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La dame blanche de baden-baden

Publié le 19 juin 2009 par Caspersky

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Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la station thermale à la mode, c'est Baden-Baden. Bien prise dans son écrin naturel, entre Rhin et Forêt-Noire, le blanc Kurhaus voit défiler sous ses colonnes l'aristocratie, la grande bourgeoisie française et les s artistes les plus célèbres du Second Empire ... Les eaux riches en sodium guérissent aussi de l'ennui, aidées par les meilleurs orchestres, les potins et les intrigues d'une véritable petite cour, tellement plus légère que celle de plus en plus bigote et compassée des Tuileries. Dans les salons du faubourg saint-Germain, il n'est pas un homme d'esprit qui ne se pique tout connaître des princes de Bade, de leurs amours, de leurs manies, de leurs légendes ... En voici une surtout qui fait florès ...

Vers la fin du mois de janvier 1852, le grand-duc de Bade Léopold ressent une violente attaque de goutte. Il est cloué sur son lit, mais les médecins assurent que son affection n'est pas dangereuse. Son Altesse est robuste, Son Altesse n'a que soixante et un ans. Son Altesse pourra chasser le renard autour du Titisee, avant quelques semaines. D'aucuns suggèrent de publier un bulletin de santé. Ridicule ! disent les médecins. Pour un accès de goutte ?..

Partout, cependant, au château, à la cour, parmi le bon peuple badois et les mondains français bien informés, c'est l'anxiété. « Le grand-duc ne se relèvera pas de sa crise, entend-on dire sous le manteau. Avant trois mois écoulés le grand-duc sera mort. » Les plus prévoyants apprêtent déjà leurs habits de deuil et les plus cyniques conjecturent le jour exact de sa mort.

- C'est du délire ! disent les médecins, au château. La goutte n'a jamais tué personne. Le ridicule, par contre !..

- C'est fatal! répond la rumeur publique et privée. Le grand-duc, hélas! va mourir, puisque la Dame Blanche est apparue au château ... 

La Dame Blanche! Autrement dit un fantôme, une apparition maléfique ... en plein XIXe siècle scientiste et alors que le chemin de fer vient de faire son entrée dans la petite capitale !..

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- A-t-on pu la photographier? hasardent les sceptiques en évoquant les perfectionnements des plaques sensibles ...

- Inutile! rétorquent les plus crédules, puisqu'on a son portrait, d'une fidélité absolue ...

Le portrait de la Dame Blanche a longtemps trôné dans le salon du grand-duc qui, passé la soixantaine, l'a expédié au fond d'un garde-meuble. Pour se délivrer du mauvais œil.

Ecoutons un témoin français de l'époque, qui a eu la chance de voir le portrait qui mesurait un mètre vingt de haut: 

« Sur un fond obscur se détachait une figure d'une admirable beauté. Elle

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était pâle, et ses lèvres, d'une grâce enchanteresse, s'entrouvraient comme une fleur de pourpre au milieu d'un bouquet de lis. Ses cheveux, d'un noir de jais, étaient relevés et noués dans une coiffure du XVe siècle. Un écusson, au-dessus duquel deux ours soutenaient une couronne de comte, brillait dans un coin du tableau ... Mais tout son charme consistait dans les yeux, fixes et pénétrants, avec lesquels la dame regardait... Sous d'épais sourcils d'un arc irréprochable, une clarté singulière lançait des rayons qu'on ne pouvait éviter. Une force magnétique ramène vers ce front de marbre, abritant ces deux lampes funèbres. De quelque part qu'on regarde, on est inquiété, tourmenté par ces deux étincelles immobiles et pénétrantes ... » Va pour le style ampoulé de l'époque! Voici maintenant la tragique histoire de la Dame Blanche du duché de Bade.

Il Y avait une fois un jeune margrave de Bade, aussi beau que bon, aussi intelligent que sage. Ni l'amour de ses parents ni l'estime de son entourage, toutefois, n'arrivaient à chasser en lui une mélancolie insurmontable.

- Allez, mon fils, étudier les hommes en leurs divers pays! lui lança un matin son père en le bénissant.

- Mais rapportez votre cœur de votre voyage, ajouta sa mère, car n'oubliez pas qu'un fils respectueux doit faire bénir son hymen par son père et par sa mère, et qu'un prince de Bade n'offre pas son blason dans un bouquet!..

Le jeune homme fit ses paquets, dérouilla son épée et s'en fut, vers les Midis d'abord. Mais la gaieté des régions de soleil ne fit que verser un peu plus de tristesse dans son cœur et il gagna bientôt les pays du Nord dont les paysages nostalgiques lui parlaient bien davantage à l'âme.

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Un jour, il arrive au Danemark. Au terme d'une course de toute une journée, il s'égare, alors que la nuit tombe ... Après avoir beaucoup erré, il se décide à demander l'hospitalité dans un beau château qui s'élève au bord d'un lac. Sur la terrasse, en surplomb d'un étang romantique, une belle jeune femme prend le frais, en compagnie de ses deux enfants. C'est la belle comtesse Olamünde. 

Toujours dans le style de l'époque:

En posant le pied sur la terrasse et en apercevant aux derniers reflets du soleil couchant la comtesse, assise et fouillant du regard les espaces infinis, le jeune margrave sentit une source jaillir en lui. Une voix secrète lui dit: «C'est elle que tu cherchais! » Par une révélation instantanée, il comprit que le secret de sa tristesse était là, et que toute sa mélancolie était le désœuvrement de son cœur. Désormais, il allait vivre ...

Allons! Il Y a quelque chose d'enchanté au royaume de Danemark! Et jamais passion ne fut plus foudroyante que celle-là ... La comtesse Olamünde était veuve, mère de deux charmants bambins et fort ambitieuse. De descendance royale, mais éloignée du trône, elle vivait dans l'obsession d'y remonter un jour. Elle accueille le jeune homme avec un détachement amène, un empressement juste assez distant pour multiplier par vingt la force de son coup de foudre.

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Hypnotisé, balançant tout au long des jours et des nuits entre l'espoir et l'affliction, celui-ci reste quinze jours au château. Sans consentir à descendre de ces nuées que la comtesse fixe le soir, d'un regard embrasé. Las! il lui faut bien redescendre sur terre et retourner vers ses vieux parents. Tourments, larmes, aveux ...

- Madame, j'ai fait un rêve trop beau ... dit-il en prenant congé. Ah ! Le plus beau jour de ma vie serait celui où je vous ramènerais margrave de Bade, dans le château de mes pères !...

A ces mots,les yeux sombres d'Olamünde lancent des flammes.

- Et qui donc peut empêcher la réalisation de ce beau rêve? interroge-t-elle, avec un feu contenu ...

- Hélas! répond le jeune homme, il y a deux paires d'yeux qui s'opposent à ce bonheur. Tant que ces quatre prunelles réfléchiront l'azur du ciel, notre union est impossible.

- Et si ces yeux s'éteignaient? demanda la comtesse, d'une voix tremblante.

- Vous seriez alors ma femme, souffle le duc.

- Je serai donc duchesse de Bade! s'écrie la comtesse,transportée ...

- Oui, comtesse, dit-il, vous serez margrave !.. Adieu, hélas ! mais je reviendrai au jour triste et béni où ces quatre yeux se seront éteints.

A la fois brisé et joyeux, le jeune homme rentre au duché. Des mois passent. Le fier cavalier qui franchit un beau jour les limites du duché, en route pour le Nord, n'a rien du jeune homme un peu évaporé qui l'avait quitté des mois auparavant. Cette fois, il repart très droit sur sa selle, conquérant et l'œil allumé. Des voyageurs effarés l'entendent rire avec éclat quand il éperonne son cheval, avec, pour seule boussole, les yeux d' Olamünde ...

A une lieue du château, il rencontre le vieux majordome qui l'avait si bien accueilli lors de sa première visite. Il est en deuil et marche la tête basse en portant un paquet sous le bras.

- Où allez-vous, ainsi? lui dit-il, saisi d'un sombre pressentiment.

Le vieux serviteur se tait. ..

- Mais qu'avez-vous donc? lance le jeune duc, plein d'impatience. Et où est votre maîtresse?

Sans relever la tête, le majordome murmure :

- La comtesse vous attend, monseigneur !

Pour être plus présentable, le margrave fait halte dans une auberge proche du château.

- Ne vous arrêtez pas si près du but! lance l'aubergiste terrifié, en le voyant.

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Saisi d'épouvante, il repart au galop. Bientôt, il franchit d'un bond la porte du château, faisant sonner les fers de sa monture sur les dalles du perron. Le parc, la cour, les vestibules et les corridors sont déserts. Quatre à quatre, il grimpe l'escalier qui mène aux appartements de la comtesse. Dans sa chambre, obscurcie, les rideaux sont tirés et les volets clos. « Repose-t-elle, morte, derrière le baldaquin de son lit ? » se demande le prince ... Saisi d'une angoisse folle, il écarte les voiles. Olamünde gît sur sa couche. Elle respire faiblement. Quand elle le reconnaît, elle se dresse et pousse un cri ...

