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Gary Victor : Banal oubli

Par Gangoueus @lareus
Gary Victor : Banal oubli
Comment vais-je me sortir de ce traquenard ? Je viens de terminer le dernier roman de l’auteur haïtien Gary Victor. Banal oubli. Un titre apparemment banal auquel cet auteur ne nous avait pas habitué. Je vous conseille de lire sa bibliographie pour comprendre la portée du choix d’un titre chez cet auteur.
Comment vous présenter ce roman ? L’acte n’est pas aisé.
Pierre Jean est un écrivain de renom en Haïti. Il est potentiellement nobélisable. Selon lui. Il a écrit des textes engagés et il a levé des pétitions contre l’ex-dictateur. Un soir où il vient de se faire larguer par sa meuf, il passe la nuit dans son tripot habituel, à enchaîner les gins. En sortant au cœur de la nuit et après avoir pris la route pour sa demeure, il a la sensation d’avoir oublié quelque chose : il s’est oublié. Ok, je vous vois écarquiller les yeux et vous prendre la tête dans les mains et vous demander :
« Bon sang! dans quel délire haïtien a-t-il été entraîné cette fois-ci ? ».
Notre romancier commence sa propre quête par une déclaration de perte de soi au commissariat de police de son quartier. Là, je me dis qu’on va de nouveau plonger dans une histoire fantastique ou le vaudou tire les ficelles. Pas tout à fait. En effet, des meurtres particulièrement sanglants sont perpétrés dans la ville avec une mise en scène particulièrement macabre faisant référence à la crucifixion… Le polar pointe, le commissaire Dieuswalwé Azémar, personnage mythique de Victor entre en scène…

Banal oubli est un roman excellent. Sublime. Un coup de cœur. J’ai découvert Gary Victor l’année dernière dans un autre genre avec ses 13 nouveaux vaudous. Toutes originales. Ici, l’auteur use d’artifices littéraires, des genres pour conter l’histoire de Pierre Jean. Ecrivain, créateur en conflit avec lui-même et ses personnages. Il y a de tout dans ce roman. Une dimension psychodramatique. Un côté polar. Une réflexion sur la littérature, ses artifices, le travail de conception des personnages. Un aspect fantastique. Avec en arrière plan, Haïti, Port aux Princes, cette ville qui véritablement sous la plume de Victor. Avec son histoire, sa misère.
La trame est intéressante. Les personnages sont complexes. Le lecteur peut prendre le risque de se perdre dans les dédales, les dédoublements de Pierre Jean. Ou de Gary Victor ? Le personnage central veut reprendre la main sur la narration de l'auteur. Pas toujours évident à suivre.

« Vainqueur ou vaincu, surtout vaincu, ne laisse à quiconque, pas même à Dieu, le soin d’écrire ton histoire»


J’ai vraiment apprécié cette écriture délicieuse de Victor qui prend des tournures très différentes suivants les figures respectives de Pierre Jean ou de son personnage de roman. La description des enfers par son âme tourmentée est d’une inspiration magnifique et étonnante.

Bref, après une belle série de romans passionnants depuis le début de l'année, vous avez là, mon coup de cœur pour le premier semestre 2009.

Morceau choisi, le double de Pierre Jean regarde Port-aux-Princes :
J'aime parfois jouer à l'ange. Je m'assieds alors au sommet de l'édifice le plus haut pour contempler la ville à mes pieds, pour attendre le lever du soleil ou l'apparition de l'arc-en-ciel quand Dieu laisse tomber quelques larmes sur cette terre asséchée. Je capte une vibration autour de moi. La présence du fantôme de Sourignac est tangible (...)Le matin, le souffle de la cité est lent et régulier. C'est le souffle d'un enfant plongé dans un profond sommeil après avoir profité de la tendresse de sa mère.
Au fur et à mesure les rues s'animent, qu'elles se noircissent de monde et de fumée, le souffle de la cité s'accélère, devient saccadé. Au plus fort de la journée, il a les ratés d'un asthmatique. Il prend la rapidité du souffle des créatures soupçonnant la proche présence d'un prédateur quand la misère quitte les bidonvilles pour que sa colère explose la face du mépris et de l'indifférence, sans aucune même pour les innocents (...) Ce qui m'intrigue le plus, c'est le souffle de la cité au plus fort de la nuit. Il commence par ralentir pour devenir imperceptible, puis il reprend au rythme d'une scie qui s'enfonce dans la chair d'un arbre caché quelque part dans la forêt.
Page 146, Edition Vents d'ailleurs

Gary Victor : Banal oubliGary Victor, Banal oubliEdition Vent d'ailleurs1ère parution en 2008, 190 pages Voir l'interview accordé à Altermondes et au Matricule des anges

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