Magazine Culture

Bloody Mary

Publié le 06 juillet 2009 par Menear
Ma dernière crise de somnambulisme
Je n'y aurais pas pensé moi-même si H. n'avait pas formulé la chose en toutes lettres entre deux retards de voies et changements de quai. Il a dit : quand j'étais somnambule, etc.
dure depuis des jours maintenant, ça se répand cyclique dans l'arrière tête depuis les premières grosses chaleurs je crois. Jour après jour je continue de forger sans âme, comme un somnolent. Plus de cornées, semelles, plus d'émotion. Je traverse fantôme une à une les escales de mon calendrier. Plus que dix, neuf, huit, etc. Je compte à rebours pour le geste, je suis là sans y être, je reste en surface sur le filtre additionnel. J'attends là que tout se recompose.
Une vie aveugle où tout était clair comme de l'eau. (Roberto Bolaño, 2666, Christian Bourgois, trad : Roberto Amutio, P.211).
En bas de l'immeuble les marteaux-piqueurs déchaînés pilonnent : les vibrations remontent la pierre jusqu'à l'occiput. Je presse fort index gauche le clapet fictif du tympan, me concentre sur l'oreille droite et le casque-oreillette sous le lobe. Oui monsieur, non madame, oui, bien, non, c'est à dire que, je fais mon possible pour, je vous appelle dès que j'en sais plus sur. Mais au fond je ne comprends pas ce qu'ils me disent. Je jongle avec les chiffres qu'ils me soufflent et me répètent : liquide binaire qui se répand sur mon écran sous forme de un un un zéro un un zéro zéro un zéro zéro zéro. Puis la vérification d'usage : les numéros de carte bancaire sont rejetés par la plateforme, les numéros de téléphone sonnent dans le vide, les adresse e-mail répondent des accusés mauvaise réception. Des fautes de frappe. L'oreille ailleurs. Je hoche la tête devant l'écran mais n'écoute pas. Ah oui, ah bon, puis on verra. Je touche du poing l'écran Dell devant moi : allumé tout le week-end, il est bouillant. Bientôt mes phalanges disparaitront une à une à l'intérieur, qui sait ce qui se découvrira de l'autre côté ?
Il est difficile dans ces situations de prendre l'ordre chronologique comme point de repère. Dans un tel état de somnolence décalée, tout n'est que fait plus fait plus fait plus fait. Addition-succession, sauvegardes éparpillées. Divers éléments (évènements) ensemble agglomérés peuvent faire sens mais jamais pareil, toujours bis, ter et parallèle. Le fait, par exemple, qu'aucun digicode ne se soit ouvert sous mes doigts de sept heures ce matin jusqu'à dix-neuf heures ce soir ne prouve rien. Entre ces deux extrémités pourtant, des kilomètres de chiffres m'ont fuient encore, j'ai noté les numéros de pages de 2666 à l'envers (112 pour 211, 491 pour 114), j'ai travesti des numéros clients, intervertis des numéros CB. Ce ne sont que des faits, je les traverse. Je me suis dit défais-toi de ce pseudo là, prends un pseudo de femme en parallèle, prends-en plusieurs. Je prendrais celui de V. ou de X. et ferais croire dans mon journal que ce nom là est un autre de mes avatars médians. Je lui dirais : maintenant attendre les premiers articles et premières études comparatives de style qui nous confondront tous les deux et défendront notre fiction. On nous prendra pour des cons et des lâches, d'accord, mais d'ici là qu'est-ce qu'on aura vendu ! E. m'appelle en absence ce midi mais je ne décroche pas. Je regarde vibrer son 06 quelque chose en mâchant mon sandwich mousse de canard. Je n'ai pas le temps, je lui dis, de faire semblant de décrocher, je rappellerai bientôt-indéterminé.
Le siège de devant : je ne vois que sa nuque. Ça pourrait être un croquis, un de plus. Mais je ne vois que sa nuque, le reste ne se dévoile pas. Il s'injecte à l'envers des giclées de Red Eye
Le Red Eye est une drogue fictive dans l'anime Cowboy Bebop. Cette drogue s'injecte à l'aide d'un aérosol directement dans l'œil de l'utilisateur et lui permet d'avoir pendant un laps de temps plus ou moins long des réflexes surhumains et une perception du temps plus lente. Beaucoup pensent que la drogue améliore la connexion entre les yeux et le cerveau (les informations provenant de l'environnement sont alors si rapides que tout bouge plus lentement) au point d'éviter des coups ou même des balles. Le Red Eye semble être le produit le plus vendu des organisations criminelles du système solaire. Comme beaucoup de drogues réelles, une utilisation intense et prolongée peut entraîner de nombreux effets néfastes pour l'utilisateur.
(une pulsation par paupière) puis jette la seringue usagée hors du train en marche, poignet délié par la fenêtre. C'est peut-être ça, me dis-je, c'est peut être ça que je me suis fixé sous la paupière sans le savoir, il y a dix jours maintenant, ce qui a déclenché ma transe, ce qui me retient de la briser ?
J'ouvre au hasard La dernière fille avant la guerre sur l'étalage d'une bibliothèque qui pourrait être la mienne et lit : « Stinky Toys, Taxi Girl, Indochine, Etienne Daho ». Je referme le livre tatoué Off 03/57 (ou 07 ?) en première page. Un peu plus loin sur le même rayon Belle du Seigneur sent cette odeur de Chouans que je découvrais, dégoûté, en cours d'année de quatrième, et que je refermais dans la foulée sans le lire. Dans le reste de la librairie je regarde mais ne trouve pas. Je cherche un livre qui n'existe pas. Le gros Journal de Valery Larbeau est introuvable, et je sais bien, d'ailleurs, que je ne veux pas l'acheter, mais simplement le voir. Ces journées s'écoulent sans forme, sens, ni ouverture. Je les traverse à reculons, le train que je longe est à l'arrêt, de l'autre côté du quai un autre train, autre destination, défile TGV sous mes yeux secs (bloody). Je forge toujours sans âme, comme un pas grand chose : d'ailleurs je n'écris plus beaucoup : Coup de tête s'enlise partie III, page 8, j'ai fait semblant de commencer Ernesto & variantes sans poursuivre et j'oublie lentement mon Accident de personne qui trop bref se décompose...

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Menear 147 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine