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Du superficiel comme arme de fiction massive

Par Fric Frac Club
Du superficiel comme arme de fiction massive
Il faudra qu'un jour on arrête de nous faire bouffer du gravier en nous le faisant passer pour des macarons de chez Fauchon. A force d'user & d'abuser de superlatifs pour tout & n'importe quoi on finira bien par trouver tout à notre goût, & le médiocre, la chose moyenne & inoffensive sera le talon d'une qualité devenue inattaquable. C'est déjà d'ailleurs le cas lorsqu'on lit les suppléments des journaux parisiens & la quasi totalité de la presse spécialisée (on passera joyeusement sur la « chronique littéraire » régionale qui est d'une indicible crétinerie, d'un localisme frisant l'autisme)... journaux & presse spécialisée donc qui, depuis belle lurette, n'ont d'autre occupation que de niveler tout ceci vers le bas: une œuvre de normalisation en quelque sorte... pire: de quasi sacralisation. Sacralisation du moyen, du mou, du bof, du flasque. Un sang fade coule dans les veines de notre appareil critique & intellectuel autopromotionné (relire Perry Anderson). C'est pourtant dans les pages d'un magazine bien moins moutonnier que j'ai trouvé une singulière enquête: « Stéphane Audeguy. Éloge de la fiction » (Le Matricules des Anges – mars 2009). Les goûts & les couleurs ne se discute pas. Quoique...
Alors que les choses soient claires avant que je ne tire dans tous les coins: Nous Autres de Stéphane Audeguy est loin d'être un mauvais livre. Il est aussi très loin d'être le petit bijou que la pluie d'articles dithyrambiques qui a accueillie sa sortie essaie de nous le faire croire, & depuis que je suis de nouveau obligé de payer tous les livres que je lis c'est un détail technique auquel je fais particulièrement attention.
Deux romans coexistent ici: celui beau, mélancolique, poétique & surtout trop mince racontant l'histoire du Kenya à travers celle de la construction d'une ligne de train le traversant de part en part, raconté par les voix fantômes du pays, puis, celui presque insipide, nu & pourtant central des personnages de Nous Autres (en tout cas de leurs trajectoires dans la fiction). Car voilà le grand problème du livre: Audeguy a tout donné dans son parfait & autosuffisant premier chapitre. Bijou d'ironie & d'équilibre qui aurait sans doute remporté haut la main la médaille d'or en finale des Championnats du Monde de Nouvelles. La suite ressemble malheureusement au ronron un peu plat auquel une grande partie de la production française nous a habitué depuis – hum – disons depuis le Nouveau Roman. Cette « écriture écrue » dont parle Jourde & qui parvient à tirer d'un grain de poussière une quantité de mots inutiles mais fort bien agencés est le principal piège de ce livre car elle pourrait facilement s'approprier toute l'attention du lecteur & ainsi masquer les nombreuses faiblesses qu'elle a elle même engendré. Une écriture élégante mais qui glisse à la surface d'un sujet pourtant sans fin. Le Matricules des Anges, disions nous, titre en couverture: « Éloge de la fiction » avec une photo d'Audeguy en génie espiègle de la littérature: front en contre-plongée & sourcils mystérieux à la Alain Fleischer. Elle est pourtant très mince la fiction dans Nous Autres & le résumé tient dans un dé à coudre: un homme est retrouvé mort au Kenya. Il était français, humaniste à tous les coups. Son fils, qui ne l'a pas connu (si peu), part à Nairobi pour l'enterrer & y découvrir un demi-frère qu'il ne connaissait pas. Entre les deux: un mélange bancal mais malgré tout bien torché (le piège) de choses vues, dont on imagine aisément qu'elles sortent d'un carnet moleskine que l'auteur a noirci là-bas (Audeguy a passé deux mois au Kenya pour écrire le livre): description de l'avenue Kenyata (histoire du personnage), du Monument aux soldats de l'Empire (histoire du monument), du jardin mémorial de l'attentat de l'ambassade américaine (histoire du jardin mémorial de l'attentat de l'ambassade américaine), cours d'économie horticole un poil chiants (histoire de l'économie horticole) etc etc etc... culpabilité post coloniale, œcuménisme bon teint, courts portraits de personnages sans véritable relief, quelques petits bouts de fiction dont la pelote reste obstinément intacte & quelques belles lignes éparses (notamment la voix des morts qui revient comme un refrain). Plus descriptif que narratif? A mon sens, cela ne fait aucun doute. En lisant Nous Autres j'ai eu la sensation qu'Audeguy utilisait le prétexte d'une histoire de filiation pour nous refourguer ses impressions de voyage.
