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Mogadiscio, ville martyre

Publié le 09 juin 2009 par Anomalie
MOGADISCIO, VILLE MARTYRE Depuis 1991 et le début de la guerre civile, la Somalie est un pays sans Etat. Seule règne la loi du plus fort. L’administration centrale n’existe plus. L’anarchie a remplacé la justice. Les institutions se sont effondrées. Les seigneurs de guerre, les milices tribales ou religieuses, les chefs de clans, les trafiquants, se sont approprié des territoires aux frontières mouvantes, évanescentes, évoluant au gré des affrontements, sur lesquels s’imposent leur ordre, leur loi, leur joug. La Somalie n’est plus un Etat, mais une juxtaposition hétéroclite de zones de non-droit, un assemblage de fiefs de guerre, balkanisés. Dans les ruines de Mogadiscio errent des fantômes civils qui survivent sous le feu croisé des combattants, entre les tirs de mortiers, les attentats. Les viols en série sont devenus un fléau ordinaire, les pillages une industrie quotidienne, les tributs versés aux différents maîtres de bandes ne permettent même plus de s’assurer la vie sauve. C’est dans ce contexte que les miliciens des Tribunaux Islamiques avaient pris le pouvoir en 2006, avec la promesse de restaurer l’autorité de l’Etat. Ils étaient parvenus, pour la première fois depuis quinze ans, à ramener un semblant d’ordre et de justice dans un Enfer chaotique. La charia ? L’horreur, bien sûr. Pourtant les Somaliens exténués la préféraient encore à l’anarchie. C’est dire… « Mieux vaut la sécurité que le chaos », implorent les populations. Mais à peine quelques mois plus tard, les Tribunaux sont renversés par une coalition emmenée par les troupes éthiopiennes et soutenue par Washington, au nom de la War on Terror. Et ce qui devait arriver arriva, les seigneurs de guerre ont repris les armes, et le dépeçage meurtrier du territoire. De nouveau le vide institutionnel. De nouveau la guerre de tous contre tous. Et surtout l’émergence de miliciens plus fanatiques, plus cruels, plus barbares encore que les seigneurs de guerre : les Chebaab-el-Mudjahiddin, clones des talibans afghans, bien décidés à faire descendre sur Terre leurs ténèbres obscurantistes. Alors l’ancien chef des Tribunaux Islamiques, Sheikh Shariff Ahmed, a été rappelé au pouvoir par le Parlement, et est maintenant soutenu par la communauté internationale face à des milices islamistes incontrôlables. 

MOGADISCIO, VILLE MARTYRE
Trois années supplémentaires de terreur, de crimes, de viols, de guerre, pour en revenir à la situation antérieure. Les néoconservateurs ont donc réussi le tour de force de chasser les seules forces stabilisatrices dans le pays depuis quinze ans, enfantant ainsi un chaos renouvelé d’où ont jailli des djihadistes nihilistes bien plus extrémistes que les Tribunaux islamiques revenus entre temps au pouvoir faute de mieux ! On pensait que de tels incompétents imbéciles, de tels idéologues foireux n’existaient que dans les séries Z. Non. George W. Bush a bel et bien existé, et pour notre malheur, il faisait de la politique… Et Mogadiscio de prolonger son interminable agonie dans les affres de la guérilla, au milieu de ses rues éventrées, jonchées de gravats, de ses immeubles dévastés.

MOGADISCIO, VILLE MARTYRE
Broyée, la ville a perdu près d’un de ses deux millions d’habitants d’avant-guerre. Des dizaines de milliers de morts. Des centaines de milliers de déplacés. Des pêcheurs affamés qui se reconvertissent dans la piraterie sanglante et dont les ombres terrorisent les navires au large du Golfe d’Aden. Les combats qui font rage entre le gouvernement fédéral de transition (TFG) et les insurgés islamistes qui contrôlent la majeure partie de la capitale et du pays, ont tué plus de 300 personnes depuis quinze jours, 17.000 depuis deux ans.

MOGADISCIO, VILLE MARTYRE
Il est impossible aujourd’hui de reconnaître dans ce décor post-apocalyptique la somptueuse « perle blanche » de l’Océan Indien. Mogadiscio. Le joyau architectural de la Corne de l’Afrique. La vieille ville, fondée au VIIIe siècle, constituait un témoignage unique de la complexité urbaine arabo-africaine, à l’extrémité septentrionale de l’aire culturelle swahilie. L’islam soufi y était tolérant et syncrétique, et côtoyait les cultes chrétiens. La plus belle ville d’Afrique ? Certains le pensaient. Mais c’est du passé.
MOGADISCIO, VILLE MARTYRE
Les merveilles d’art religieux chrétien et musulman qui ont échappé aux ravages de la guerre sont aujourd’hui anéantis avec méthode par les milices islamistes, au nom d’une pureté originelle mythique et fantasmée. Pierre par pierre, les anciennes mosquées sont démontées, ou dynamitées, les cimetières profanés, les tombeaux brisés. La somptueuse cathédrale catholique n’est plus qu’une carcasse pathétique au milieu d’un no man’s land de friches urbaines où quelques façades criblées d’impacts élancent encore leur silhouette vers le ciel, rappelant qu’autrefois, ici, étaient des rues, des commerces, des habitations.
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Les larges avenues sont devenues des chaussées défoncées, recouvertes d’ordures et de sachets en plastique ; seuls reliefs de cette ville plate : les monticules d’immondices, dont les combattants se servent pour ériger des barricades putrides. Devant ce bourbier qui se transforme en cloaque à la moindre pluie, le vieux port est méconnaissable : les palais ravagés ne sont plus que l’ombre de leur splendeur passée, les digues de pierre ont sauté, mais les enfants s'amusent encore, malgré tout, dans des eaux stagnantes.
MOGADISCIO, VILLE MARTYRE   Beyrouth. Sarajevo. Vukovar. Mostar. Prizren. Kaboul. Bagdad. Groznyï. Tskhinvali. Mogadiscio rejoint ainsi la longue liste des villes martyres, rasées, anéanties, saccagées par la folie guerrière, la barbarie et la bêtise humaines, depuis vingt ans. Et autant d’héritages culturels, historiques, architecturaux, de merveilles du patrimoine mondial, engloutis.

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