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Y a-t-il des questions auxquelles aucune science ne répond?

Publié le 18 juin 2009 par Timothée Poisot

C’est la tradition, on essaie tous les ans d’impliquer les scientifiques lors du bac de philosophie, en leur proposant un sujet en rapport avec une discipline (l’épistémologie) dans laquelle ils ne recevront pour la plupart jamais de formation. Celle de cette année, y a-t-il des questions auxquelles aucune science ne répond? me titille suffisamment pour motiver un billet en cette heure matinale.

La manière dont cette question est formulée pose un a priori important : si l’on cherche les questions auxquelles aucune science ne peut répondre, on admet de fait l’existence de plusieurs sciences. A partir de ce point, il est nécessaire de commencer par caractériser ce qu’est une science, et c’est à ce moment que de mon point de vue la formulation de la question est peu habile. Si on établit une différence entre des sciences, on considère une science comme un ensemble de connaissances théoriques, de résultats expérimentaux; et dans cette optique, aucune science ne peut apporter de réponse à la moindre question, dans la mesure ou ce qu’on appelle science est la réponse, et qu’on ne peut pas aller faire autre chose que de la méta-analyse. On ne peut pas, par exemple, ouvrir de nouvelles voies.

Dans cette approche, par science, on entend alors discipline scientifique, et corpus de résultats. Si je suis persuadé que des disciplines, avec leurs spécificités, existent, je suis tout aussi persuadé que chacune de ces disciplines a un point commun avec les autres : la méthode scientifique. Nous tomberons rapidement d’accord sur le fait que ce qu’on entend par science est méthode scientifique, et que la science se conçoit avant tout comme un ensemble de questions. Que l’on favorise l’approche hypothético-déductiviste ou l’approche inductiviste, on procède avec une méthode. L’avantage de la méthode scientifique est qu’elle est totalement indépendante de l’objet qu’elle étudie : on approche le problème de la même manière que l’on soit physicien, biologiste, sociologue, …

Cygne noirA partir de maintenant, on considère que la science est une méthode de raisonnement. La question qui se pose est : certaines questions sont-elles insolvables par certaines méthodes de raisonnement? Prenons l’exemple de l’inductivisme, qui est un exemple d’une de ces méthodes. Dans cette approche épistémologique, la construction des connaissances se fait sur la base de l’observation, et sans préconception du réel. Or, cette méthode ne permet pas d’aboutir à des conclusions. Imaginons que vous observiez des cygnes. Si vous observez 10000 cygnes blancs, vous serez tenté d’induire que tous les cygnes sont blancs. Il suffit d’observer une fois Cygnus atratus, le cygne noir, pour que votre induction s’effondre. Comme l’a formalisé Nassim Taleb,

Un cygne noir est un événement hautement improbable doté de 3 caractéristiques principales: Il est imprévisible, engendre des conséquences majeures et une explication a posteriori est toujours donnée afin de rendre celui-ci plus rationnel, lui conférant ainsi une apparente et sécurisante prévisibilité.

L’un des enjeux de toute approche est de minimiser les chances de faire apparaître le cygne noir. L’objectif de cette digression était de montrer que, si par science on entend méthode, il existe des questions auxquelles on ne peut répondre, non pas parce qu’elles n’ont pas de réponse, mais parce que la méthode ne permet pas d’apporter de réponse.

Considérons maintenant que nous avons une méthode scientifique solide, avec laquelle nous pouvons nous livrer aussi bien à des prédictions (partant d’une hypothèse, connaître les conséquences probables) qu’à des rétrodictions (à partir des conséquences, connaître les causes probables, sachant nos hypothèses). La méthode hypothético-déductive de Bacon répond par exemple à ces critères. Existe-t-il des questions auxquelles on ne peut apporter de réponse avec cette méthode?

Oui! Toute méthode nécessitera un objet d’observation sur laquelle s’appliquer. Il faut donc, pour qu’une méthode s’applique, que l’objet sur lequel on l’applique soit accessible à l’observation directe, et que l’observation ne modifie pas les propriétés de cet objet. C’est ce que dit Heisenberg, quand il nous explique qu’on ne peut connaître précisément la vitesse et la position d’un électron.

Il est nécessaire de conclure sur le fait que l’existence de questions dont la réponse n’est pas accessible n’est pas un constat d’échec de la science, et ne doit pas nous convaincre de nous tourner vers autre chose , pseudo-science, religion, etc, pour trouver cette vérité. Si la méthode scientifique échoue, c’est que l’objet sur lequel on l’applique n’est pas résoluble. Si on se trouve face à une question à laquelle la science n’apporte pas de réponse, il faut sans doute s’interroger sur la pertinence de la question…


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