La littérature n'est pas morte

Un ami de mon frère, professeur de lettres, a dit ceci : " Il n'y a pas eu de grand écrivain depuis Julien Gracq." Il rejoint ainsi la longue plainte de George Steiner qui déclarait : " Il n'y aura plus de Dante, de Shakespeare, de Proust. " Instinctivement, comme une bête traquée dans les halliers, je hurle mon profond désaccord. De telles sentences soufflent sur ma nuque l'âcre exhalaison de la mort. On ne peut pas dire cela à moins que d'avoir soi-même un pied dans la tombe. Ni le professeur agrégé ni l'auteur de Barbarie de l'ignorance ne peuvent savoir ce que sera la littérature dans cinquante ans, dans un siècle. Et puis Julien Gracq a écrit ses livres majeurs avant 1960. Est-ce à dire qu'il ne s'est rien publié d'excellent depuis ? Allons donc ! 1968 : Belle du seigneur ; 1978 : La vie mode d'emploi. Je crois qu'on ne peut ranger Cohen et Perec dans la catégorie des plumitifs. Aujourd'hui, des auteurs comme François Bon, Michèle Desbordes ou Laurent Mauvignier, et je pourrais en citer d'autres, s'affirment comme des écrivains athentiquement originaux, loin des modes commerciales. Le temps et l'histoire trancheront. Il y aura beaucoup de cadavres dans les fondrières, c'est sûr, mais quelques auteurs persisteront dans la mémoire de la langue si ce n'est dans celle des hommes. La littérature est un corps assez robuste pour ne pas se laisser abattre par de funestes prédictions. Alors, voilà ma petite ordonnance pour mes Cassandre déprimés : François Bon : Le crime de Buzon, 1986, Minuit ; Décor Ciment, 1988, Minuit ; L'enterrement, 1992, Verdier... Laurent Mauvignier : Loin d'eux, 1999, Minuit ; Apprendre à finir, 2000, Minuit ; Ceux d'à côté, 2002, Minuit... Michèle Desbordes : La demande, 1998, Verdier ; Le commandement, 2000, Gallimard ; La robe bleue, 2004, Verdier... En poésie, je recommande à mes déclinistes, (et j'en suis un aussi parfois), tout Thierry Metz, tout Valérie Rouzeau et tout Antoine Emaz... Bonne lecture, Messieurs !