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Venise 4 : le peloton des pavillons

Publié le 18 juin 2009 par Marc Lenot

2009-biennale-venise159-gladwell.1245363680.JPGLa Biennale de Venise (jusqu’au 22 novembre) comprend les pavillons de 77 pays, plus quelques pavillons non officiels. Il y a ceux que j’ai beaucoup aimés, ceux que j’ai détestés, ceux sur lesquels, pas très inspiré, je ne sais trop quoi dire (ainsi le Canada, la Corée, l’Autriche ou la Nouvelle-Zélande) et ceux que je n’ai pas vus (j’ai manqué le Portugal, me dit un commentateur; et le Kazakhstan, me reproche un autre); et puis il y a ceux qui, sans être exceptionnels, méritent une visite. C’est le sujet aujourd’hui, un peu dans l’entre-deux.

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Dans les Giardini, l’Australie déroute avec une vision initiale très Mad Max de Shaun Gladwell. Mais il ne faut pas se laisser rebuter par ces rodomontades, car à l’intérieur, Gladwell présente deux installations beaucoup plus intéressantes (qui sont curieusement absentes du dossier de presse) : la Suite pataphysique centrée (ci-contre) est une colonne de six écrans TV. Sur chacun d’eux, un personnage tourne inlassablement sur lui-même, une femme sur des échasses, un break danseur, un skateur, un monocycliste, un homme brandissant ce qui ressemble à une barrière de chantier, et un pseudo gogo danseur autour d’un poteau, chacun à son rythme sur des tempi différents. Ce sont des danses
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lentes, aux points d’appui précaires, un équilibre fragile et hallucinant. Juste en face un (vrai?) crâne humain tourne sur lui-même et sa giration est retransmise sur un petit écran qui le masque (Endoscopic Vanitas; ci-dessus).
En un autre lieu (Ludoteca), l’Australie présente quatre jeunes artistes : si les planches de surf aborigénéisées de Vernon Ah Kee manquent de subitilité, l’immense cube noir de cassettes VHS de Claire Healy & Sean Cordeiro est assez impressionnant. J’ai beaucoup aimé les coraux de Ken Yonetani, mis en scène avec une poésie toute Zen (Sweet Barrier Reef); tous ne sont pas aussi sexuellement explicites que celui ci-contre.

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Le pavillon japonais est tout à fait déroutant. Drapé de noir, il abrite des portraits de femmes gigantesques et effrayantes, toutes mamelles dehors, les Windswept Women de Miwa Yanagi. On s’apprête à faire demi-tour aussi sec devant cet hideux avatar de manga quand on remarque dans un coin une tente noire, image réduite de celle qui enveloppe le pavillon; il faut se pencher, se contorsionner pour voir, à peine visible au fond de la tente, une vidéo montrant ladite tente en marche, supportée par des femmes dont ne dépassent que les jambes, au bord de la mer semble-t-il (The old girls’ troup). Cette tente-tortue processionnelle a un aspect solennel et mystérieux, marche funèbre ou fuite salutaire. Même si on ne partage pas les fantasmes de Miss Yanagi, cette partie de l’installation est assez envoûtante.

Sept artistes se partagent le grand pavillon russe. Pepperstein a surtout un intérêt historique et la pièce d’Alexei Kallima, une fresque de fans de football sous lumière noire, hurlant jusqu’à un orgasme final de lumière éblouissante, est un peu trop facile, ou en tout cas son apparence détourne de la complexité qu’on devine en apprenant que

