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Hubert Nyssen, dixième

Publié le 01 mai 2009 par Irigoyen
Hubert Nyssen, dixième

Hubert Nyssen, dixième

Ce roman, dense, met en présence le narrateur, Paul Leleu – forme picarde du nom Leloup -, qui écrit une épître sur un linguiste, Albert Molinari, et un traducteur, Cyril Trucheman.

« Deux énergumènes qui demeuraient tumultueux dans la mort comme ils l'avaient été dans la vie »

Molinari est l'ancien professeur de philosophie de Trucheman. Résistant durant la guerre, le jeune Cyril avait participé au sabotage d'un train militaire, ce qui l'avait contraint à trouver refuge chez un médecin. Régulièrement, Molinari lui apportait alors des livres en lui disant: « Quand tu seras à Proust, la guerre sera finie ». D'où le titre.

Mais ne vous imaginez pas que le livre se focalise sur ces deux hommes. N'oublions pas que nous avons affaire à Hubert Nyssen qui semble toujours prendre un malin plaisir à brouiller les pistes. Nous accompagnons donc ces deux personnages à différents moments de leur vie, comme lorsque Trucheman apprend sa propre disparition dans une catastrophe aérienne survenue en Irlande:

« Les morts, par leur condition de muets définitifs, ont sur les vivants l'avantage de rendre vain l'usage du droit de réponse. »

Très vite donc, l'écrivain-éditeur emprunte une voie secondaire, tout en gardant un œil sur les deux hommes. Une voie secondaire qui nous conduit à Caroline Martin, jeune femme rencontrée dans un café de la Contrescarpe à Paris et qui va ensuite travailler avec Paul Leleu. Ainsi, poursuivons-nous, au fil des douze chapitres que compte ce livre – les douze mois de l'année - les itinéraires de ces personnages.

Et puis, comme toujours, il y a ces références chez Hubert Nyssen à des hommes qui ont compté dans son parcours, qui l'ont façonné.

« Quelques années plus tôt, dans cette maison, Claude Leroy avait écrit un ouvrage que Leleu avait tout de suite publié, dont jamais le tirage initial, pourtant modeste, n'avait été épuisé, que la critique avait ignoré, mais que l'éditeur portait dans son cœur au point d'avoir demandé à des libraires, amis et complices, d'en garder toujours dans leurs rayons au moins un exemplaire afin que la mort du livre ne fût pas avérée. Intitulé Histoire d'Élisée Reclus, ce livre retraçait la vie du géographe banni de France pour sa participation, en 1871, à l'insurrection de la Commune, et la rapportait avec la souveraine fluidité d'un des plus beaux ouvrages de Reclus lui-même, Histoire d'un ruisseau, au titre duquel celui de Claude Leroy faisait ainsi écho. »

Mais la relation entre Paul Leleu et Caroline Martin est bien ce qui prédomine dans ce livre. Une relation qui évolue au gré des incompréhensions, de l'équivoque. Il me semble d'ailleurs qu'Hubert Nyssen montre à merveille les difficultés d'un dialogue entre personnes de sexe opposé. Peut-être aussi parce que les femmes sont chez lui, je crois, très en elles-mêmes – ce qui n'exclue pas l'extraversion – :

« Toutes des matriochkas ! S'était-il exclamé en mettant dans le même sac les femmes qu'il avait connues et celles dont il avait traduit l'histoire. Si on pouvait les ouvrir comme ces poupées de bois, avait-il ajouté, on constaterait que toutes se composent de tous les personnages qu'elles furent à tour de rôle, et qu'elles n'en ont abandonné aucun depuis la petite enfance qui est représentée dans le jouet russe par une figurine de la taille d'une olive. »

... et que les hommes sont très au dehors d'eux-mêmes – ce qui n'exclue pas l'introversion d'où cette phrase de Caroline à propos de Paul : « Je crois que cet homme-là préférait les idées aux passions. » -:

