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12 juillet 1972/Œdipe Roi et Œdipe à Colone au Festival d’Avignon

Par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours


   Le 12 juillet 1972 a lieu la création, au Festival d’Avignon, d’Œdipe Roi et d’Œdipe à Colone dans une mise en scène de Jean-Paul Roussillon.


   Avec la contribution artistique de Jacques Lacarrière, Jean-Paul Roussillon met en scène, pour la Comédie Française, les deux grandes tragédies de Sophocle, Œdipe Roi et Œdipe à Colone. La distribution ― éblouissante ― compte de grands noms. François Chaumette interprète Créon, Michel Etcheverry, Tirésias, Georges Aminel, Œdipe, François Beaulieu, Thésée, Jean-Luc Boutté, Polynice, Rosy Varte, Jocaste, Madame Couture, Antigone et Madame Fages, Ismène. Michel Aumont interprète le rôle d’un messager ; Denise Gence, Virginie Pradal et Catherine Ferran, celui de femmes du peuple. Hervé Sand celui d’un habitant de Colone.



EXTRAIT I

ŒDIPE ROI


Une place, à Thèbes, devant le palais des Labdacides.

PROLOGUE


   ŒDIPE (paraissant sur le seuil de son palais).

   Enfants, rejetons nouveaux de l’ancêtre Cadmos, quelle assemblée tenez-vous donc là, couronnés de rameaux suppliants ? La Ville est pleine du parfum de l’encens, tandis qu’éclatent les péans et les lamentations. Ne voulant point, mes enfants, apprendre d’autrui ce qui vous touche, voyez : moi, Œdipe, — vous savez tous qui je suis, n’est-ce pas ? — j’ai tenu à venir en personne. (Au prêtre.) Eh bien, vieillard, puisque tu as qualité pour parler en leur nom, dis-moi ce qui vous amène : quelle crainte ou quel désir ? Je suis prêt à vous aider en toutes choses. J’aurais le cœur bien dur, si je n’avais pitié de votre assemblée suppliante.

   LE PRÊTRE. — Œdipe, souverain de mon pays, tu nous vois, petits et grands, pressés autour de tes autels domestiques, les uns trop faibles encore pour voler loin, d’autres appesantis par le grand âge — tel je suis, moi, le ministre de Zeus — et ceux-ci, délégués de la jeunesse. Et le peuple tient ses assises suppliantes sur toutes les places publiques, devant les deux temples de Pallas et près du sanctuaire où vaticine la cendre d’Isménos. Car la cité — tu le vois toi-même — toute secouée par la tourmente, peut à peine soulever sa tête hors des gouffres et des remous sanglants. Elle périt dans les semences de la terre, elle périt dans les troupeaux, elle périt dans le ventre des mères. Une plaie tombée du ciel embrase la cité, c’est la Peste maudite : elle fait le vide dans la maison de Cadmos et le noir Hadès thésaurise les gémissements et les pleurs. Ces enfants et moi, prosternés devant ton foyer, nous ne te prenons pas pour un dieu, certes ; mais nous t’élisons entre tous les hommes, à l’heure du péril, pour intercéder auprès des dieux : à peine arrivé devant nos murs, ne nous as-tu pas affranchis du tribut que levait sur nous le monstre aux énigmes ? Oui, sans que nous t’ayons favorisé d’aucun renseignement, sans être au fait de rien, fort seulement de l’appui d’un dieu, tu nous as rendu la vie, chacun le proclame et le pense. Nous voici donc tous de nouveau, ô tout-puissant Œdipe, tournés vers toi : nous te supplions de nous trouver un remède, soit que tu entendes une voix divine, soit que tu écoutes l’avis de quelque sage ; car j’observe que l’expérience est toujours bonne conseillère. Va, ô le meilleur des mortels, redresse la cité qui penche ; va, ta gloire est en jeu. Ce pays t’appelle à l’aide parce que tu t’es déjà dévoué pour lui. Qu’il ne soit pas dit que, sous mon règne, nous ne nous étions relevés que pour retomber ; rends à la cité un aplomb solide. Jadis, avec l’assentiment des dieux, tu as rétabli notre fortune : ne démens pas ton passé. Si tu dois gouverner encore ce pays, il vaut mieux régner sur des hommes que sur un désert : qu’est-ce qu’un rempart sans défenseurs, un navire sans équipage ?

