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Gabriel Le Gal (1936-2009)

Publié le 14 juillet 2009 par Christian Cottet-Emard

gabriel_le_gal.gifTout mouillé des brumes matinales de la montagne, l'autorail qui m'emmenait à Lyon marqua, me sembla-t-il en pleine campagne, un court arrêt. On annonça Ceyzériat. Par la vitre, je vis une silhouette franchir le ballast. L'autorail repartait déjà lorsque Gabriel Le Gal s'installa en face de moi.

C'est encore dans les gares minuscules des villages que l'expression « prendre le train » garde son sens. On surgit d'un temps dans un autre, des heures habitées dans celles, provisoires, du déplacement. Aucune véritable accélération, aucune rupture dans ce bref mouvement, mais pourtant, quelque chose a changé. En soi, à l'extérieur ? On ne sait pas.

Cette infime modification est au coeur de l'expérience que constitue la lecture de la poésie de Gabriel Le Gal. En quelques mots témoins d'un discret passage, un glissement s'est produit vers un monde de visions fugitives où, subitement, on a enjambé une ligne invisible mais pourtant bien réelle, et plus rien n'est comme avant.

* J'avais écrit ce petit texte pour participer à un dossier consacré à Gabriel Le Gal. Je ne trouve pas d'autres mots pour lui envoyer un dernier salut.

Et puis, cette anecdote, pour le souvenir :

Mes plus fréquentes rencontres avec Gabriel Le Gal avaient pour cadre les réunions des comités de la revue Le Croquant, souvent organisées à Lyon. Un soir vers vingt-trois heures, à la fin d’une réunion chez Jean-Marie Auzias, rue Auguste Comte, Gabriel qui s’était fait déposer par quelqu’un, me demanda s’il pouvait profiter de ma voiture pour rentrer à Ceyzériat, son village de l’Ain qui était de toute façon sur mon chemin pour rentrer à Oyonnax. J’acceptai avec un mélange de joie et d’inquiétude car j’ai une fâcheuse tendance à m’égarer dès que j’apporte la plus infime variation dans mes rares déplacements. Or, déposer Gabriel chez lui modifiait légèrement mon itinéraire. À la périphérie de Lyon, cette simple perspective me fit probablement rater un accès et je me sentis très vite complètement désorienté. Ne souhaitant pas inquiéter Gabriel et encore moins lui avouer que j’étais déjà perdu, je lui déclarai : « Il semble que nous roulions vers le Sud... »
— Oui, il me semble aussi, me répondit-il d’une voix hésitante.
C’était justement la confirmation que j’attendais. Je saisis la balle au vol et ajoutai avec une totale mauvaise foi : « voilà ce que c’est que de vouloir prendre les raccourcis, finalement, on ne les trouve pas et on se rallonge !
— Alors nous allons faire demi-tour ? s’enquit-il.
— J’en ai bien peur...

Je profitai d’un rond-point providentiel pour repartir dans l’autre sens et, je ne sais trop comment, nous reprîmes une meilleure direction, ce qui ne nous empêcha pas de tourniquer encore sur quelques rocades supplémentaires. Finalement, nous nous retrouvâmes sur une départementale où finit par surgir dans mes phares le panneau Ceyzériat. Je déposai Gabriel à sa porte, manifestement soulagé d’être arrivé à bon port. Je n’étais quant à moi pas sorti de l’auberge. À peine sorti de Ceyzériat, je laissai la nuit sans lune avaler goulûment la voiture. Par je ne sais quel maléfice, je découvris Neuville-sur-Ain, commune où je n’avais strictement aucune raison de faire du tourisme à une heure du matin. Je m’enfonçai dans de nouvelle campagnes et, après un nombre considérable de demi-tours dans des cours de fermes où luisaient les regards de molosses insomniaques, je pus enfin trouver un panneau annonçant Oyonnax où j’arrivai enfin à trois heures bien tapées. Lorsque je me rendis à la réunion suivante, toujours à Lyon, j’eus la sagesse de prendre l’autorail. La machine marqua un arrêt à Ceyzériat. Un seul voyageur monta dans l’autorail et vint s’asseoir en face de moi : Gabriel. Les grands esprits se rencontrent !

Quelques temps plus tard, Gabriel m’envoya un de ses recueils tout frais sorti des presses avec cette dédicace : « à Christian, en souvenir d’un épique retour de Lyon. »


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