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La déprime du dimanche soir de palmarès

Publié le 25 mai 2009 par Joachim
Resnais, Bellochio, Suleiman, si ça peut vous consoler, dites-vous que certains cinéastes sont trop grands pour recevoir des petits prix et que, quand ils en reçoivent, ils ont l'air à peu près aussi "heureux" qu'Haneke :
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Bon sinon, comme tout ivrogne de cinéma qui se respecte, quelques commentaires de bistro (même si je n'ai vu que la moitié des films de la sélection et pas Audiard, Andrea Arnold, Lou Ye et Park Chan Wook).

Triste donc pour Suleiman et Bellochio. Content pour Mendoza (la seule décision vraiment tranchée et tranchante du palmarès) et Christoph Waltz (nouvelle mise en application de l'axiome hitchockien : "plus le méchant est réussi, plus réussi est le film"). Palme pas scandaleuse pour Haneke, mais guère passionnante non plus. Pas inintéressant, maîtrisé, mais quand même fort vitrifié et très propre, tout ça. Et s'il suffisait de faire austère et de chiader son noir et blanc pour se retrouver "entre Bergman et Dreyer", ça se saurait. Même les films les plus sombres et naturalistes de Bergman demeurent toujours prompts à faire surgir un incroyable et inattendu imaginaire et c'est justement l'imaginaire, le grand absent du cinéma de Haneke (le fantasme est toujours là, mais plutôt en épée de Damoclès, sur le mode culpabilisant). 

S'il s'agit de comparer les films à thématiques et à démarches comparables (sonder la généalogie de la barbarie de son pays, sonder l'Histoire en la ramenant dans la chronique du présent, ambition de fresque), Le ruban blanc n'avait, somme toute, qu'un seul film rival :Vincerede Bellochio. Intéressant de voir comment ces deux films pourraient se regarder en chiens de faïence.

Sur le plan de la "direction artistique", deux revisitations des avant-gardes : la nouvelle objectivité photographique chez Haneke (même si l'action de son film est antérieure à l'émergence du mouvement) versus le futurisme dans le théâtre d'ombres de Bellochio. Mais là où Haneke déploie consciencieusement sa scénographie, Bellochio paraît réellement réinterroger les formes et les idées de l'époque, pas tant pour les faire résonner avec aujourd'hui que pour en retourner toutes les ambiguïtés et les réorienter vers sa propre colère d'artiste. Pour aller vite, j'ai l'impression très nette que Bellochio pratique une sorte de "judo narratif et formel": s'appuyer sur la puissance ostentatoire, sur la grandiloquence de son ennemi pour mieux la détourner vers ses propres cibles (l'hypocrisie des institutions pour encore une fois, aller très vite). 

Vincere est un film complexe, complexe sur le plan de la forme et du contenu, complexe aussi parce que presque anachronique. Il évoque davantage "la grande fresque d'auteur des années 70"  que les contemporaines poses post-modernes. En ce sens, cet examen d'une famille "clandestine" rendue dysfonctionnelle par l'Histoire pourrait dialoguer avec Le conformiste de Bertollucci qui examinait déjà le fascisme à la lumière d'Oedipe.

Alors que le Ruban blanc reste quand même balisé, Vincere est foisonnant. Là où Haneke reste didactique, Bellochio préfère la dialectique. Quand Haneke reste (et restera) le prof honoré de sa Palme (académique ?), Bellochio demeure l'éternel (jeune) homme en colère du fond de la classe (et Resnais l'élève faux dillettante, brillant et rêveur).

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Pour finir (en attendant peut-être de revenir sur Moullet, le film collectif roumain et d'autres), l'inévitable palmarès subjectif :

Palme d'or du film incompris : Inglourious basterds (Bon, je ne dis pas que je suis en télépathie avec Quentin, que moi j'ai tout compris contrairement aux nombreux déçus par le film, mais voilà une oeuvre beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît, en particulier sur l'obsession tarantinienne de la vengeance, et dont le final reste tout de même un summum plastique).

Prix Marcel Proust (faux nombrilisme, tableau d'une société, élégance du style) : Time that remains d'Elia Suleiman

Prix Pedro Almodovar du plus beau portrait de femme : Mother de Bong Joon-Ho

Prix Michelle Pfeiffer des retrouvailles les plus délicieuses : la merveilleuse, la classieuse, la resplendissante Irène Jacob en mère d'élève délurée dans Les beaux gosses de Riad Sattouf (et dire que je ne l'avais même pas reconnue).

Prix du meilleur édito contenu dans une réplique de film : "Le Président Chirac avait une fille schizoïde, mais pas le Président Sarkozy qui diminua donc les crédits de la psychiatrie". (in La terre de la folie de Luc Moullet).

Prix des "Choristes pervers" pour la meileure réplique "c'était mieux avant" : "Le mieux, c'est le catalogue de la Redoute 1986, les photos, elles sont pas retouchées, on voit les poils et les tétons sous la lingerie." (citation de mémoire, encore dans Les beaux gosses).

Prix de l'animal de compagnie : le cochon domestique dans Contes de l'âge d'or 

Prix de l'animal de mauvaise augure : le renard parlant dans Antichrist

Prix des meilleures répliques animalières : impossible de départager "Maman, quand je serais un chat, est-ce que je pourrai manger des croquettes ?" (Les herbes folles d'Alain Resnais) et "Le cerf s'est échappé dans Paris ? Mais il trottine où ?" (Visage de Tsaï Ming-Liang)

Prix de la réplique particulièrement mal venue : "Comment faire confiance à quelqu'un qui passe son temps au cinéma ?" (ou quelque chose dans le genre, entendu dans Map of sounds of Tokyo d'Isabel Coixet)

C'est vrai ça, à force de voir trop de films, on va finir par se poser la question. Confiance ou pas confiance ?...


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