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Un exemple de « franco-centrisme » de la presse française

Publié le 03 mai 2009 par Lozsoc
Daniel Cohn-Bendit

Daniel Cohn-Bendit

Après les envolées lyriques de Maurice Szafran, c’est au tour de Nicolas Domenach de montrer une nouvelle fois ses talents de procureur (Marianne, n°628, «Mais où vas-tu «Bendit» ?» mai 2009, p.43) :

« Daniel Cohn-Bendit, l’ex-Dany le Rouge, aujourd’hui tête de liste d’Europe-Ecologie, jure qu’il a « toujours le coeur à gauche »… Mais il fait des déclarations de plus en plus à droite. Ainsi en Italie, dans des propos qui n’ont pas été repris en France, mais qui sont retranscrits par le quotidien Corriere della Sera, ce caboteur cabotin de talent appelle les écologistes italiens à se tourner vers… Sylvio Berlusconi plutôt que de rester alliés à la gauche exclue du pouvoir pendant au moins quatre ans. « Il faut prendre des risques, se mélanger, on ne peut pas rester toujours d’un seul côté », recommande l’ancien anarchiste, qui ne doit pourtant pas ignorer que l’alliance berlusconienne comprend la droite extrême et xénophobe. »

Domenach fait allusion ici à un article d’Alessandro Trocino du 21 avril dernier intitulé « Cohn-Bendit aux Verts italiens : regardez à droite, soyez transversaux, car la gauche, pendant 4 ans, ne sera pas au pouvoir ». Le journaliste italien écrit:

« Daniel Cohn-Bendit est venu à Rome pour soutenir les Verts italiens et la (probable) chef de groupe parmi les candidats du nord-est pour SI (Gauche et Liberté), mais avec son style habituel, il a souligné que : « les Verts continuent de regarder à gauche, alors que pendant quatre ans, celle-ci ne sera pas au pouvoir. Et en attendant ? Il faut être transversaux  si vous vous voulez être influents [...]». La porte-parole des Verts, Grazia Francescato, lui a alors objecté : « mais, Daniel, sais-tu quelle droite nous avons ici ? », et le débat s’est poursuivi, Cohn-Bendit rétorquant : « et la gauche italienne alors ? ». Débat intense et profitable, que celui pour le lancement de la campagne de Monica Frassoni, couverte d’éloges par Cohn-Bendit. »

Or, Domenach ne dit rien du « débat intense et profitable », relevé par son confrère, pas plus qu’il ne mentionne la réponse de Daniel Cohn-Bendit à l’objection amicale de Madame Francescato (« et la gauche italienne alors? »).

Nicolas Domenach

Nicolas Domenach

C’est là tout le drame de la presse française qui, incapable de se saisir des données politiques propres à chaque pays européen, ramène tout au débat franco-français duquel elle tire des règles générales. En effet, Domenach n’a cure de l’Italie et de sa situation politico-institutionnelle. Ce qui l’intéresse en l’occurrence, c’est de démontrer que Cohn-Bendit vit dans l’admiration de Sarkozy, qu’il est en réalité de la même famille que tous ces ralliés de gauche au sarkozisme allant  même jusqu’à conseiller ses amis politiques italiens de se compromettre avec l’extrême droite…

La réponse de Cohn-Bendit à Francescato fait directement référence à la situation actuelle de la gauche italienne au sujet de laquelle Domenach ne dit rien (ce qui est tout de même paradoxal pour une chronique intitulée « Le dessous des cartes »). C’est dommage car il aurait été intéressant de préciser que le Parti socialiste italien (PSI) a disparu depuis quinze ans de la vie politique italienne. Il aurait été également instructif de rappeler que le PSI s’est dissous en 1994, à l’issue de son 46ème Congrès, non aux termes de savantes disputes idéologiques sur «socialisme», «social-démocratie» et «social-libéralisme», mais en raison de l’opération anti-maffia et anti-corruption «Mani pulite» (Mais propres) débutée le 17 février 1992, à l’initiative du juge Di Pietro. Le PSI ne s’en est jamais remis tout comme la Démocratie chrétienne (dans laquelle se reconnaissait un certain François Bayrou) qui, elle, régnait sur la vie politique italienne depuis l’effondrement du régime fasciste et la proclamation de la République en 1946.

Cela fait donc quinze ans que les socialistes italiens vivent dans la désunion et peinent à trouver un terrain d’entente pour jeter les bases d’une structure politique commune. En mars 2008 un nouveau PS s’est fondé tandis que le Parti des démocrates de gauche de Walter Veltroni, issu de l’ancien Parti communiste italien (PCI), a choisi de se fondre dans une coalition de progressistes appelée « La Marguerite ».

Nicolas Domenach croit donc déceler une compromission là où Cohn-Bendit s’exprime dans le contexte institutionnel italo-italien. Le journaliste de Marianne oublie de préciser que l’Italie est sous un régime républicain parlementaire strict où le mode de scrutin est la proportionnelle intégrale. Les majorités ne peuvent donc être que le résultat de coalitions. Le président du Conseil italien doit forcément être un homme de compromis, s’il veut assurer la pérennité de son gouvernement et espérer mettre en œuvre le programme pour lequel le parlement l’a élu. Et le moins que l’on puisse dire est que ce n’est pas chose facile. En effet, depuis 1946, l’Italie a connu 38 gouvernements ! Depuis 20 ans, 12 gouvernements se sont succédés.

Par conséquent, on ne saurait sérieusement reprocher à Cohn-Bendit d’inciter les Verts italiens à envisager des coalitions possibles, y compris avec la droite italienne – laquelle n’est pas entièrement réductible aux anciens fascistes de l’Alliance Nationale –, pour mener à bien certaines réformes préconisées par le programme écologiste, alors que la gauche italienne, pour le moment, n’est pas en capacité structurelle d’offrir une majorité politique alternative.

La critique de Domenach est d’autant plus paradoxale que la transversalité préconisée par Cohn-Bendit  est très exactement celle que François Bayrou voudrait instaurer en France, à savoir une majorité de coalition qui soutiendrait un gouvernement composé de personnalités de droite, du centre et de gauche. Le seul problème de taille, c’est que les institutions françaises sont fondées sur un clivage plus accentué, qui ne permet  justement pas l’émergence d’un « marigot centriste » susceptible de faire des liens entre la droite et la gauche.

Visiblement satisfait de sa pseudo-démonstration, Domenach croit alors utile de préciser en guise de conclusion :

« Quand on fait en même temps des ronds de jambes et de mot devant Sa Majesté si « énergique » Nicolas Sarkozy, on peut difficilement passer pour un contestataire du désordre néolibéral établi… »

On rappellera, pour mémoire, la critique virulente que Cohn-Bendit a faite du bilan de la présidence française de l’Union européenne. C’était en décembre 2008, en séance solennelle du Parlement européen, en présence de Nicolas Sarkozy.

On est bien loin des « magnifiques ronds de jambes et de mot » dont Domenach accuse Cohn-Bendit afin de participer à la désinformation des citoyens Français.


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