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Tout pigé !

Publié le 08 juillet 2009 par Joachim
En quatrième de couverture de ses Piges choisies, Luc Moullet donne trois règles pour sa méthode critique.

Dogme 1 : Toujours faire rire le lecteur.

Dogme 2 : Chaque film intéressant engendre une approche critique spécifique au film en question : pas de grille.

Dogme 3 : Toujours partir d’un exemple précis avant de généraliser, et non pas du Général (et encore moins s’y cantonner).

L’Austérité, la Grille et le Général sont les trois cancers de la critique.

Tout pigé !

Suite à la lecture de l'ouvrage, je propose de rajouter les dogmes suivants (ou sous-dogmes ? ou déclinaisons des dogmes fondateurs ?). Nouveaux commandements de l’apprenti critique ? Fondements d’un « art critique » comme il existe un « art poétique » ?

Dogme 4 : Donner une valeur scientifique à ses éloges et éreintements, en brandissant les comptes d’apothicaire qui font tout de suite sérieux. Ainsi, chronométrer et compter les plans (pour louer la grandeur du Détour – Ulmer 1945 -, "film de 69 minutes et 283 collures") comme bien indiquer le nombre de minutes (voire de secondes) pendant lesquelles on a tenu devant les plus mauvais films d’un festival, San Sebastian en l’occurrence (« la vie est courte et rester plus de dix minutes à un navet, c’est mauvais »). Note pour moi-même : investir dans un "stylo chronomètre qui permet d'écrire dans le noir".

Dogme 5 : Inventer des nouvelles catégories improbables pour raconter sous un nouveau jour l’histoire du cinéma (les réalisateurs classés selon leur signe du zodiaque puisque « l’astrologie détermine le devenir des cinéastes »). Soulagement égoïste : « il est stupéfiant de constater la suprématie des Verseau, tant par la quantité que par la qualité : deux à trois fois plus de grands cinéastes que pour l’un quelconque des autres signes ». Etant moi-même de ce signe, tous les espoirs restent permis.

Dogme 6 : Etre le premier à encenser un cinéaste oublié ou inconnu. Bon, alors, à son tableau de chasse, Moullet se vante d’avoir été le premier à évoquer Godard (qui lui présenta son producteur, échange de bons procédés), Fuller, Oshima, Skolimowski, Zurlini ou Guiraudie. Je veux bien croire qu’il ait aussi parlé de Compton ou de Bernard-Deschamps, inconnus à mon bataillon personnel. En revanche, sur Mikhaël Hers, hé, hé, je pense avoir écrit avant lui (même si je ne devais pas être non plus le premier à écrire dessus).

Dogme 7 : Réhabiliter un cinéaste unanimement méprisé par la critique et délaissé par le public (Coline Serreau en l’occurrence). En rajouter dans le blasphème en lui faisant tutoyer une vache sacrée (« A noter l’importance de l’arbre chez Straub et Serreau. L’arbre, c’est ce qui dure plus longtemps que l’homme »). Note pour moi-même : penser à écrire un jour une exégèse des figures de femmes bafouées mais héroïques, ces femmes victimes de la société moderne mais qui refusent tout apitoiement chez Mizoguchi et dans Sin City et Planète terreur de Robert Rodriguez, films honteusement sous-estimés et incompris.

Dogme 8 : Déboulonner les idoles (dans son cas Almodovar, Michael Powell, Antonioni). Ce faisant, toujours « rester fair play » et trouver une exception chez l’un de ces auteurs honnis, ce qui donne encore plus de valeur à cet éloge paradoxal. Très belle critique de Blow up (Michelangelo Antonioni 1967) comme film diamant d’un fantastique solaire et végétatif. Note pour moi-même : vraiment difficile de choisir une tête de turc. J'ai bien Kusturica, mais l'impression qu'il n'est plus si apprécié que ça. S'agirait pas de tirer sur une ambulance, non plus...

Dogme 9 : Théoriser tue ! (« J’ai fait quelques textes théoriques. Pas trop ! C’est dangereux. Metz, Deleuze, Benjamin, Debord se sont suicidés. Peut-être avaient-ils découvert que la théorie ne mène à rien, et le choc a été trop rude. A ce propos, les grands critiques meurent jeunes. Delluc, Canudo, Auriol, Agee, Bazin, Truffaut, Straram, Daney. La vision de trop de films vous bouffe »). Note pour moi-même : faire gaffe…

Dogme 10 : Chasser Moby Dick, c’est-à-dire restituer le film impossible, invisible et qui vous hante. Sans doute l’exercice de restitution des impressions ressenties à la découverte d’un film propre à tout travail critique trouve-t-il avec l’article de Moullet sur La chouette aveugle (Raoul Ruiz 1987) à la fois un point d’aboutissement comme une aporie constitutive. Car toute la démarche d’écriture vise à cerner un « film anguille qui vous glisse entre les yeux. On ne sait pas quoi écrire à son sujet, ni par quel biais le prendre ». De fait, la critique prend un tour résolument ruizien : jeux de miroirs et de reflets basés sur les indices ténus et les souvenirs fuyants du spectateur. Critique impossible qui paraît prolonger la construction même du film en un kaléidoscope mouvant, voire en un château de sable perpétuellement recommencé car édifié trop près du bord des vagues de la mémoire. Dimension fantasmatique et projective renforcée par la quasi-invisibilité de ce film, qui, de fait, prend une existence fantasmée par les écrits autour de lui. Comme si la glose sur le film devenait un prolongement de celui-ci. C’est plus de la critique, là. C’est du Italo Calvino.


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