Le Kenya, l'Afrique parlons en donc. L'Afrique si jeune & ancestrale, continent entier de potentialités littéraires innombrables, de mythes extra nationaux qui depuis Conrad en passant par Céline, Deville, Calaciura, Chevillard & tant d'autres prête (bon gré, mal gré) ses flancs à la plumes des toubabs. Focus vers l'est & les grands lacs, vers les effluves épicées de Zanzibar. Un peu plus haut, le Kenya où se déroule la « fiction » de Nous Autres. Toujours selon le Matricules des Anges: « Le Kenya se donne à nous comme si il nous était permis d'en pénétrer l'histoire & l'essence » & plus loin: « Audeguy pourrait être un sociologue ou un historine dont la fiction serait l'instrument, en même temps qu'un penseur lucide & ironqiue »... penseur lucide & ironique... sociologue ou historien... Pffff... c'est trop! C'est beaucoup trop pour un livre dont le discours reste tant dépouillé. Même si le roman contient indéniablement de magnifiques phrases, de très belles évocations (toujours le piège), Audeguy parle du Kenya comme les pointillistes peignaient les bords de Marne: par petites touches superposées. Sauf qu'on est loin d'avoir la même profondeur. C'est plutôt: Vite! Qu'on en finisse! Audeguy est capable d'accélérer la vie de ses personnages en quelques lignes, non pas comme une géniale ellipse ou une simple manipulation de forme mais un peu comme l'on fait défiler les pages d'un album de photographies dont on connaît déjà le contenu pour l'avoir regardé cent fois: à toute vitesse, & ça donne une ribambelle d'instantanés (les micro chapitres allant de 0 à 96) qu'on avale goulûment: Pierre à l'école, Pierre photographe, Pierre & maman, Pierre & papa, Pierre & le cadavre de papa, Pierre rencontre une coureuse de fond kenyanne (sic), Pierre sauve un coquillage de la mort, ce qui semble relever d'une importance mystique & définitive... le tout lié & introduit par une armada de conjonctions de première bourre: « Durant la première semaine... » (p27, chapitre 5), « Après le départ de Pierre... » (p29; chapitre 6), « Plus tard... » (p34, chapitre 8), « Le lendemain soir... » (p36; chapitre 9), « Au bout de quelques mois... » (p38, chapitre 10), « A son retour à Paris... » (p43, chapitre 12), « A l'entrée de l'adolescence... » (p45, chapitre 13), « Ensuite Pierre a vécu, comme tout le monde. Il a aimé, il a souffert, il a acheté des choses, a vécu avec des femmes, il est parti en vacances...» (p47, chapitre 14)... genre: voilà, ça c'est fait & ça continue comme ça tout au long des courtes 250 pages du roman. Mais passons sur la pauvreté navrante de ses personnages puisqu'elle est revendiquée par l'auteur lui-même: « En fait, je m'en fous du personnage. Un personnage pour moi, c'est une espèce de capture d'une force ou d'un affect […] Ce qui compte, ce n'est pas de raconter la vie de Machin ou Truc, c'est de trouver une tonalité ou une présence qui vous intéresse & qui évidemment ne se rapporte pas à des coordonnées psychologiques. » &, bordel de Dieu, c'est son droit le plus stricte. On serait donc en droit d'attendre un peu de rab au niveau des évènements, du récit à proprement parler. On se dit qu'il va fouiller de ce côté ci (Éloge de la fiction ), mais il n'en est rien. Les 96 chapitres se suivent, restent désespérément à la surface, apparaissant au gré des pages comme une remarque dans une discussion: « Ah! Au fait, je ne t'ai pas raconté les bars à putes de Nairobi. Si? » (histoire des bars à putes de Nairobi) & on s'agace devant ce survol incessant des choses que quelques piques bien aiguisées croient pouvoir masquer alors que le premier chapitre présageait justement le contraire, voire bien plus.
