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Jaffa ou la nécessité du métissage

Publié le 21 juin 2009 par Boustoune


En 2004, lors du 57ème festival de Cannes, une belle et poignante histoire d’amour mère/fille sur fond de détresse sociale et de prostitution réussissait à émouvoir le public et toucher le jury de la caméra d’or. Le succès du bien nommé Or (Mon trésor) mettait ainsi en lumière les performances de deux magnifiques actrices israéliennes, Ronit Elkabetz et Dana Ivgy, et faisait découvrir le talent d’une jeune réalisatrice prometteuse, Keren Yedaya.
Ce beau trio féminin se reforme aujourd’hui pour nous offrir Jaffa, un film dans la même veine intense et subtile, sur un thème pourtant ardu : les relations tendues entre juifs et arabes en Israël…
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Plutôt que de se lancer dans une reconstitution historique fastueuse, ou un brûlot politique engagé et démonstratif, Keren Yedaya a intelligemment et humblement choisi de faire ce qu'elle sait faire : un drame intimiste, centré sur un nombre restreint de personnages.
Elle a circonscrit son intrigue à une ville – Jaffa – une des villes les plus cosmopolites d’Israël, un creuset où sont réunies de nombreuses communautés de confessions différentes, à un quartier de cette ville et même à un lieu bien précis, un vieux garage appartenant à un couple de juifs israéliens, Reuven et Osnat. Leurs deux enfants, Meir et Mali, les aident à gérer la petite entreprise familiale, avec l’aide de deux employés arabes, Hassan et son fils Toufik.
Malgré la distance qu’impose le rapport hiérarchique entre la famille et les deux mécaniciens, les relations sont cordiales, fondées sur le respect mutuel, et tout ce petit monde vit en relative harmonie. De quoi laisser espérer un avenir radieux à Toufik et Mali, qui s’aiment depuis des années et préparent en cachette leur mariage.
Seule ombre au tableau, l’attitude de Meir, qui souffre des critiques incessantes de ses proches, qui déplorent la piètre qualité de son travail par rapport à l’efficacité de Toufik. La tension monte entre les deux hommes, jusqu’au drame…
La façon dont ce microcosme vole en éclat est évidemment allégorique des différents mécanismes qui poussent deux peuples, deux religions, à se détester, et à se livrer un conflit meurtrier sans fin qui déstabilise depuis plusieurs décennies toute la région du Moyen-Orient. Les protagonistes du film ne se voient pas, ne s’écoutent pas ou plus. Chacun cherche à imposer son propre point de vue aux autres, ce qui génère inimitiés, rancoeurs, frustration et jalousie… Pire, le groupe tente malgré tout de sauver les apparences en se parant d'une tolérance et d'une ouverture d'esprit de façade. Reuven est le plus bel exemple de cette hypocrisie. Il est le premier à laisser éclater sa xénophobie dès que la situation s'envenime. Osnat, de son côté, laisse de temps en temps échapper des propos très durs et totalement intolérants, avant de basculer totalement dans la haine après le drame...
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La peur de l’autre est un instinct primitif, un sentiment profondément ancré en chacun. La civilisation a permis de dominer ce sentiment, de le confiner dans un recoin de l’âme humaine, mais elle a eu aussi des effets contraires. Le communautarisme soude les liens des individus partageant la même foi, la même langue ou les mêmes coutumes, mais, dans le même temps, participe à exclure les autres clans, différents. Au Moyen-Orient, ce communautarisme est très fort et a été exacerbé par des années de conflits, de deuils cruels, de désirs de vengeance.
Meir est un type détestable, provocateur et haineux, mais à partir du moment où la violence éclate, sa famille se ressoude autour de lui. Le sentiment d’appartenance à une famille, et par extension, à un peuple, puisque le récit est allégorique, est plus fort que la raison. De la même façon, Toufik, au moment où il s’apprête à épouser Mali, devrait rester calme et maître de ses émotions face aux provocations de Meir. Mais la colère prend le dessus lorsque ce dernier s’en prend à son père. Malgré les appels au calme de ce dernier, Toufik s’abandonne aussi à ses instincts primitifs.
Ce n’est que lorsque le sang coule et que les clans se séparent qu’un calme relatif revient. Mais les blessures sont toujours ouvertes, la haine est bien installée, et l’hypocrisie de façade est encore plus détestable…
Avec son histoire très simple, très classique, Keren Yedaya réussit à disséquer des sentiments humains très complexes. Avec une maîtrise totale du cadre et de la mise en scène, elle se concentre sur ses personnages, êtres lâches et pathétiques, entraînés dans un engrenage de haine et de frustrations trop puissant pour eux.
En élargissant le champ de vision, elle dresse un tableau fort peu réjouissant de l’état des relations israélo-palestiniennes, qui ne s’arrangeront pas avec de simples murs érigés entre les territoires. Mais le film se clôt sur une note d’espoir, avec le personnage de cette fillette, fruit d’un amour mixte, du mélange de deux cultures, de deux religions. Symbole d’un avenir où les différents peuples vivront en harmonie sur le même territoire, et représente les générations futures qui, un jour peut-être, sauront refuser ce lourd héritage de haine et de violence…
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Keren Yedaya prône le métissage et applique sa démarche à son propre film. La cinéaste israélienne s’est inspirée des grands films populaires égyptiens pour constituer la charpente de son long-métrage et y a greffé son propre style de mise en scène. Le résultat est un amalgame réussi entre mélodrame accessible au grand public et film d’art et d’essai pur et dur.
Même équilibre, même alchimie entre les acteurs israéliens et arabes, tous magnifiques. Outre Ronit Elkabetz et Dana Ivgy, encore une fois éblouissantes, on retrouve Moni Moshonov, l’un des meilleurs acteurs israéliens, et l’on découvre Mahmoud Shalaby, excellent dans le rôle de Toufik.
Jaffa est un film en parfait équilibre, à la fois beau et poignant, douloureux et puissant, intimiste et universel. Ce n’était pas évident avec un sujet aussi éminemment risqué et ambitieux. Cela confirme tout le bien que l’on pensait de Keren Yedaya et de sa troupe, et on ne peut qu’applaudir au message humaniste véhiculé par le film. Espérons qu’un jour, artistes israéliens et palestiniens réussiront à imposer leur vision pleine de sagesse et de tolérance à leurs concitoyens…
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Jaffa ou la nécessité du métissage

Tags : Jaffa,Keren Yedaya,Ronit Elkabetz,Moni Moshonov,Mahmoud Shalaby,Conflit israélo-palestinien,
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