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Taxila au Pakistan

Publié le 10 juin 2009 par Argoul

Comme dans toutes les sociétés traditionnelles non habituées à l’électricité, nous sommes réveillés avec le jour qui pointe et par les autres qui passent, parlent ou font du bruit. Raclements de gorge, jeux d’enfants, le réveil matinal des semblables nous font émerger du monde des rêves et nous forcent à quitter le lit. C’est l’instant du petit-déjeuner dans le routier de Besham. Pas de Ricorée mais du thé. L’œuf gras nous attend, comme le toast anglais, mais pas de bacon en pays musulman ! J’admire un moment le tableau électrique de la salle de restaurant : c’est un carré de bois sur lequel sont alignés artistement, en demi-cercle, les fusibles de toutes les pièces. C’est antique, pas particulièrement pratique, et d’une esthétique de salon victorien.

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Au-dehors, assis sur la pelouse en attendant le bus, la matinée commence par le tri des roupies. Aujourd’hui, la répartition se fait entre boire et pourboire. Les filles dépensent le reste dans la boutique annexe à chaque hôtel. Elles y trouvent foulards, colliers, calottes pathan brodées, bagues et diverses babioles qui font leurs délices. Il y a là des colliers de gros éclats de lapis-lazuli bleu outremer, polis en pièces ou en perles, jaspés de blanc. Ils feront très chics sur des vêtements blanc-bleu, à la mode catholique bourgeoise qui sied à l’été sur la côte Atlantique. D’autres ont des incrustations vertes, de la probable jadéite, sur une monture plaquée argent repoussée comme les décors des camions afghans. Les prix sont étonnamment élevés, mais ils se négocient raisonnablement au tiers de la valeur annoncée. Rien n’est plus efficace, en ce cas, que le « on s’en va ! » prononcé par quelqu’un d’autre, pour hâter la négociation.

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Nous reprenons la Karakorum Highway dont les Pakistanais sont si fiers qu’ils lui ont à nouveau consacré un monument de béton sur son bord. Karim nous y arrête. Des gamins et un adolescent au sein provoquant, nous entourent pour quémander quelques roupies ou un stylo. La plaque commémorative nous apprend que cette fameuse Highway a été construite de 1958 à 1978 avec l’aide des Chinois. Les Pakistanais n’y arrivaient manifestement pas tout seul, préférant faire la Bombe. Ce sont les Chinois encore une fois qui les ont mis sur la piste. La Highway fait 1200 kilomètres en tout et sert surtout au commerce vers la Chine. Cette puissance s’allie ainsi à revers contre l’Inde et met un pied dans cette périphérie d’Asie centrale qui ouvre aux richesses énergétiques du futur. La construction de la Karakorum Highway a connu un mort par kilomètre en termes statistiques. Le monument nous indique Pékin à 5425 km, Gilgit à 360 km, Islamabad à 259 km et Karachi à 1825 km.

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Dans la banlieue de Mansehra, nous faisons une pause dans un garage à ciel ouvert où l’on décore les camions. Un jeune Balal m’adopte tout de suite. Il est tout de blanc sale vêtu, pantalon et kamiz. Il veut savoir de quel pays je viens puis il me suit partout. Je regarde les découpes de fer blanc que l’on emboutit sur une matrice pour composer les décors à visser sur le cadre en bois, les peintres à l’œuvre pour créer de vastes fresques de jungle sur les parois extérieures, ces chaînes qu’on attache au pare-choc, et ainsi de suite. Les camions sont comme des putains que l’on pare pour la séduction : maquillage, robe et bijoux se doivent d’être clinquants, brillants, d’en jeter à la face des autres hommes.

Avant quatorze heures nous faisons un arrêt brochettes dans un bouiboui pas cher éminemment local et fort bon. Les serveurs, qui sont tous les fils du patron, n’en reviennent pas de faire tant d’affaires d’un coup et ils restent auprès de nous avec plusieurs caisses de Pepsi et autres boissons gazeuses pour les vendre au moindre désir. Les bouteilles ici ne coûtent que 10 roupies chacune au lieu de 25 encore hier. Hiérarchie des grands frères : le plus petit mange en dernier, s’il en reste, cela choque Françoise. Je lui rétorque que, s’il y avait disette, les grands ne laisseraient pas le petit frère affamé, il n’y a qu’à voir comment les fratries se soutiennent, ici. Mais voilà, les Grands Principes ‘alafrançaise’ passent avant la toute bête observation des gens. Tout de suite grimper aux rideaux, invoquer la métaphysique, comme si le monde devait être régi par des Lois platoniciennes immuables (que seuls les petits intellos seraient capables de découvrir). Les chapatis sont bien gonflées et sortent toutes chaudes du tandor en bas. Le tandor est le four local bâti de pierres et alimenté de bois par en-dessous. Les brochettes de mouton et de bœuf sont bien épicées, très cuites et savoureuses. Le raisin local bien lavé fond de sucre dans la bouche.