Au détours de la page 56, alors les aventures merveilleuses de la fiction au Kenya viennent tout juste de commencer, un instant émouvant de lucidité: « Il se répète qu'il est en Afrique, il sait bien qu'il n'existe rien qui soit vraiment l'Afrique, il sait bien que l'Afrique n'existe pas ... ». C'est une phrase d'une justesse désarmante & qui dédouane Audeguy des propos du Matricules (l'intégralité de l'article ne laisse aucun doute sur le recul que le romancier porte sur cette « expérience » africaine). Personnellement, elle me fait penser à un roman écrit par Chevillard sur l'Afrique ou plutôt sur son impossibilité en tant que sujet romanesque: Oreille Rouge. Lui même me ramenant à Kafka par des chemins biaisés: se rappeler que Kafka n'a jamais mis les pieds en Amérique... on se dit que c'est peut être pour ça qu'il a foutu une épée dans les mains de la statue de la Liberté à la place d'un flambeau... je plaisante bien sûr. L'ironie des choses.
En parlant d'ironie: l'arme secrète d'Audeguy serait alors ce ton dévastateur & répétitif qu'il déploie dans ses pages. Ironie carrément géniale parfois (voire le toujours fameux premier chapitre ou ceci, pris au hasard, page 155: « Au commencement du XX ème siècle, les premiers Kényans blancs s'installent d'autorité près du lac. On leurs a promis que ces terres seraient désertes; il y a bien des indigène mais ils sont incapables de produire le moindre document attestant leur propriété sur cette plaine où depuis deux mille ans ils paissent leurs troupeaux. »). Ironie comme un effet de style, comme une rengaine aussi, ritournelle bien rodée qui réveille une vieille culpabilité d'européen, arrière petit fils de colons. Ça fonctionne bien sûr, malgré la redite convenue (les touristes européens sont des gros balourds qui baisent avec de jeunes noires d'à peine 16 ans, l'Empire britannique en sauveur administratif & culturel & insensible, les fameux bar à putes de la capitale etc etc). L'indigestion n'est pas loin qui me fait penser à un de mes professeurs à l'université. Il commençait toujours ses cours avec quelques blagues sur Le Pen (qu'il appelait le Borgne, c'est plus cool). Dans une faculté de Lettres & de Sciences-Humaines comme celle d'Aix-en-Provence, qu'on peut facilement qualifier d'extrême gauche de parade, la manœuvre faisait mouche à chaque fois. Audeguy utilise, à mon sens, la même ficelle démagogique à laquelle on ne peut qu'adhérer. Ces piques lancées sur les touristes, les colonialistes, le Grand Paléontologue sont toujours justes & incisives. C'est bien fait, très bien fait même mais c'est tout & ça ne va pas plus loin. On dirait que c'est posé là, histoire de nous montrer qu'Audeguy n'est pas dupe de ce qu'il se joue ici. Sous une photo montrant des embarcations sur les rives du lac Turkama on peut lire cette légende: « L'écrivain a passé deux mois au Kenya pour écrire Nous Autres ». Alors, ici ce trouve peut être la fantaisie de le comparer à un « sociologue », « historien », à un « penseur lucide & ironique » & son dernier roman à une « éloge de la fiction ».
Stéphane Audeguy, Nous Autres (Gallimard).

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