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Hier, à 21h 35 sur ARTE: "Aux origines du langage".

Par Ananda

Cette émission aborde un thème crucial: "qui a inventé le langage" ?
On sait que les hominidés sont sortis d'Afrique il y a deux millions d'années et qu'Homo Sapiens, pour sa part, apparait il y a un peu plus de 100 000 ans.
Est-on, pour cela, plus avancés sur la question qui nous occuppe ?
Jusqu'il y a peu de temps encore, un consensus existait chez les spécialistes, qui attribuait la pratique du langage à notre seule espèce.
Mais voici qu'aujourd'hui, à la lumière de découvertes très récentes, ce consensus se voit "bousculé", si ce n'est même contesté, par des chercheurs de toutes les disciplines.
D'abord, ces scientifiques mettent en avant le cas de l'Homme de Néandertal. Ce très proche cousin de notre espèce se caractérisait par des pratiques de chasse sophistiquées. A titre d'exemple, les savants nous apprennent qu'il avait des sites de stockage de la viande, et que "les sites de boucherie du paléolithique moyen attestent, à coup sûr, de capacités cognitives impliquant des capacités langagières voisines des nôtres".
Les années 1980, nous précise-t-on, furent le théâtre d'une "révolution scientifique" qui débuta par la restauration d'un crâne néandertalien découvert au début du XXème siècle. Cette restauration "annule toutes les idées à l'encontre de la capacité phonatoire de Néandertal" et, mieux encore, montre à quel point le langage procède de la bipédie.
On nous raconte que des équipes de préhistoriens ont repris des fouilles datant des années 1930 sur le site bien connu du Mont Carmel, près d'Haïfa, et qu'ils ont, de la sorte, exhumé, dans une sépulture de 60 000 ans environ d'âge, "tout un squelette de Néandertalien avec toutes les connexions anatomiques", ce qui suscita un fort émoi . Pour la première fois dans l'histoire de la paléontologie humaine, les spécialistes exhumèrent un os hyoïde ( cet os n'est autre que la "base de la phonation") en même temps qu'une mandibule, ce qui leur permit de se lancer dans des recherches approfondies et inédites jusqu'alors. Le résultat de ces recherches ne laisse la place à aucun doute : "il y avait déjà un langage articulé"à cette lointaine époque. Une autre découverte, cette fois en Espagne, sur le site de La Sima de los Huesos, vint, là dessus, apporter encore de l'eau au moulin de leur théorie. Ce site (qui remonte environ à 800 000 ans d'âge) révéla plusieurs os hioïdes de morphologie tout à fait "moderne", qui "reculaient de 400 000 ans la capacité à parler". Non seulement Néandertal parlait, mais ses ancêtres directs (les anté-néandertaliens) parlaient aussi !
Voulant pousser plus loin leur avantage, les scientifiques entreprirent d'établir un modèle virtuel du pharynx de Néandertal, qui confirma ces découvertes.
"Il faut savoir, se met en devoir de nous préciser un spécialiste, qu'un conduit vocal de singe naissant est rigoureusement égal à celui du bébé et qu'un conduit vocal de chimpanzé adulte peut produire tous les sons du langage. Le singe a les organes pour parler, mais il ne parle pas". Troublant...et propre à faire rebondir encore le débat sur l'origine du langage.
Chacun y va de sa théorie : "le langage, en tant que communication, n'est pas dû, selon moi, à des raisons anatomiques, mais est lié à l'apparition d'outils standardisés, voici deux millions d'années"; ces outils sont "un indice important d'une forme de communication sans doute langagière". En effet, cela paraît tout ce qu'il y a de logique: de telles technologies lithiques complexes ne peuvent aller sans un "apprentissage", qui lui-même ne peut que résulter d'une "transmission des savoirs". On a aujourd'hui la preuve formelle que "les Néandertaliens connaissaient les différences entre les silex", ce qui dénote "une capacité extrêmement complexe de compréhension", car "penser une forme avant de la tailler dans le silex est inconcevable sans représentation symbolique et sans langage". On en est ainsi venu à "rechercher les traces de la pensée symbolique" chez Néandertal, et pour ce faire on a cherché d'éventuels "objets décoratifs". A force de chercher, l'on exhuma les "premiers objets de parure", sous l'espèce de "coquillages peints et travaillés".
"Il y a 50 000 ans, les Néandertaliens ont utilisé des colorants", voilà qui est désormais une certitude; "ils les utilisaient aussi bien sur la peau animale que sur la peau humaine".
D'autre part, il faut compter avec les indices venus des crânes fossiles, à l'intérieur desquels on peut encore apercevoir les "légères marques des circonvolutions du cerveau". L'indicateur est ici ce que les spécialistes nomment "la scissure en forme de lune", à l'arrière du crâne. De pareilles études, il ressort que "les australopithèques ont été capables d'enregistrer davantage d'informations , voici quatre millions d'années, que chez les chimpanzés". En outre, la "comparaison de la croissance des boîtes crâniennes des différents hominidés par scanner" a permis de mettre en relief que, "chez l'homme, le câblage du cerveau intervient alors qu'il est déjà en intéraction avec ses semblables". De là, il ressort que "en ayant des petits avec un cerveau réduit à la naissance, les femelles hominidées ont trouvé un avantage, et ont donc sélectionné de tels petits". Ce qui est certain, encore une fois, c'est que la bipédie joua un très grand rôle dans ce processus, de même que la latéralisation du cerveau liée au langage ("l'aire du langage est l'hémisphère gauche depuis huit millions d'années").
A cela, on peut ajouter sans risque de se tromper que "le système gestuel a joué un rôle important dans la mise en place du long processus menant au langage". Les savants soulignent que "les signes de la langue des signes ont un statut très particulier". C'est à l'imagerie cérébrale qu'il revient d'observer l'activité du cerveau liée au langage.
Conclusion : "on peut penser que le langage a pu évoluer à partir du geste, notre cerveau ayant, depuis plus de quatre millions d'années, conservé cette capacité à décoder des signes".
Passer du geste à la parole ?
Pourquoi pas, puisque, comme on vient de le voir, on soupçonne de plus en plus que "la gestuelle manuelle a développé la parole" et, plus encore, que "la parole elle-même est un geste de la langue et du larynx". Le langage, vu sous cet angle, ne serait pas autre chose qu'un "glissement d'une sorte de geste vers une autre". Fascinant, non ?
Mais il existe également une "deuxième théorie", qui postule que "la capacité langagière" serait, en premier lieu, "capacité à reproduire l'évènement", et, par conséquent, liée de façon intime à cette toute première étape qu'est la "mimésis" (René Girand serait content !). Un savant explicite : "c'est parce que le geste trouve sa limite que la parole s'impose".