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Nous repartons dans la circulation dense de la ville. Le chauffeur se fraie un chemin à l’aide de son klaxon au bruit de mitraillette. Nous nous arrêtons à Taxila où Karim nous mène au musée. Taxila est inscrit au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Les explications sont très sommaires, heureusement traduites en anglais. Nous ne sommes pas seuls dans le musée ce samedi. Plusieurs familles le visitent, comme ce père flanqué de quatre petits garçons tous de 5 à 1à ans. Ils sont en kamiz, mais toutes de couleurs différentes : ocre brun, ocre jaune, bleu ciel, et blanc pour le plus petit. Le musée présente les fouilles de sir John Marshall effectuées de 1913 à 1934, du temps que le Pakistan était indien et que l’Inde était anglaise. Taxila était l’une des dernières étapes d’Alexandre le Grand. Le Rajah Ambhi a accueilli Alex avec pompes en 326 avant le Christ. Son territoire n’a donc pas été conquis, mais simplement traversé. « Il était intelligent », commente Karim. Les fouilles ont mis au jour les restes de trois cités et deux douzaines de stupas et de monastères des 7ème au 2ème siècle avant notre ère. Les gouverneurs étaient Achéménides. Les villes sont ensuite passées sous le gouvernement des Grecs, puis des empereurs Mauryans, jusqu’à la mort d’Asoka le Grand en 236 avant J.C. Demetrios de Bactriane a conquis le nord-ouest du continent indien et a fait de Taxila sa capitale. Il a fondé une nouvelle cité à Sirkhap au 2ème siècle de notre ère. Voilà pour l’histoire.

 

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Les sculptures Gandhara du 1er au 5ème siècle avant sont en schiste, assez abîmées, souvent en morceaux. Je note une belle tête de Bouddha en stuc régulière, sereine à contempler. Le front est sans nuage, les yeux perdus, le nez droit, seules les lèvres restent très humaines, charnelles, presque frémissantes. Les traits du nez, des yeux et du front forment un évasement cérébral comme pour figurer le jaillissement de la chair vers l’esprit. Cette tête daterait des 3ème ou 4ème siècle avant notre ère. Toute l’histoire de Bouddha est reproduite sur le schiste ; des scènes sont rapportées en phyllithe, selon l’étiquette.

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Les vitrines présentent des sifflets et des jouets touchants de terre cuite, des articles de toilette, miroirs en bronze poli, épingles, récipients à fards dont l’un décoré d’une croix gammée tournant à gauche, des peignes et des pots. Des jarres, des meules et même des passoires en terre cuite, dont chaque trou est percé individuellement d’une aiguille, composent la vaisselle. Des marteaux, des moules à pièces de monnaie en terre cuite où couler le bronze, montrent l’activité monétaire de la ville. Des outils de jardin, des armes, des instruments chirurgicaux, des outils de maçon et d’étonnantes clés de serrure en bronze, montées comme des râteaux, prouvent l’activité artisanale et bâtisseuse de la région. Dans une salle à part sont conservés les objets précieux : des bracelets d’argent pour les bras et une vaisselle d’argent. Des poids de pierre ronds comme des billes étaient étalonnés pour usage de joaillerie (Sitkap, 1er siècle de notre ère). Des centaines de perles s’ajoutent à ce fatras, comme des restes de pierres précieuses.

 

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Nous marchons pour joindre le monastère bouddhiste de Jaulian non loin de là. Il date des 2ème-5ème siècles de notre temps et est bâti trois cents pieds au-dessus de la plaine. Fouillé en 1916-18, il montre une série de stupas, des cellules, un hall d’assemblée, des bains, un réfectoire et une cuisine. Il a été construit dans la période Kushana et détruit par les Huns. Les pèlerins malades mettaient une pièce d’argent et le doigt de la main droite dans le nombril du Bouddha érigé sur le stupa. Ils devaient ainsi guérir. Les bases des stupas sont décorées à la grecque de niches à Bouddhas en forme de Pi, d’Omega et de Tau. Françoise de maths négocie aux vendeurs qui peuplent les alentours du site à touristes des copies de Bouddhas moulées en terre, et une tête en pierre sculptée à la grecque.

Demain, nous reprenons l’avion pour Paris depuis Islamabad. Nous visiterons la grande mosquée, comme je l’ai déjà dit. 


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