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La Fortune de Richard Wallace

Publié le 11 mai 2009 par Savatier

 Les archives publiques et privées recèlent encore bien des secrets de nature à remettre en question l’image officielle des célébrités passées et présentes. Ainsi en est-il du philanthrope et collectionneur d’art Richard Wallace, l’un des plus parisiens des britanniques du XIXe siècle.

Je m’étais, depuis de nombreuses années, intéressé à ce personnage attachant, notamment lorsque j’avais écrit ma biographie de Madame Sabatier – La Présidente – dont il avait été l’amant dans sa jeunesse, qu’il avait voulu épouser dans les années 1860 et à laquelle, fortune faite, il avait fait verser une pension qui lui avait permis de finir confortablement ses jours.

La rareté des documents le concernant – y compris à l’état civil et en dehors d’un manuscrit inédit d’Apollonie Sabatier – ne m’avait guère donné l’occasion de pousser mes recherches au-delà de la version officielle de sa biographie, et, ce, en dépit de l’excellent accueil que m’avaient réservé les conservateurs de la Wallace Collection de Londres. C’est à cette version officielle que s’est attaquée l’historienne Lydie Perreau, dans un intéressant roman intitulé La fortune de Richard Wallace (J.-C. Lattès, 300 pages, 19,50 €).

On aurait pu s’interroger sur le parti-pris littéraire du roman, en lieu et place d’une biographie classique. Il n’est en effet pas toujours facile de distinguer la part de fiction et celle de la vérité historique dans un roman, ce flou pouvant parfois nuire à la crédibilité de l’ouvrage. L’auteure a toutefois su contourner habilement cet obstacle, en livrant des annexes dans lesquelles sont consignés documents, sources historiques et bibliographiques, ainsi qu’une indication précise sur le choix qu’elle a opéré des passages romancés. Le résultat s’avère convaincant.

La biographie officielle de Richard Wallace l’avait toujours présenté comme le fils naturel

de Richard Seymour-Conway, quatrième marquis d’Hertford, lequel possédait l’une des plus grandes fortunes et l’une des premières collections d’objets d’art d’Europe. Secrétaire de Richard Seymour (qui vivait à Paris), il avait hérité, à la mort de ce dernier survenue au cours de la guerre de 1870, de presque tous ses biens et s’était empressé de mettre une partie de cette fortune au service des Parisiens assiégés. Car si le nom de Richard Wallace reste attaché aux célèbres fontaines dont il ne reste malheureusement que quelques unités dans certains quartiers de Paris, on a un peu oublié qu’il avait, durant le conflit, doté le 13e corps d’armée d’ambulances de campagne, qu’il avait créé des antennes de secours, fait distribuer des bons de nourriture, qu’il était venu en aide aux familles privées de logement, avait installé un hôpital au rez-de-chaussée de son hôtel du boulevard des Italiens et créé le Hertford British Hospital pour les Anglais pauvres de Paris.

Ayant eu accès à des archives inédites, Lydie Perreau, descendante de Seymourina, la pupille de Lord Hertford, apporte sur Richard Wallace un regard nouveau. Sans doute le mécène, dont les actions de bienfaisance ne sont nullement remises en cause, perd une partie de son aura, mais sa personnalité y gagne en densité, en complexité, au point de le faire ressembler à un héros balzacien. L’auteure pense ainsi que Wallace n’aurait pu être le fils de Richard Seymour, celui-ci ayant probablement souffert de stérilité. A cette hypothèse, s’oppose la ressemblance troublante des deux hommes, attestée par des portraits et des photographies, mais Lydie Perreau fonde son argumentation sur des documents et des témoignages de nature à faire naître de sérieux doutes sur cette filiation.

En outre, l’auteure avance que, profitant de circonstances exceptionnelles induites par la guerre et l’approche des troupes prussiennes, Richard Wallace aurait dissimulé une partie des dernières volontés de Richard Seymour dans le but de se faire attribuer un héritage qui ne lui revenait pas. L’analyse qu’elle propose des testaments et codicilles, ainsi que des minutes notariales, d’un compte-rendu du juge venu poser les scellées au château de Bagatelle où reposait le défunt et de divers témoignages vient confirmer son hypothèse.

Dès lors, se pose une question évidente : pourquoi Wallace, homme charmant si l’on en croit Madame Sabatier, mécène généreux, comme l’a retenu l’Histoire, s’était-il livré à une captation de testament ? Le roman apporte de nombreux éléments de réponse. Lydie Perreau, d’une plume plutôt alerte, retrace la vie de l’enfant abandonné aux mauvais soins d’une concierge, recueilli par MieMie, troisième marquise d’Hertford (mère de Richard Seymour) à laquelle il servira de page, de factotum et d’infirmier, devenu enfin, après la mort de cette dernière, secrétaire du quatrième marquis. Le récit est vivant, il donne une description assez fidèle des salons et de l’aristocratie de l’époque. Il permet surtout de mieux cerner la personnalité de Richard Wallace et de comprendre son geste, motivé par un désir de vengeance muri pendant des années et entretenu par Julie Castelneau, une ancienne vendeuse en parfumerie dont il avait eu un fils et qu’il finira par épouser, faisant d’elle, il faut l’avouer, une bien piètre Lady Wallace !

L’auteure tente au passage de réhabiliter l’image de Richard Seymour (qu’elle nomme ici Beauchamp, comme l’appelait sa mère), souvent égratigné par ses précédents biographes et brosse un intéressant portrait de son frère, le facétieux Henry Seymour, l’un des « lions » de la Monarchie de Juillet et du Second-Empire. Je ne lui ferai qu’un reproche, bien mince et relevant de ces détails qui font les délices des historiens dès qu’ils se rencontrent : c’est d’avoir donné à Henry Seymour ce surnom de « Milord L’Arsouille » comme il est communément admis, alors que c’est à Charles de la Battut, fils naturel d’un pharmacien anglais et d’une émigrée, plus tard reconnu par un aristocrate breton, dandy un temps adulé du Boulevard, que revient ce sobriquet. Quoi qu’il en soit, Lydie Perreau signe là un roman historique dont on comprend vite qu’il repose sur une sérieuse enquête, et qui se lit avec un plaisir évident.

Illustrations : Fontaine Wallace - Sir Richard Wallace.


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