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Le Pakistan aujourd’hui

Publié le 17 juin 2009 par Argoul

Je le rappelle, le voyage conté régulièrement ici depuis des semaines (catégorie Fugues au Pakistan), remonte à août 2001. Je n’étais pas sitôt revenu que la situation changeait. Les attentats du 11-Septembre 2001 aux Etats-Unis précipitaient la guerre contre les talibans afghans et la radicalisation des groupes islamistes dans la région. Les Pachtounes étant une tribu ancrée des deux côtés de la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan, ont joué un rôle clé dans la déstabilisation du pays. Le Pakistan, « pays des purs », ne s’est fondé que sur des critères de religion. Hélas ! l’islam reste partagé entre sunnites et chiites et chacun se range ensuite en tribus particulières pour lesquelles les intérêts d’eau, de pâturages et de commerce priment la foi… Le Pakistan, qui est un Etat sans être une nation, ne tient que par l’armée ; tout le reste se délite et la double crise de la guerre et de l’économie laisse se développer l’anarchie.pakistan-carte-des-provinces.1245225439.jpg

La puissance des talibans pakistanais engendre une quasi guerre civile dans les zones tribales, tandis que le reste du pays retourne aux démons classiques de l’islam : le sectarisme, le séparatisme tribal et les violences urbaines. L’Etat est ce qui reste quand sont déjà passés le clan, la tribu, l’allégeance sectaire. La libanisation du pays, qu’on appelle parfois afghanisation, crée des seigneurs de la guerre qui saignent tous ceux qui ne leur rendent pas hommage. Ce sont le mollah Fazlullah dans la fameuse vallée de la Swat, Gul Bahadur au nord Waziristan ou Mangal Bagh dans la passe de Khyber. Ils ne sont pas seulement des rebelles, mais des séparatistes qui veulent imposer une autre loi que celle de l’Etat : la justice islamique et la sécurité des milices locales. Les violences sectaires éclatent la capitale, Karachi, 15 millions d’habitants, porte du commerce principal du Pakistan et cœur économique du pays. Dans les zones frontières du nord-ouest, qui jouxtent le Cachemire indien, les identifications communautaires l’emportent sur l’appartenance à l’Etat pakistanais. Là encore la secte religieuse, l’ethnie ou la tribu sont des marqueurs premiers. Chaque groupe de milicien entend « protéger » sa propre communauté au détriment de toutes les autres.

L’identité Pachtoune de part et d’autre de la frontière ne fait qu’ajouter aux intérêts bien matériels que représentent le trafic des armes, de l’héroïne afghane, des enlèvements d’étrangers, du détournement de l’aide alimentaire et autres coups de main. L’économie régionale est devenue purement criminelle, sous le prétexte du jihad afghan. Le Mouvement des Talibans du Pakistan est né en décembre 2007. Une trentaine de chefs miliciens ont désigné l’illettré Baitullah Mehsud, 35 ans, comme émir. Il n’a pas été scolarisé dans les madrassas coraniques, contrairement aux leaders des talibans afghans, mais il fait allégeance au mollah Omar dont il partage le salafisme jihadiste. Malgré son rattachement au courant deobandi sunnite, la fragilité du mouvement est qu’il est une constellation de communautés autonomes, soudées seulement par la lutte en Afghanistan contre l’envahisseur mécréant. Il suffirait peut-être de laisser les Afghans à eux-mêmes, puis de contrôler par les forces spéciales toute exportation de guerriers militants hors des deux pays, pour que les rivalités internes éclatent et neutralisent ces bandes. Les tribus chiites s’opposent en effet depuis des siècles aux tribus sunnites dans la même région…

Le jihad afghan bouleverse l’équilibre démographique du fait de l’arrivée des réfugiés afghans et voit les sunnites s’implanter dans la zone, à moins de 100 kilomètres de Kaboul. Les chiites locaux soutiennent donc l’armée pakistanaise pour contenir les afghans jihadistes. Les extrémistes considèrent les chiites comme des traîtres en plus d’être déjà hérétiques, et ils ne manquent pas, par le contrôle des axes routiers, de les affamer et de retenir les médicaments, tout en tentant un nettoyage sectaire en tuant les chefs. L’Etat central reste attentiste, trop profondément divisé à l’intérieur de l’armée pour intervenir.

L’armée est dominée par les gens du Pendjab et les Pachtounes. Les Baloutchis se sentent isolés… Le retour aux affaires des civils, après l’ancien président et général Musharaf, aurait pu être une ouverture, sauf que Karachi est en proie à une quasi guerre civile entre le Mohajir Qaumi Movement (MQM) qui domine la vie politique locale depuis 1987, les criminels et les partis pachtounes comme l’Awami National Party (ANP) et les islamistes de la Jama’at-e Islami (JI), responsable des attentats de Bombay, enfin au au parti barelwi sectaire du Sunni Tehrik (ST) ! Les violences sauvages servent à capter les terrains, le commerce des peaux animales, de la drogue, du racket des entreprises et des petits commerçants. Cela tout en gardant la fonction politique d’intimider et d’éliminer physiquement ses adversaires. Des centaines de cas de mutilation (ablation des oreilles, du nez ou d’autres organes) sont avérées, y compris celles de femmes et d’enfants (Mansoor Khan, « Street surgery », The Herald, janvier 2009) !

L’inflation gravite autour de 30% l’an, surtout pour les produits de première nécessité comme le riz. L’Etat ne fait rien, ne peut rien, les capitaux fuient à l’étranger et le déficit commercial est abyssal. L’armée surveille. Il n’existe pas de divergence majeure entre les services de renseignements (ISI) et le reste de l’armée. Une mise sous tutelle de l’ISI par les civils risquerait de conduire au retour des militaires au pouvoir, surtout après les attaques de Bombay en novembre 2008. Mais l’armée n’est plus jihadiste comme au temps de l’URSS. L’hypothèse d’une mainmise talibane sur les forces nucléaires du Pakistan n’est qu’un scénario fiction. Le Dr Khan qui a vendu des matières fissiles et des secrets nucléaires à la Corée du nord et à la Libye n’avait l’aval du pouvoir militaire que parce que ses activités restaient entré Etats alliés du Pakistan. Les responsables nucléaires mis en cause pour connivence avec Al Qaïda  n’étaient pas les meilleurs sur le marché, le sultan Bashiruddin Mehmood étant par exemple célèbre pour ses projets de mise à contribution des djinns dans l’approvisionnement en énergie du Pakistan… Les affiliations sectaires et tribales sont de moins en moins fortes à mesure qu’on s’élève dans l’armée, celle-ci restant soudée autour des chefs pour des raisons de prestige. Or ceux-ci sont plutôt favorables aux Etats-Unis (qui financent) plutôt qu’aux islamistes (qui veulent se venger de l’attaque de la Mosquée rouge en juillet 2007).

Le traditionnel double jeu des militaires, pro-américains devant et pro-islamistes derrière, semble terminé, le sort de l’Etat pakistanais en dépend. Reste à régler la situation stratégique entre l’Inde, l’Afghanistan et le Pakistan ; à alléger la situation économique ; à apaiser les querelles sectaires. Vaste programme qui prendra du temps ! En attendant, il est naïf ou stupide d’aller en touriste dans ce pays déchiré et livré aux haines fanatiques. Non seulement les Occidentaux n’y sont pas bienvenus, mais ils servent surtout de juteux otages aux dogmatiques de la foi.


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