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Pas de baisers pour les fantômes

Publié le 26 mai 2009 par Mtislav
  Des nouvelles de Julien Coupat. Par lui-même. C'est dans Le Pavé.
A la lecture, un doute surgit. Et si ce Julien Coupat n'était pas Julien Coupat. Un questionnaire lui a été adressé auquel il a répondu, même les caractères en italique sont de lui. Comment douter alors que ce qui est écrit ne le soit pas autant. Tout simplement, en le lisant. Et si ce n'était pas le cas, celui qui a produit ce texte sait ce que Julien Coupat veut dire. D'ailleurs, tout le texte est une explicitation de cette idée. Même si l'italique est parfois de notre fait...
La glose de Julien Coupat est acérée comme peuvent l'être les textes de prison, un genre littéraire en soi. On n'y trouvera pas d'angoisse poignante*. Ce n'est pas une correspondance privée. La détermination est pourtant la même sans pour autant que Julien Coupat doute une seconde de la nature de la peine qui lui est infligée : "La prolongation de ma détention pour une durée “raisonnable” est une petite vengeance bien compréhensible au vu des moyens mobilisés".
Pas de baisers pour les fantômesDe sa prison, Rosa Luxembourg constatait "l'effondrement du vieux monde qui croule par pans entiers, jour après jour". Et s'étonnait "que la plupart des gens ne s'en aperçoivent pas et croient marcher encore sur un sol ferme." Coupat avance lui le terme de "gigantesque perte de maîtrise", "fin de civilisation", "implosion d'un paradigme". Tout le discours tient dans l'écart qu'il y a entre cette fin annoncée et la démesure des moyens visant à ce que la société finisse par ne point dérailler. Il y a du grotesque dans la détention de Coupat car en fin de compte, sa préoccupation intellectuelle est bien la sortie des rails de la société toute entière au moment même où on l'accuse vous savez de quoi. Car est terroriste celui qui se voit accolé cet adjectif par l'Etat, c'est la définition qu'il donne du terme. Dans son cas, "l'anti-terrorisme a fait un four". A ce compte là, Guantanamo est une école de pâtisserie. 
Ce que Julien Coupat veut dire... Qu'il n'est pas l'auteur de L'Insurrection qui vient. C'est amusant et kafkaïen. Il faudrait que ce soit lui qui ait écrit ce qu'il prétend ne pas avoir écrit quand bien même il tiendrait des propos du même ordre que l'ouvrage, rappelons-le, signé par un collectif mystérieux. Coupat est un peu notre comte de Monte-Cristo, nous lui voulons un peu de mystère, pas celui des petites embrouilles concoctées par des indics, des scénarii de criminologues de série télé ou de responsables de la sécurité en panne de crédibilité. 
Coupat récuse le statut de philosophe, "le deuil bavard de la sagesse ordinaire". Kant, Marx et Hegel ne vont plus oser venir boir un coup avec vous après ça. J'avoue avoir un peu de mal à suivre là. Se définit-il en intellectuel ? P'têt ben qu'ouai, p'têt ben qu'non. La formule utilisée par Coupat est un chef d'oeuvre qui a dû lui coûter plusieurs nuits de sommeil. Le fait même de penser éloignerait l'intellectuel de sa capacité à vivre. "Je suis Edmond Dantès !" Et bien non, c'est raté, on n'est pas dans un roman-feuilleton. Coupat ne veut pas se résumer comme sur une quatrième de couverture. Et, pour paraphraser ce que dit celui qui se dit Coupat, seule la police des oeuvres s'intéresse encore à identifier les auteurs. De sa prison, Coupat répond au tag qui fait fureur sur la toile
Tâchons de traîner en longueur. C'est l'affaire elle-même qui l'exige. Et notre désir de vous voir préférer lire celui qui a lu Gramsci, Foucault et le comité invisible d'ailleurs aussi.  "La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres." Faut-il suivre l'incantation mallarméenne ? - Fuir! là-bas fuir!  Car sorti de son cachot, voilà La Boétie en Coupat. Si lui est en prison, le sort des masses est aux prises avec "l'administration de la misère par le shit, la télé, le sport, et le porno". On est fatigué, celui qui se dit Coupat a certainement tout lu. l'A.S. Neill de Libres enfants de Summer Hill compris. L'école est aussi dénoncée. Tout ce bout à bout est maîtrisé parfaitement comme si vous lisiez votre première leçon d'esperanto. Car si Coupat ne produit pas de la pensée, c'est un maître de musique. 
Comment va-t-il, que fait-il ? Très bien merci. Tractions, course à pied, lecture. On s'étonne que nos gouvernants s'avisent de le maintenir prisonnier. Pour qu'il puisse dire très justement ce qu'il en est de la prison, "le sale petit secret de la société française".
D'autres que lui auraient plus de raison d'avoir affaire au système carcéral. Il l'écrit. Ils mettraient moins à profit leur séjour pour nous faire comprendre ce qui nous arrive. Se désespéreraient. Comme Milena Jesenska, pour qui "les baisers écrits ne parviennent pas à destination, les fantômes les boivent en route".

Celui qui se dit Coupat, ce n'est pas traduit du russe par Dostoïevski. Juste quelqu'un qui ne nous envoie pas de baisers.
* Comme dans la dernière lettre d'Olga Benario à son mari et à sa fille, écrite depuis le camp de Bernburg en 1942 où elle sera gazée après avoir été livrée par la police brésilienne à la Gestapo. "E totalmente impossível para mim imaginar, filha querida, que não voltarei a ver-te, que nunca mais voltarei a estreitar-te em meus braços ansiosos."


PS - Les billets foisonnent semble-t-il sur le sujet : celui de CC, au titre bien féroce, ASI, Slate (qui s'intéresse à la parenté entre L'Insurrection... et le texte du Monde).. 
(photo)  

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