- Salut à la margrave de Bade! dit le prince en fléchissant le genou. .

Olamünde, alors, se jette sur lui, l'étreint et murmure :

- C'est toi c'est toi, mais comme tu viens tard!

Sur son visage, les yeux se sont creusés et une pâleur mortelle a envahi ses traits.

- Olamünde, mon amour, êtes-vous malade? Répondez! dit le prince.

Elle éclate d'un rire lugubre, et répond:

-Je vais guérir, oh ! je vais oublier!

- Qu'est-il donc arrivé?

- Tu ne le sais donc pas? Viens, mon fiancé, fuyons !.. Je te le dirai en route, car je suis ta fiancée, n'est-ce pas ?.. Plus rien ne s'oppose désormais à ce que tu sois mon époux ? Ces yeux qui te faisaient si peur se sont éteints pour jamais !

- Grâce au ciel, comtesse, dit le duc, ces yeux-là contemplent toujours le monde. Mais, à présent, ils acceptent que tu sois ma femme !...

- Qu'est-ce à dire ?... Ces yeux, ces flammes terrifiantes sont encore en vie, et tu les as vues ?

- Que voulez-vous dire, pour l'amour du ciel?

- Rien, rien ... fuyons !... Entends-tu ton cheval hennir d'impatience?

Et la comtesse entraîne avec terreur le margrave dans l'escalier. Le jeune homme empoigne aussitôt la bride de son cheval, lui-même gagné par la peur de sa fiancée. Mais au moment de l'installer en croupe, il s'écrie:

- Nous allions oublier vos chers enfants, madame!

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A ces mots, Olamünde fixe sur lui des yeux égarés ...

- Tu réclames mes enfants ! N'as-tu donc pas dit que leur regard ne pouvait tolérer notre bonheur ?

- C'était, madame, les yeux de mes parents seulement, que je redoutais ... Aujourd'hui, mon cher père et ma chère mère consentent à notre mariage !

- Enfer! siffle la comtesse. C'est impossible, tu mens !...

Ce serait donc en vain que j'aurais été une mère dénaturée ! ...

A ces mots, le pauvre jeune homme comprend tout. Pour être à lui plus sûrement, elle a tué ses enfants. Horreur et sacrilège !... Elle a beau se cramponner aux mains puis à la selle du prince, celui-ci, les yeux fixés au ciel, la repousse du pied en se signant. Glacé d'épouvante, il laboure de ses éperons les flancs de son cheval et s'enfuit. Le chemin contourne le château et le malheureux est obligé de repasser devant le petit lac qui baigne la terrasse où Olamünde était assise lors de leur première rencontre. La brise du soir lui apporte ce cri déchirant:

- Margrave de Bade! Il y a malgré toi un pacte de sang entre ta race et la mienne! Je suis à toi pour l'éternité !...

En une image confuse, il voit la comtesse lui tendre les bras et s'élancer, comme pour l'entraîner avec elle, dans ces flots qui vont l'engloutir ...

C'est un pauvre hère prostré que le cheval ramène au château familial. On le fait s'aliter. Il tombe aussitôt dans une langueur dont il ne sortira plus. Malgré le chagrin et la tendresse de ses parents, qui tentent de le persuader qu'il est la victime d'un mauvais rêve. Pour dernière faveur, il demande qu'on envoie chercher au Danemark le portrait de celle que tous désormais appelleront« la Dame Blanche »... . .

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Il fait placer le portrait près de son lit et affirme, un matin, qu'elle lui a rendu visite. Quand son père cherche à le rassurer, il lui dit:

- Vous aussi, vous la verrez, mon père !

Peu de temps après, il expire.

Et en effet, quand le vieux duc meurt quelques années après son fils, il assure avoir vu également, dans les couloirs du château, le pâle fantôme de la comtesse Olamünde ...

Tant que la maison de Bade durera, l'ombre fatidique ne dérogera jamais à son rôle d'augure. Trois fois encore après la maladie du grand-duc Léopold, elle se manifeste au détour des corridors du château. Quant au grand-duc lui-même, qui s'était mis au lit fin janvier, pour une crise de goutte que l'ensemble des médecins qualifiait de bénigne, il meurt ponctuellement début avril, peu de temps après sa rencontre avec la Dame Blanche.

Pour ne pas faire mentir, en pays de Bade, la tradition nationale !... 

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SOURCES :

Guy Bechtel, Paracelse, CEL et Grasset
Victor Hugo, Ecrits spirites.
Louis Ulbach, La dame Blanche de la Maison de Baden. Coll. « Le Musée des Familles ».1880


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