, dans leurs derniers moments. Elle est décédée paisiblement à l’hôpital Princesse Grâce à Monaco jeudi 16 avril, son fils et sa sœur à ses côtés. Elle a été incinérée le lendemain. Selon ses dernières volontés, ses cendres ont été «dispersées dans le vent». Le canard a pris sa revanche : il vole de nouveau et il est libre comme l’air.   

Merci à Ingrid, la sœur d’Annick, et à Marie-Ange Dussart, son amie, qui m’ont communiqué les éléments reproduits pour cette note.


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