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"Iran : l'irrésistible ascension" de Robert Baer

Par Anom Yme
"Iran : l'irrésistible ascension" de Robert Baer
JC Lattès
/ 375 p.



L'empire iranien est à nos portes : fuyons !

L'idée est bonne et originale : nous donner une nouvelle vision de l'Iran, l'un des pays les plus caricaturé du monde par les médias de référence. Dans l'imaginaire commun, l'Iran est peuplé d'ayatollahs barbus, de fous d'Allah dont le rêve serait de détruire Israël. L'Iran c'est aussi des femmes entièrement voilées, des pasdarans meurtriers et un président un peu cinglé dont le seul but est de détenir l'arme nucléaire (et, accessoirement, de l'utiliser sur un coup de tête). Robert Baer, ancien agent de la CIA qui a passé la plupart de sa vie à parcourir le Moyen-Orient, met les pieds dans le plat. Pour lui, il faut arrêter de voir l'Iran comme il était en 1979 : « Il est temps de reconnaître enfin l'Iran pour ce qu'il est aujourd'hui ». Mais comment est menée cette analyse, et, surtout, que vaut-elle ?


D'un cliché à l'autre

La première de couverture est assez significative : le mot Iran est écrit en lettre rouge-sang, avec toutes les connotations que cela implique. Le titre original, en anglais, est encore plus révélateur : « The devil we know : dealing with the new iranian superpower ». A l'inverse de ce qu'on aimerait nous faire croire, les clichés ne semblent donc pas si près de tomber... Dès le prologue, on comprend aussi que le but de l'auteur n'est pas de nuancer ses propos, ni même de s'appuyer sur d'autres ouvrages déjà écrit. Le style oscille entre narration et analyse, flashbacks d'entretiens et scènes de vie. Le fait que l'homme fût, pendant de nombreuses années, payé par la CIA n'aide pas vraiment à rendre l'ouvrage crédible : nous sommes ici face à une vision personnelle, subjective et fruit d'un travail de terrain pour le compte d'un gouvernement. Tous ces facteurs mettent hélas à mal l'ouvrage et l'idée de faire tomber les préjugés se retourne vite contre le lecteur : l'Iran n'est plus un pays lointain d'où émane un « islamofascisme » [1] latent mais trop éparpillé pour faire peur à quiconque ; l'Iran est désormais impérialiste, pragmatique, armé jusqu'aux dents et, plus que tout, calculateur. L'Iran veut un empire, son empire, bâti sur les ruines de l'ancien empire perse. Mais l'Iran veut aussi le pétrole des pays du Golfe (Arabie Saoudite, EAU, Bahreïn etc.), le contrôle de l'Irak (pour le pétrole toujours, mais aussi pour rallier sous sa bannière tous les chiites). L'Iran veut aussi la Palestine pour devenir le meneur de la cause musulmane [2], et, en gardant cette optique, Médine et La Mecque pour rester, sans conteste, le meneur religieux et militaire de cette région du monde. Rien que cela...


Une vision toujours définie par le prisme étasunien

Outre la facilité de l'auteur de tomber d'un cliché à un autre (tout en clamant que le but de l'ouvrage est de faire tomber les-dits clichés), le côté brouillon du « plan » peut, lui aussi, rebuter. La fluidité est certes là, mais on passe bien trop rapidement d'un sujet à un autre, sans voir obligatoirement un rapport entre les diverses sous-parties d'un chapitre. Si tout semble clair pour l'auteur, le lecteur se demande un peu où il est trimballé, et surtout pourquoi.

Plus encore que tout ce que nous venons de citer, le principal point faible du livre est qu'il est tout simplement une énième analyse définie par le prisme étasunien. Ce qu'il faudrait faire avec l'Iran (lire : s'asseoir à une table de négociation) n'est pas pour élever le niveau de vie de celui-ci, pour rendre la région plus sûre, ou encore pour stopper cette guerre informelle qui fait rage en coulisse depuis plus de vingt ans. Non. S'il faut négocier diplomatiquement avec l'Iran c'est « Qu'il serait plus facile – et, au final, plus profitable – d'anticiper les conséquences, au lieu d'essayer futilement de les endiguer. » Le terme profitable donne ici tout son sens au livre : ce qu'il faudrait faire pour le bien-être des États-Unis et rien d'autre.

Ouvrage novateur ? Sûrement ; mais pas seulement dans le bon sens du terme. Si vouloir mettre en place de nouvelles relations (économiques, diplomatiques, voire même militaires -comme proposé dans le texte-) avec l'Iran est louable, l'intérêt non dissimulé de cette « réforme » l'est moins. L'auteur voit dans l'Iran le seul pays puissant et donc, intéressant. Exit le Pakistan et exit l'Arabie saoudite. Comme le statue très clairement Robert Baer : « [..] nous soucions-nous réellement de ce qui pourra arriver à l'Arabie saoudite si l'Iran est en mesure de se porter garant des gisements pétroliers saoudiens ? » Que la Mecque et Médine deviennent iraniennes ? Qu'importe : « savoir qui dirige les deux villes saintes d'islam [...] n'est pas notre affaire ».

Analyser la situation géopolitique par le prisme étasunien (et donc en prenant en compte seulement ses intérêts) bloque et falsifie une vision qui se doit d'être globale et pas seulement nord-américaine. Décevant ouvrage donc. Dommage, car quelques analyses tiennent la route, comme la distinction chiites/sunnites [3], ou encore l'analyse principale : le réveil de l'Iran en tant que puissance régionale. Si le sujet avait été traité de manière moins empirique et, surtout moins alarmiste, l'auteur aurait réussi là un véritable coup de force. Mais toute chose à son bon côté : l'ouvrage ouvre la voie à une nouvelle vision de l'Iran dans un futur proche, moins ethnocentriste cette fois-ci. Le plus dur a été fait, et sur ce point au moins on peut remercier monsieur Baer.

Th. C.

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Notes :
[1] : Vision que l'auteur dénonce dans tout son ouvrage comme le prouve ce passage tiré du prologue : « Nous nous sommes plu à croire que l'Iran était une aberration historique, échappée du Moyen Âge et animée d'une haine irrationnelle pour l'Occident. Les Iraniens seraient des ''islamofascistes'', nous a-t-on appris, à mettre dans le même sac qu'Oussama ben Laden et qu'al-Qaïda. Et, par la même occasion, nous en avons conclu un peu hâtivement, qu'un jour, inexorablement, le régime iranien allait s'effondrer sous le poids du XXIème siècle. »
[2] : Et non plus de la cause arabe comme le voulait l'Égypte avec Nasser. Le changement est radical.
[3] : A pousser encore plus en avant car trop réductrice par moments.



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