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Anthologie permanente : Pierre Peuchmaurd

Par Florence Trocmé

traité des loups

pour Antoine

La nuit les loups sont bleus, un peu phosphorescents.

Il y a des loups, tu sais, qui regardent aux fenêtres et qui voient la distance. Il y a des loups qui pleurent du silence de la proie.

Il y a des loups qui traînent des rumeurs rose et jaune, il y a des loups qui lèchent le cou des dentellières, il y a des loups furtifs, des loups à la saison. Il y a des loups jaloux dans des villes étrangères.

Il y a 1'hiver qui pousse.

Il y a des loups savants qui dorment dans les livres, des loups anachorètes et des loups synthétiques. Il y a des loups absents, très absents, très absents. Il y a des loups sans fond, ce sont les meilleurs loups.

Il y a des loups d'argile, des loups de papier peint. Il y a des loups arabes avec des rubans verts, des loups de temps en temps, d'autres plus absolus. Certains loups sont faciles et le vent les traverse.

Il y a des loups solaires. L'ombre leur veut du bien, eux regardent la mer. Il y a des loups comme ça.

Ils ne rêvent pas toujours, mais ils rêvent quelquefois.

Il y a des loups de printemps, des loups d'offres spéciales. Il y a des loups abstraits avec des bas nylon et du rouge aux babines. Il y a des loups frileux, avec des sentiments. Il y a des loups dorés.

Il y a des loups obliques, qui partent avec le jour, qui partent avec la nuit, des loups désespérants avec des airs de loups comme on croit qu'ont les loups.

Il y a des loups furieux, des loups qui pensent aux loups et qui pensent aux baleines. Il y a des romans noirs sous l'oreiller des loups.

Il y a la faim des loups.

Il y a des loups, tu sais, qui n'ont pas de mémoire. Ce sont des loups sans horde, souvent de très jeunes loups, qui ne cherchent qu'un visage où poser leur velours.

Et puis il y a des louves.

Pierre Peuchmaurd, L’Oiseau nul, Seghers, 1984,  pages 117-118)

l’eau rouge

Et ce monde essuya son sang
Il n’y avait pas d’autre monde
il allait falloir continuer,
tout laver dans l’eau rouge

Les filles d’abord
pour qu’il y ait de nouveau
des cous blancs, des dents blanches
qu’on recommence à mordre
dans la mort de demain

Les bêtes ensuite,
toutes les bêtes dans l’eau rouge
pour qu’il y ait de nouveau du poil
du sommeil, du plaisir
de l’or dans les clairières
et de grands cris muets

Laver les eaux de leur eau rouge
pour que le monde ait son miroir
pour que le monde se voie passer

Laver le feu des cendres rouges
de l’os planté dans la fumée,
laver le feu les yeux ouverts
Totems de tout, laver le ciel

Le pire n’est jamais mûr
Le pire,
c’est le dernier état de la mémoire
c’est le retour du pire,
de la  poussière hurlante
Et il faudra laver l’eau noire,
ce monde est le seul
Ce monde,
le fer noir de la nuit

Pierre Peuchmaurd, Parfaits dommages et autres achèvements, L’Oie de Cravan, 2007, pages 125-126)

contribution de Laurent Albarracin

bio-bibliographie de Pierre Peuchmaurd

voir aussi l’article rédigé par Laurent Albarracin au moment de la mort de Pierre Peuchmaurd et une sélection de poèmes par Ariane Dreyfus

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