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Ruwen Ogien : “La Vie, la Mort, l’Etat”

Par Colbox

L’éthique en liberté
CritiquePhilosophie. Ruwen Ogien s’interroge sur «la Vie, la Mort, l’Etat».

Par ROBERT MAGGIORI
Libé 25/06/09

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Ruwen Ogien

La Vie, la Mort, l’Etat
Grasset, 222 pp.,16,50 euros.

Apartir de combien de grains de sable a-t-on un tas ? Au bout de combien de péchés une âme est-elle destinée à l’enfer ? «Une action qui a deux effets, l’un bon et l’autre mauvais, est-elle permise dans le cas où c’est seulement le bon effet qui est visé par l’agent ?» Y a-t-il une différence morale entre action et omission, si les conséquences sont identiques ? De telles questions ont donné lieu à d’âpres joutes philosophiques ou théologiques - au Moyen Age.

Dans le débat bioéthique contemporain, il en est du même genre, dont nul ne dirait pourtant qu’elles sont oiseuses, vu le poids des enjeux. «A partir de quand peut-on dire qu’un fœtus est une personne ? Jusqu’à quand les recherches sur l’embryon sont-elles moralement acceptables ? Existe-t-il une différence morale entre faire mourir quelqu’un en procédant à l’injection d’un produit mortel et le laisser mourir en cessant de l’hydrater et de l’alimenter ? […] Entre déposer une pilule mortelle sur la table de nuit d’une personne qui voudrait mourir et la placer dans sa bouche car elle n’arrive pas à le faire elle-même ?»

«Paternalisme». Au croisement de la philosophie, de la religion et de la psychologie, de la médecine et de la morale, de la biologie, de la politique et du droit, la bioéthique n’est pas une discipline très ancienne : mais en quelques décennies elle a réussi à pointer les problèmes les plus essentiels touchant )à la liberté, au sens de la vie et de la mort. Aujourd’hui, son domaine d’intervention semble illimité, de la procréation à l’avortement, de l’expérimentation sur le vivant aux politiques de santé publique, du «rapport personnel à lanature dans ses formes humaines ou non humaines» au suicide et à la mort assistés. Aussi est-il rare que sur ces sujets on puisse avoir des certitudes, et être sûr de ses raisons au point de rester sourd à celles des autres, sauf si l’on se trouve pris dans une situation vécue particulièrement douloureuse ou si on fait acritiquement découler sa pensée de quelques dogmes, scientistes, philosophiques, religieux. C’est cette posture non dogmatique qu’adopte Ruwen Ogien dans la Vie, la Mort, l’Etat.

Spécialiste de philosophie morale, Ogien apporte évidemment dans le débat des thèses personnelles. L’Etat devrait être neutre ou dans une «abstinence philosophique» quant au rapport métaphysique que chacun peut avoir à la vie et la mort. Or il n’a pas cessé de «contrôler de façon coercitive le début et la fin de vie de ceux qui vivent sur son territoire». En France, par la «loi relative à la bioéthique» de 2004 (dont on prépare la révision, mais qui est en soi un problème, puisqu’elle pose, de fait, que l’Etat démocratique est habilité à s’occuper d’éthique et de morale), ce contrôle est particulièrement appuyé. Ogien considère qu’il établit une sorte de «paternalisme» et offense gravement les droits et les libertés des personnes. Mais il n’assène pas sa vérité en omettant ou en méprisant les positions adverses.

Dans un style qui rappelle celui de la philosophie analytique, il expose tous les arguments, cite les justifications de toutes les parties et propose des objections raisonnables, dont il attend aussi qu’elles soient discutées. La gestation pour autrui («mères porteuses») blesse-t-elle la dignité des femmes, transformées en «fours à bébés» ? Le clonage reproductif menace-t-il «le processus de reproduction sexué» ? L’ouverture aux couples gays et lesbiens, aux célibataires, aux femmes «supposées ne plus être en âge de procréer», de l’assistance médicale à la procréation remet-elle en cause les «valeurs et les repères fondamentaux» de la société ? L’élimination d’embryons porteurs de pathologie ou leur modification génétique relève-t-elle d’un «eugénismerépugnant» ? L’«aidemédicale active à mourir» est-elle une «transgression majeurede l’interdit de tuer» ?

Dignité.La Vie, la Mort, l’Etat répond négativement à toutes ces questions, où transparaît une «victimologie abusive», et met en place une discussion sereine, toute en raisons, et apte à ce que chacun puisse forger sa propre opinion. Discussion radicale, cependant car, pour justifier son propos, Ruwen Ogien est obligé de «viser au cœur». Il fait valoir le concept, emprunté à la philosophie du droit, de «crimes sans victimes», qu’il serait injuste de pénaliser, mais met aussi en cause ce qui, depuis Kant, paraît être le «saint des saints» : la notion de dignité humaine, impliquant le devoir moral à l’égard des autres, compréhensible, et le devoir envers soi-même, plus difficile à saisir. Elle serait «inutile et dangereuse». Parce qu’elle fait jouer la dignité contre les libertés individuelles. Et parce que, à vouloir «protéger les gens d’eux-mêmes», elle les traite comme «des enfants turbulents et irresponsables».

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