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La vaine réalité, de la couleur aux fantômes (John Batho)

Publié le 25 juin 2009 par Marc Lenot

para-10gf.1245935148.jpgCe ne sont pas des parasols que John Batho photographie (à la Bibliothèque Nationale Richelieu jusqu’au 6 septembre), pas plus que Monet ne peignait des meules de foin ou la cathédrale de Rouen dans leur réalité changeante. Les Parasols (1981-2002) ne sont que des formes, qu’un support pour la couleur, pour les oppositions de couleurs, les frontières entre les couleurs, les dissonances et les correspondances entre elles ; à peine s’il se préoccupe de l’agencement des ces formes-parasols dans l’espace, ni de leur équilibre ou de leur tension.

L’objet ne l’intéresse guère en soi, il n’est que moyen de parvenir à une certaine vision, de bâtir une chromatie complexe, dérangeante, qui vient en quelque sorte perturber l’image, polluer notre vision, la rendre plus sensuelle, moins digne de confiance, moins indicielle. Ce ne sont pas des trompe-l’œil, le photographe ne prétend pas montrer un autre réel, mais entraîner son spectateur dans une expérience de perception visuelle. Le regard compte infiniment plus que la chose vue.

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Ces parasols ont en eux-mêmes si peu d’importance que John Batho va s’orienter ensuite vers des objets encore moins réels, encore moins présents, et, de ce fait, davantage à même de recréer cette impression pure, cette expérience unique de
la couleur. Photographier des Papiers Froissés (1987-1990) tient de la gageure, voire du gag. L’objet photographié, dérisoire, n’est plus qu’un déchet, il perd toute existence, tout intérêt, sinon, justement, celui que lui confère le photographe en l’instaurant support de couleur et de lumière. Si la série des Nuages Peintures (1998) a encore une attache matérielle, encore que vaporeuse et cousinant avec la peinture, on perd quasiment tout sens du référent face aux Papiers-lumière (1992) sur fond noir ou devant les
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Surfaces (1994-1996), habile jeu de construction d’un écran marin et d’un cadre, dont le seul et unique sujet est la perception lumineuse.

Comme ces images quasi abstractisées semblent inciter à la méditation, encore que l’auteur se défende de tout spiritualisme, la tentation est grande de les mettre en résonance avec la peinture chinoise classique. Le peintre chinois de paysages (le genre le plus noble) ne peint pas un sujet donné, il peint à chaque fois le monde ; il ne représente pas la nature, il reproduit son processus incessant, il peint le cosmique. Si personnage il y a, il est peint à l’unisson du monde, intégré tout autant qu’un rocher ou un bambou. Ce refus de la mimesis, de la représentation / imitation du monde, au bénéfice d’une vision plus essentielle, transmettant l’esprit plutôt que la forme, c’est aussi ce vers quoi John Batho semble tendre.

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On n’en est que plus surpris par l’apparition de la figure humaine dans le travail de John Batho, apparition plutôt récente, en noir et blanc, et qui est aussi une disparition. Passons sur les Nageuses (1990); mais l’argument de Présents & Absents (1998) * dénote une approche plus référentielle, métaphorique plutôt que conceptuelle. Ces silhouettes grises, floues, tremblantes, capturées sur un fond de camera obscura empreinte de buée et remarquablement présentées en chicane sur des cimaises elles-mêmes en verre dépoli au début de l’exposition (certaines avec un miroir les reflétant au sol) fascinent. Dans leur solitude, ces images à taille humaine attestent d’une présence, d’une mémoire absolue mais non identifiable. Elles représenteraient un développement très intéressant du travail de John Batho sur la forme et la lumière (la couleur se réduisant désormais aux nuances de gris) si ce dernier ne leur conférait une plus grande littéralité, évoquant à leur sujet les disparus (juifs et non-juifs) de Vilnius pendant la deuxième guerre mondiale. Cette littéralité, cet ancrage voulu dans l’histoire, même incertain, liant l’image à une mémoire, est tout à fait louable, mais sape la rigueur hautaine et détachée du formalisme de ce travail. En voulant, pour la première fois, montrer qu’il est (aussi) humain, John Batho a, si j’ose dire, perdu sa superbe, et donc sa pureté.

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Tout au fond de l’exposition, une des séries les plus récentes montre des Cartes à jouer érodées, délavées par le temps, dont traits et couleurs sont effacés : cet effacement, ce brouillard de la mémoire me semble un travail certes moins fort visuellement mais esthétiquement plus aboutis que les figures de l’entrée.

* Rien à voir avec cette chronique d’un absent présent.

Toutes images copyright John Batho, courtoisie du service de presse de la BNF.


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