« Il avait tenté de deviner sous les étoffes, transparentes ou opaques selon la saison, la forme de ses seins et la place, les eût-il connus, que leur aurait donnée, dans son fameux catalogue - « seins des Andalouses, seins en sèvres véritables, seins que personne ne verra, seins les plus parfaits qui aient jamais existé, seins pour l'été, seins pleins d'or, seins de châtelaine... » -, le merveilleux thuriféraire des seins, Ramón Gómez de la Serna. »

C'est comme si ces deux personnages se livraient ici au jeu du chat et de la souris, chacun mettant la patience de l'autre à l'épreuve. Pas étonnant d'ailleurs que le narrateur, Paul Leleu, soit également patron d'une maison d'édition dont le nom est précisément Le jeu de patience avant de devenir Le jeu par des actionnaires qui voient dans cette coupe une preuve de modernité.

Les lecteurs de ce roman retrouveront aussi des références au Titanic, aux carnets. Autre thème dont j'ai assez peu parlé jusqu'ici, il est vrai, les coïncidences:

« Il aurait commencé par écrire que les coïncidences étaient, à son avis, des efflorescences produites par des rhizomes, et que si l'on ne peut prévoir où elles vont surgir, on peut toutefois, à condition d'y être assez attentif, retrouver le parcours de ces tiges souterraines dans leur traversée du temps. »

Rhizomes qui évoque, bien entendu, le monde végétal cher à Hubert Nyssen – je n'y reviens pas -:

« Les arbres comptaient si bien pour lui qu'ayant appris l'existence d'un calendrier celtique dans lequel les temps de l'année étaient symbolisés par eux comme ils l'étaient par les astres dans les horoscopes ordinaires, il avait pris l'habitude de noter les dates de naissance afin de découvrir de quelle essence pouvaient se réclamer les personnes de son entourage, celles qu'ils avaient connues, celle qu'il aimait et même celles qu'il n'aimait pas. »

Notons aussi qu'à la structure gigogne du récit s'ajoute une nouvelle strate où Hubert Nyssen annonce son prochain roman – sortie : le 6 mai - :

« On y avait reçu, en janvier de cette année-là, le manuscrit d'un certain Louis Severin, un premier roman appelé L'Helpe mineure, pour lequel Caroline s'était enflammée, réclamant la publication et affirmant à Leleu que si l'on mettait le paquet, on pourrait peut-être décrocher avec ce livre un des grands prix de fin d'année. »

« Helpe était l'un de ces mots qui ne veulent rien dire mais suggèrent mille choses. »

« Le romancier avait fait de L'Helpe mineure une frontière entre deux mondes, le natal et l'adoptif, son héros franchissait ce Rubicon après avoir rompu avec des racines qu'il ne reconnaissait pas pour siennes. »

Seul problème pour ce romancier – Louis Severin - cité par Paul Leleu, lui-même cité par Hubert Nyssen: il n'obtient ni le Goncourt, ni le Renaudot, mais le Médicis. Faut-il lire un regret de ne pas avoir été couronné d'un prestigieux prix littéraire français pour la raison suivante ?

« Louis Severin était persuadé qu'on lui faisait payer sa belgitude »

Mais je vais m'arrêter-là car j'en ai déjà trop dit.

Peut-être fais-je fausse route mais il me semble que Quand tu seras à Proust, la guerre sera finie est un roman assez sombre. Curieux en effet pour moi qui ai eu l'immense privilège de le rencontrer de l'entendre dire qu'un personnage lui ressemblant étrangement « avait eu vent de tout et n'avait participé à rien ». S'agit il plutôt d'une étape transitoire qui annonce une réconciliation avec lui-même ?

Après tout, sur son blog, Hubert Nyssen livre une citation d'Eugène Fromentin: « Je me suis mis d’accord avec moi-même, ce qui est bien la plus grande victoire que nous puissions remporter sur l’impossible. »

Il est vrai que de telles entreprises durent longtemps... même pour les gens patients.


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