   ŒDIPE. — Mes pauvres enfants, je suis loin d’ignorer quel anxieux espoir vous a conduits jusqu’ici. Je sais votre commune souffrance, et croyez bien que nul d’entre vous ne souffre autant que moi. Alors que chacun n’est atteint que par sa propre douleur, mon cœur gémit tout ensemble sur la ville, sur toi, sur moi… Non, vous ne me réveillez pas d’un sommeil tranquille. J’ai versé bien des larmes, sachez-le, ma pensée a exploré plus d’un chemin. Après mûre réflexion, je n’ai trouvé qu’un remède, et je l’ai appliqué : j’ai dépêché au sanctuaire de Pythô mon beau-frère Créon, le fils de Ménécée, afin qu’il apprenne d’Apollon ce qu’il faut que je fasse ou dise pour nous tirer du péril. Je l’avoue, lorsque je compte les jours, je ne laisse pas d’être inquiet, car son absence excède le temps prévu. Quoi qu’il en soit, dès son retour, je serai bien fautif si je n’exécutais à la lettre les instructions de l’oracle.

   LE PRÊTRE. — Tu ne pouvais parler plus à propos ; on m’annonce à l’instant l’arrivée de Créon.

Sophocle, Œdipe Roi, GF–Flammarion, 1964, pp. 105-106-107. Traduction par Robert Pignarre.



Céphise

Ph. angèlepaoli

EXTRAIT II

ŒDIPE À COLONE


CHANT DU CHŒUR


C’est au pays des beaux chevaux,
étranger, que tu es venu,
dans la plus belle des campagnes,
l’éblouissant Colone, aimé des rossignols
qui modulent à voix limpide
au creux vert de la ravine,
hôtes du lierre noir comme le vin,
sous la feuillée impénétrable, au dieu vouée,
protégeant ses berceaux de fruits
des feux du plein soleil, du souffle des tempêtes :
car c’est là qu’exultant du mystique délire
Dionysos revient toujours
mener le chœur des nymphes ses nourrices.

Là chaque jour s’épanouissent,
sous la sainte rosée, en grappes opulentes,
le narcisse, des deux déesses très augustes
antique diadème,
et l’éclat doré du safran ; là, toujours vives,
d’un cours toujours égal, les sources du Céphise
s’épanchent vagabondes ;
et, chaque jour, leurs eaux pures pénètrent
l’ample sein de la plainte aussitôt fécondé.
Là se plaisent les Muses
pour y danser en chœur, et là se plaît
Aphrodite menant son char aux rênes d’or.

Il est, dit-on, un arbre à l’Asie inconnu,
et qui ne croît point volontiers
dans la grande île dorienne de Pélops.
Il naît spontanément, redouté de la lance
pillarde, il est vraiment un arbre de chez nous :
c’est le glauque olivier, gardien de nos enfants.
Ni jeune conquérant ni chef sous le harnois
blanchi n’en détruira la sève,
car Zeus, patron de nos enclos,
veille sur lui d’un œil qui jamais n’a cillé
et le regard perçant d’Athéna le protège.

Mais une autre louange, et la plus haute, est due
aux incomparables trésors
dont un autre grand dieu fit don à ma patrie :
nos chevaux, nos poulains et nos coursiers des mers !
Fils de Cronos, ô roi Posidon, c’est à toi
qu’elle doit ces titres de gloire,
puisque, pour la première fois, dan nos campagnes,
tu essayas le frein qui calme les chevaux.
Et, légère à la main, qu’il fait bon voir la rame
sur le flot rebondir, cent filles de Nérée
plongeant, surgissant alentour !


Sophocle, Œdipe à Colone, GF–Flammarion, 1964, pp. 280-281. Traduction par Robert Pignarre.


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