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Anthologie permanente : Sylvia Plath

Par Florence Trocmé

Gallimard publie une traduction d’Ariel, établie, présentée et annotée par Valérie Rouzeau. Dans le même temps les éditions Gallimard publient Poèmes, 1957-1994 de Ted Hughes, dans la traduction de Valérie Rouzeau et Jacques Darras.

La lune et le cyprès

Cette lumière est celle de l’esprit, froide et planétaire,
Et bleue. Les arbres de l’esprit sont noirs.
L’herbe murmure son humilité, dépose son fardeau de peine
Sur mes pieds comme si j’étais Dieu.
Une brume capiteuse s’est installée en ce lieu
Qu’une rangée de pierres tombales sépare de ma maison.
Je ne vois pas du tout où cela peut mener.

La lune n’offre aucune issue, c’est un visage morne
D’une blancheur d’os effroyable.
Elle traîne derrière elle l’océan comme un crime obscur ; elle est calme,
Trou béant de désespoir total. J’habite ici.
Deux fois tous les dimanches les cloches ébranlent le ciel −
Huit langues puissantes annoncent la Résurrection.
À la fin, seul vibre le son grave de leur renommée.

Le cyprès se dresse alors, gothique.
Aux yeux levés sur lui, il désigne la lune.
La lune est ma mère. Elle n’a pas la patience de Marie.
Son vêtement bleu laisse échapper chauves-souris et hiboux.
Je voudrais tellement pouvoir croire à la tendresse −
Au visage de cette effigie, adouci par la lueur des cierges,
Qui poserait sur moi son regard bienveillant.

Je suis tombée de trop haut. Des nuages fleurissent,
Mystiques et bleus, à la face des étoiles.
Dans l’église les saints doivent être tout bleus,
A frôler les blancs glacés de leurs pieds délicats,
Et leurs mains et leur visage tout engourdis de sainteté.
La lune ne voit rien de tout cela. Elle est chauve, elle est cruelle.
Et le message du cyprès n’est que ténèbres – ténèbres et silence.

Sylvia Plath, Ariel, traduction Valérie Rouzeau, Gallimard, 2009, p. 59 et 60

The Moon and the Yew Tree

This is the light of the mind, cold and planetary
The trees of the mind are black. The light is blue.
The grasses unload their griefs on my feet as if I were God
Prickling my ankles and murmuring of their humility
Fumy, spiritous mists inhabit this place.
Separated from my house by a row of headstones.
I simply cannot see where there is to get to.
The moon is no door. It is a face in its own right,
White as a knuckle and terribly upset.
It drags the sea after it like a dark crime; it is quiet
With the O-gape of complete despair. I live here.
Twice on Sunday, the bells startle the sky --
Eight great tongues affirming the Resurrection
At the end, they soberly bong out their names.
The yew tree points up, it has a Gothic shape.
The eyes lift after it and find the moon.
The moon is my mother. She is not sweet like Mary.
Her blue garments unloose small bats and owls.
How I would like to believe in tenderness -
The face of the effigy, gentled by candles,
Bending, on me in particular, its mild eyes.
I have fallen a long way. Clouds are flowering
Blue and mystical over the face of the stars
Inside the church, the saints will all be blue,
Floating on their delicate feet over the cold pews,
Their hands and faces stiff with holiness.
The moon sees nothing of this. She is bald and wild.
And the message of the yew tree is blackness - blackness and silence.


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