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l’artiste est Tchétchéne. Gosha Ostretsov construit un labyrinthe de cabanes en bois au bout desquelles on arrive à l’automate de l’artiste au travail : un peu trop tape-à-l’oeil à mon goût. Deux des artistes du pavillon se distinguent à mes yeux : Anatoly Shuravlev a reproduit en un format minuscule les effigies de ceux qui ont fait l’histoire et les a disséminées, les unes dans un nuage de petites billes de verre suspendues au plafond, les autres sur de petits pins au mur; ce qui, au premier abord, apparaîtrait comme une installation formelle minimale se révèle, au prix d’un regard méritant, yeux plissés, sourcils froncés et nuque courbée, comme une immense fresque historique (Black Holes).  
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Tout aussi politique est l’installation d’Andrei Molodkin où deux victoires de Samothrace en verre accueillent l’une du sang et l’autre du pétrole, qui s’écoulent incessamment à l’intérieur (Le Rouge et le Noir). D’ici la fin de la Biennale, le verre sera devenu opaque sans doute, une des statues sera rouge et l’autre noire, pleines des limons déposés par les deux liquides, mais pour l’instant, les jeux de lumière et de transparence sont somptueux. Au mur, trois gigantesques vidéos en direct des statues, celle du milieu combinant les deux images, sang et pétrole se mêlant. Argent et mort sont maintenus à distance du spectateur, derrière le cristal de cette victoire acéphale. Victoire sur le futur est le titre du pavillon.

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Le pavillon serbe est particulièrement déroutant : y cohabitent Zoran Todorovic avec 1200 mètres carrés de tapis faits de cheveux humains (200 personnes par mètre carré, un vrai projet économique), tapis empilés en cubes minimalistes et disponibles à la vente (j’ai hésité), et Katarina Zdjelar dont les vidéos montrent des leçons de prononciation pour étrangers (But if you take my voice, what will be left to me ?). Cheveux et accent, deux éléments de notre identité que nous tentons parfois de changer, de rendre plus conformes, plus acceptables, ce qui, en même temps, nous dépouille, nous norme, nous neutralise. Le travail de Zdjelar sur l’acculturation me semble riche à explorer.

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Enfin, pour clore la visite des Giardini, il ne faut pas manquer le travail sur le portrait de Lucas Samaras au pavillon grec, Paraxena. L’installation à l’entrée, Doorway, nous renvoie notre propre image. Plus loin, vingt quatre personnes, chacune dans son écran (y compris Chuck Close, Claes Oldenburg et Jasper Johns) regardent, de l’autre côté du passage une vidéo de Samaras se dénudant; les 24 regardeurs sont filmés de près, nets et précis, alors que le corps de Samaras est flou et déformé (Ecdysiast and Viewers). Ecdysis désigne la mue des arthropodes, ainsi le crabe quand il change de carapace; ce projet est comme une réjuvénation inversée d’un travail ancien de Samaras, The sittings, où les visiteurs posaient nus aux côtés de l’artiste habillé.

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Hors des Giardini, pour conclure la partie ‘nationale’ de la visite, trois impressions. Le projet d’Abu Dhabi (ADACH) à l’Arsenale Novissimo est hypermoderne, efficace et encourageant; il manque un peu de chaleur, à l’exception du réjouissant bric-à-brac de Hassan Sharif sur la mezzanine. Le pavillon palestinien, une première à Venise, souffre de la non-réalisation, pour cause de refus, révélateur, des politiques locaux, du projet d’Emily Jacir qui voulait simplement inscrire les noms des stations de vaporetto du Grand Canal en arabe (Stazione) et transformer ainsi l’aspect de la ville, lui rappelant son passé historique tourné vers l’Orient.
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L’autre pièce marquante, visible elle, est Hannoun (le coquelicot) de Taysir Batniji où un champ de fines lamelles de bois rose, résultant de la taille des crayons, nous sépare d’une photographie, celle du studio de l’artiste à Gaza, où les Israéliens lui interdisent de retourner depuis 2006 (et une autre pièce égrène la litanie de ses jours d’absence); c’est une installation discrète et mélancolique : pour atteindre la photo, il nous faudrait piétiner ce champ de coquelicots, fleur qui évoque aussi les soldats tombés au champ d’honneur. Et je parlerai demain de Mona Hatoum.

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Enfin, dernier pavillon que je veux évoquer, celui de Chine au bout de l’Arsenal, avec le domino géant en rhizome de Qiu Zhijie et surtout la collection de monochromes de He Sen : à y regarder de plus près, chacun est orné très délicatement d’un motif traditionnel chinois, inscrit en creux dans la peinture.

Photos 1,2,5,6,10 et 11 de l’auteur. Autres photos courtoisie des services de presse. Taysir Batniji étant représenté par l’ADAGP, la photo de son installation sera ôtée du blog à la fin de la Biennale.


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