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Au chevet de l'enfant malade, quelle place pour les parents à l'hôpital ?

Publié le 18 mai 2009 par Anonymeses

Au chevet de l'enfant malade, quelle place pour les parents à l'hôpital ? Mougel, Sarra, Au chevet de l'enfant malade. Parents/professionnels, un modèle de partenariat ?, Armand Colin, coll « Sociétales », 2009

Avec Au chevet de l'enfant malade. Parents/professionnels, un modèle de partenariat ? Sarra Mougel souhaite réfléchir à la place aujourd'hui accordée aux parents dans les services hospitaliers de pédiatrie. Le cadre théorique sur lequel s'appuie l'ouvrage est celui dessiné par Anselm Strauss dans la Trame de la négociation[1]. Sarra Mougel veut examiner comment les parents prennent place dans « l'ordre négocié » de l'hôpital et participent à la construction de la « trajectoire de maladie » de l'enfant, à partir d'une enquête ethnographique réalisée dans deux services de pédiatrie : un service de pédiatrie générale accueillant des enfants pour des hospitalisations courtes, pour des pathologies infectieuses de faible gravité, l'autre service est un service d'hépatologie pédiatrique hyperspécialisé.

Le premier chapitre « Des parents longtemps tenus à distance » revient sur l'histoire de l'ouverture des services pédiatriques aux parents, une mise en contexte historique qui part de la création des premiers hôpitaux d'enfants au début du XIXe siècle. La profondeur de l'histoire permet de saisir les ambiguïtés de la politique d'ouverture, les retards français par rapport à son voisin anglais et surtout permet de rappeler que la présence parentale au chevet d'un enfant malade ne va pas de soi, l'ouverture des services pédiatriques aux parents n'ayant été officialisée en France, qu'en 1983. Cette ouverture de l'hôpital aux parents coïncide avec une nouvelle représentation de l'enfant malade, qui a commencé à émerger à partir des années cinquante, avec la montée des savoirs psychologiques. Ouvrir les portes des hôpitaux aux parents, les tolérer au sein de l'espace médical devait répondre au souci d'améliorer les conditions d'hospitalisation.

A toutes les périodes, les parents sont perçus comme des éléments perturbateurs des soins, que les équipes médicales cherchent à tenir à l'écart. La révolution pastorienne alimente la peur des microbes, et les parents, agents extérieurs sont considérés comme pathogènes. Plus tard, ils seront considérés comme troublant le service médical. Sous couvert du réconfort apporté aux enfants, les parents compliqueraient le travail des soignants et ils sont suspectés de vouloir contrôler les soins prodigués à leurs têtes blondes. Si aujourd'hui la présence parentale est acceptée, elle doit rester cantonnée dans certaines limites précises.

Le second chapitre « Des parents inégalement présents » met en évidence la « division du rôle de garde-malade » au sein des configurations familiales. Le rôle de garde-malade est assigné de façon prédominante aux mères, dont l'absence aux chevets de l'enfant est moins tolérée que celle du père, et doit être justifiée, ce qui n'est pas réciproque pour les pères ! Même si elles sont les premières à être sollicitées, les mères ne sont pas seules à assumer le rôle de garde-malade : «  dans le partage du devoir de présence, les ressources professionnelles de chaque membre du couple peuvent être mises en balance » (p 72). S'il n'est pas présent, le conjoint offre un relais dans l'organisation domestique ou hospitalière. Il n'est pas rare que les deux membres du couple souhaitent être présents ensemble, ce qui permet d'analyser le partage des tâches dans la co-présence à l'hôpital. L'enquête aurait méritée d'être approfondie. Qu'en est-il de la répartition sociale des modalités de la présence parentale ? Dans quels milieux sociaux, la mère s'investit-elle plus au chevet de l'enfant ? Si la nécessité d'être présent au chevet de l'enfant malade bouleverse l'organisation domestique, il est nécessaire de connaître au préalable cette organisation différenciée, la seule variable genre ne saurait rendre raison des bouleversements.

Le troisième chapitre « Des parents partenaires des soins ? » vise à prendre en compte le statut de « membres » provisoires de l'organisation de l'hôpital des parents. Il s'agit de « repérer la place prise par les parents dans la division du travail hospitalier » (p 99). La participation des parents aux soins quotidiens est vivement recommandée par la circulaire du 1er août 1983, et cette exhortation est largement admise par les parents/mères des enfants. Ceux-ci se voient confier des tâches (nourrir, laver, habiller, changer...) dans la continuité de celles réalisées à la maison. Les parents assurent également des tâches de surveillance des enfants, des machines et perfusions, en gardant toujours le souci de servir les intérêts de leurs enfants, d'offrir des repères affectifs. La frontière entre les pratiques professionnelles et celles profanes déléguées aux parents sont mouvantes, selon qu'il s'agit d'économiser les ressources de l'hôpital ou de préparer les parents au retour de l'enfant au domicile familial (« délégation préalable »).

Mais la relation entre parents et professionnels n'est pas enchantée, comme vise à le démontrer le chapitre quatre « Des parents contrôleurs des soins ? ». Pour pallier aux controverses entre parents et soignants sur la qualité des soins, les parents choisissent d'opérer un contrôle discret des interventions. L'autre point autour duquel se nouent des tensions est celui de l'accès des parents à l'information et à l'intervention dans les décisions médicales.

Finalement au regard des tensions entre parents et professionnels, l'auteure se demande si l'on ne peut pas parler « d'un encadrement de la parentalité » à l'hôpital, à partir de l'analyse du discours des professionnels, dans les coulisses du service. Lors des réunions entre professionnels, les parents sont appréciés, au regard de leur capacité à prendre en charge l'enfant à sa sortie de l'hôpital, à répondre aux exigences médicales. Temps de présence des parents, qualité de la présence parentale sont évalués, de sorte que l'on peut parler d'un véritable contrôle exercé sur les pratiques parentales. Lorsqu'elles sont non-conformes aux attentes, l'équipe médicale tente de les réformer. « Un certain modèle de maternage est transmis aux parents de manière directe ou indirecte » (p 234), une « éducation au traitement » passe également des professionnels vers les parents. Si les équipes médicales valorisent l'implication parentale, les professionnels craignant qu'elle ne devienne une ingérence, de sorte que les parents font l'objet d'un contrôle resserré.

Une annexe méthodologique complète le propos, mais à cet égard, on peut émettre quelques réserves. L'annexe méthodologique aurait mérité plus de précisions, notamment en ce qui concerne le profil des services pédiatriques étudiés. On aurait aimé trouver également le profil des enfants hospitalisés (durée de l'hospitalisation au moment de l'enquête - type de maladie), et les profils sociaux des familles. L'ouvrage concède à sa vocation généraliste, il se lit bien, l'écriture est extrêmement fluide, mais la présentation de l'assise méthodologique de l'enquête, qui intéresse le public étudiant ou universitaire, fait un peu défaut dans l'ouvrage. Mais telle n'est peut-être pas non plus le public ciblé par la collection « Sociétales »... Dans chacune des analyses menées, il aurait été opportun, afin de poursuivre l'analyse, de mentionner les origines sociales des parents et les conséquences de ces dernières dans les conflits parents-professionnels, dans l'implication dans les soins...Toutefois, l'ouvrage fait une large part aux extraits d'entretiens et à des extraits de journal de terrain, et témoigne d'une enquête solidement bâtie.

Frédérique

[1] Strauss, Anselm, La Trame de la négociation. Sociologique quantitative et interactionnisme, Paris, L'Harmattan, 1992, (textes réunis et présentés par Isabelle Baszanger)


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