Les savants font remarquer que "nous (les êtres humains) sommes amenés à faire ce pour quoi, au départ, nous n'étions pas faits" (cela porte un autre nom : la culture). Ils notent également que "le cerveau humain catégorise" et qu'il se livre à des "associations d'idées". Vu sous cet angle, le langage ne serait-il pas, à ce moment, "une catégorisation, non plus à l'échelon individuel d'un cerveau, mais à l"échelle d'un groupe, d'une société entière" ?
Ce qu'on note, en tout cas, c'est que "le proto-langage sans grammaire (celui que parlent les enfants d'un an et demi) aurait fort bien pu précéder le langage, avant Sapiens" et qu' "on peut passer très facilement d'un proto-langage à un langage avec syntaxe (en une génération seulement !)"
Les travaux du célébrissime linguiste Noam Chomsky évoquent la possibilité qu' "une mutation génétique se serait produite, profitant de la capacité de pensée qui existait déjà chez les premiers hominidés, quoi que sous une forme figée".
Et Chomsky ajoute : "Au départ, cette mutation a dû être individuelle et entraîner un avantage sélectif". Or on sait que, bien que ce ne soit pas obligatoire, dans de tels cas, de tels "avantages sélectifs" liés à des mutations peuvent "se multiplier dans la descendance en un temps très court" (je cite, là encore, Chomsky)
Qu'en disent les généticiens, on le voit, appelés à la rescousse ?
Jusqu'à maintenant, ils n'avaient pas grand chose à en dire, mais, en 2002, ils entrent dans l'arène avec une découverte déterminante : celle du fameux gène FOXp2, qu'ils identifient dans une famille "souffrant de troubles du langage depuis plusieurs générations". Vite, ils s'aperçoivent que "d'autres génes sont contrôlés par FOXp2 dans le développement du cerveau". Là-dessus, des généticiens spécialistes de préhistoire réussissent l'exploit de mettre en évidence FOXp2 dans le patrimoine génétique de la lignée néandertalienne. N'est-ce pas fabuleux ?
Cependant, la suite de leurs tentatives les amène à constater qu'à leur grand regret et à leur grande déception, "il est impossible de remonter plus haut dans l'histoire des hominidés"
Que conclure de tout cela ?
Eh bien, que le langage a probablement émergé du chaos primitif il y a quelques deux millions d'années, et qu'il a sans aucun doute partie étroitement liée avec "l'importance de la vie collective". Cette dernière, l'utilisation des outils, l'évolution du larynx et celle du cerveau, seraient toutes ensemble à l'origine de l'émergence du langage. Mais dans quel ordre ? ça, nul n'est encore en mesure de le préciser.
Les linguistes, pour leur part, aiment à défendre une explication de type socio-politique : "la parole humaine aurait d'abord servi à raconter des histoires", qui auraient induit une culture, un mode de vie".
A la question "quel est l'enjeu que représente le langage dans notre espèce ?", ils n'hésitent pas à répondre que "le langage est intimement lié à la constitution des réseaux sociaux".
La toute dernière partie de l'émission se tourne vers l'intelligence artificielle. Nous apprenons ainsi que des expériences sont menées sur l'apparition du langage...chez des robots ! Aussi incroyable et inattendu que cela puisse paraître, il apparaît que "les robots créent très rapidement un lexique commun pour désigner les objets qui les entourent". Ensuite, "la grammaire auto-inventée vient". D'elle-même. Encore très troublant !
Le documentaire conclut sur des considérations d'avenir
: "peut-être sommes-nous en train de  franchir une nouvelle étape avec l'informatique, qui nous rend de plus en plus indépendants de notre cerveau".
Une émission instructive, à bien des égards fascinante
, qui fait un point le plus complet possible des connaissances actuelles et à laquelle on pourrait, peut-être, reprocher de partir un peu dans tous les sens. Mais n'est-ce pas là le reflet de la pluridisciplinarité des recherches et, surtout, de la complexité extrême du sujet d'étude ?
Comme bien souvent en science, le faisceau de ces recherches ouvre sur des faisceaux de pistes qui, bien sûr, requièrent un approfondissement.
Saurons-nous jamais pour autant vraiment quand, où et pourquoi au juste l'être humain se mit à parler ?

P.Laranco


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