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En route pour Sarajevo

Publié le 29 juin 2009 par Memoiredeurope @echternach
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Il me reste encore un grand choix de livres parmi ceux qui me sont passés par les mains depuis quelques mois. J’avais laissé de côté le « Freelander » de Miljenko Jergović pour des raisons de désespoir (Actes Sud, avril 2009). Je l’ai vite lu. Un récit de route ne vaut que par le souffle, ou l’essoufflement. Et on se doit d’éprouver l’un et l’autre. Alors il ne vaut rien de laisser le récit se défaire dans l’évanouissement des jours.
L’auteur m’avait offert un grand plaisir il y a plus de dix années avec « Le jardinier de Sarajevo ».  Un plaisir d’autant plus insolite que j’avais contacté à cette époque, pour une réunion à Terrasson, les vrais jardiniers de Sarajevo ; ceux qui tentaient de  déminer le jardin botanique de la ville pour le faire renaître. Une tentative miraculeuse. Un ensemble de « Petites équivoques sans importance » comme l’écrirait Tabucchi.
Mais Sarajevo, ville symbole, je ne la connais toujours pas.
Elle a filtré pour moi derrière les films documentaires qui l’ont regardée s’éventrer ou dans la recherche d’une pellicule perdue filée par les Trois Parques d’Angelopoulos. Le brouillard a masqué la vision d’Ulysse. Est-ce qu’on peut réellement voir Sarajevo ? Est-ce que la ville existe encore ? Un état de siège ? Le voyageur de Goytisolo disparaît lui aussi dès l’aube de son premier jour à Sarajevo avec un carnet plein d’autres petites équivoques sur son nom véritable. Une ville d’évanouissement !Ulysse doit-il mourir là pour pouvoir conjurer le fil des trois dames et de leurs destins filés ? L’écrivain catalan devait-il mourir là, même s’il vit toujours ?
Et Karlo Adum le héros minable et usé de Jergović est-il lui aussi condamné à revenir sur les lieux de sa naissance pour tomber à terre et s’y enfoncer. Bien qu’il ait pris la précaution de mettre un pistolet dans sa poche ?
Pourtant pétri de références, ce professeur d’histoire à la retraite succombe devant la difficulté des hommes et des lieux : « Il faisait donc la queue au péage, derrière le poids lourd qui provoquait le bouchon, et il appuyait sur le klaxon en admirant la pureté du son. Projetant de la passion et de la fureur, comme dans la symphonie Titan de Malher, ou, mieux, comme dans la Résurrection. Le professeur Karlo Adum klaxonnait la fenêtre ouverte et savourait, tel un public passif et émerveillé, ses propres trompettes ô combien supérieures aux ignobles pistons en bakélite, misérable vagissement de ces bien trop chers et imparfaits bâtards de l’industrie automobile postmoderne, réduits à la citation et à la réplique, chez lesquels tout détail, toute particularité et toute caractéristique deviennent, résultat d’un éclectisme exacerbé, aussi peu identifiables que le visage d’un soldat dans une parade de l’armée chinoise. »
Un Proust autoroutier, pris dans les traces de massacres et de bombardements. Un être capable d’une suprême courtoisie devant le malheur.
Et l’héritage qu’il vient chercher, en partant de Zagreb où il attendait une mort triste, se déplace au fur et à mesure que les nouvelles modes de l’Occident accrochées comme des tiques aux nouveaux riches de la Croatie, cèdent le pas devant les terreurs nocturnes des Balkans ensanglantés qui attendent de s’enrichir à leur tour.
Mourir à Sarajevo tout près du but. Meilleur sort que de mourir d’usure ?
Une fable dirait-on ? Mais que peut on raconter à propos de la Bosnie-Herzégovine, sinon une fable pour en cacher le malheur ?
Comme toute chose, comme tous les monuments échappés aux ors de François-Joseph qui les a fait naître, tout devient objet de vénération et de répulsion. Comme cette cathédrale, lieu de pèlerinage pour les éclopés…
« Aujourd’hui, cette cathédrale offre la preuve de la tolérance musulmane qui, à l’image de toute autre tolérance dans les Balkans, n’est qu’une forme subtile de mépris envers toutes les minorités. Cette pensée plut au professeur, il se promit de la garder en mémoire. »
On ne saurait mieux dire du bordel ambiant !
Photographies : Zagreb, juillet 2008, photo de l’auteur. Sarajevo, habitats collectifs réhabilités dans une avenue perpendiculaire à Sniper Alley, photo site : l’Expec, copyright ESJ LIlle 2001.

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