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Nicolas Berdiaev – Le Destin de la Culture

Publié le 29 juillet 2009 par Hajen

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« Pour comprendre le sort de la culture, il faut l’examiner dans sa dynamique, il faut pénétrer dans sa dialectique fatale. La culture est un processus vivant. Nous devons constater qu’elle ne peut se maintenir à sa hauteur moyenne ; atteinte dans la période de son épanouissement, sa stabilité a des limites. Dans chaque type historique de culture on constate une période de dégradation, de descente et une transition inévitable à un état qui ne peut plus être nommé culture. Le trop grand désir d’une vie nouvelle, du pouvoir et de la puissance, de la pratique, de la jouissance et du bonheur se fait sentir. La volonté d’atteindre le pouvoir, à n’importe quel prix, est une tendance propre à la civilisation. La culture est désintéressée dans ses suprêmes acquisitions, elle est contemplative, tandis que la civilisation est toujours intéressée. Lorsque l’esprit rationaliste renverse tous les obstacles spirituels, afin d’arriver à la jouissance et à l’utilisation de la « vie », lorsque la volonté et la soif de puissance et de domination, touchent au maximum, on peut dire que c’est la fin de la culture et le commencement de la civilisation. La civilisation, c’est la transition de la contemplation, de la création des valeurs à la « vie » même, à la recherche de cette vie. C’est la dissolution dans le courant vertigineux de la vie, c’est l’organisation de la « vie » et l’enivrement de la force vitale. Une tendance pratique, utilitaire, « réaliste », c’est-à-dire civilisatrice, se manifeste de plus en plus. Le grand art et la grande philosophie, ainsi que le symbolisme religieux, ne passionnent plus et ne se présentent plus comme la vraie vie. C’est un démenti de tout ce qui a été considéré comme sommet de la culture, comme son point culminant. On fait des efforts pour dévoiler le caractère non sacré et non symbolique de la culture. Devant le tribunal de la vie réelle, à l’époque de la civilisation, la culture spirituelle est tenue pour illusoire. Elle est considérée comme le leurre d’une conscience dépendante et sans liberté, comme un fruit irréel de la désorganisation sociale. La technique organisée doit affranchir définitivement l’humanité des illusions et des mensonges de la culture ; elle doit créer une civilisation entièrement « réelle ». Les illusions spirituelles de la culture ont été, pense-t-on, produites par la désorganisation de la vie, par l’impuissance de la technique. Ces illusions spirituelles disparaissent peu à peu ; elles sont vaincues au moment où la civilisation entre en possession de la technique et organise la vie… Le matérialisme économique est une philosophie typique et caractéristique pour l’époque de la civilisation. Cette conception dévoile le mystère de la civilisation, démontre son pathos intérieur. Ce n’est pas le matérialisme économique qui a créé le rôle prédominant de l’économisme et ce n’est pas cette théorie qui a provoqué l’abaissement de la vie spirituelle. La domination de l’économisme s’est manifestée dans la vie réelle et les réalités spirituelles se sont décomposées avant que le matérialisme économique l’ait reflété dans sa doctrine. L’idéologie du matérialisme économique est caractéristique pour l’époque de la civilisation, et c’est elle qui est la plus radicale. La civilisation est inévitablement dominée par l’économisme ; elle est technique de par sa nature ; et toute idéologie, toute culture spirituelle n’est qu’une illusion irréelle. Le caractère illusoire de toute idéologie et de toute spiritualité est mis à nu ; La civilisation passe à la « vie » vraiment réelle. La civilisation, contrairement à la culture, est irréligieuse dans ses bases ; l’esprit rationaliste y prend le dessus, mais cet esprit devient pragmatique et nullement abstrait. La civilisation n’est ni symbolique, ni hiérarchique, ni organique. Elle est réaliste, démocratique et mécanique. Elle ne cherche pas les acquisitions symboliques de la vie mais les acquisitions réelles. Elle cherche la vie et non pas ses images, ses symboles, des symboles de l’au-delà. Dans la divinisation, dans le capitalisme ainsi que dans le socialisme, le travail collectif prend la place de la création individuelle. La civilisation détruit l’élément personnel. L’affranchissement de l’individu qui doit, soi-disant, résulter de la civilisation est mortel pour toute originalité personnelle. L’élément purement individuel ne se manifeste que dans la culture. La volonté tendue vers la puissance de la « vie » anéantit la personnalité. Tel est le paradoxe de l’histoire. »

Le Destin de la Culture, Partie III, Nicolas Berdiaev

L’oeuvre complète est disponible sur larevuedesressources.org et en document (.pdf) ici


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