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Pierre Michon, deuxième

Publié le 30 juillet 2009 par Irigoyen
Pierre Michon, deuxième

Pierre Michon, deuxième

Je disais dans la chronique précédente que les livres de Pierre Michon se résument brièvement. Il me faut nuancer ce propos. Car ce n'est possible qu'après avoir fait des recherches comme ici, avec L'empereur d'Occident, dont la lecture n'est vraiment pas chose aisée.

D'abord parce ce livre a pour toile de fond une période – la fin de Rome - où les événements, les situations, les noms sont complexes. Nous voici en présence de trois personnages historiques : Flavius Aetius, sénateur et généralissime des légions romaines ; Attalus (Priscus Attale), haut fonctionnaire romain qui fut la marionnette politique du bras de fer entre les Wisigoths et le pouvoir impérial romain d'Occident ; et Alaric, roi des Wisigoths qui va, avec ses troupes, pénétrer dans Rome et piller la ville.

Vous conviendrez qu'on peut trouver personnages historiques plus proches, plus connus, plus faciles d'accès. Mais une fois l'obstacle identifié, le lecteur que je se suis fait ce travail de recherche tout en s'apercevant qu'il n'est pas forcément nécessaire. Et ce qui apparaît comme une difficulté est très vite gommé tant l'auteur arrive vite à privilégier la valeur humaine à la valeur des faits historiques.

L'Histoire compte finalement peu et est presque reléguée au second plan. Place plutôt à l'histoire, aux histoires. La première est celle d'une amitié, entre Aetius et Attalus, vieil homme exilé aux îles Lipari. La seconde est l'histoire dans l'histoire, celle de Alaric. On comprend mieux ainsi Pierre Michon quand il parle, dans Le Matricule des Anges du mois de mai dernier, de sa « peur des historiens »

Pierre Michon a souvent dit qu'il n'aimait pas L'empereur d'Occident :

« Quelqu’un qui n’est pas idéologue, un fabricant de textes comme je le suis, peut se désolidariser de ce qu’il a fait. », souligne-t-il dans Le Roi vient quand il veut.

Mais, vous l'entendrez dans l'interview qu'il m'a accordé, il revient sur ses propos. L'auteur dit qu'il s'y perd un peu dans les noms des protagonistes de ce livre et qu'il y fait surtout de telles ellipses que la compréhension du texte n'en est que plus difficile. Ce n'est pas le plus important pour moi. Ce que j'y retrouve est cette fameuse notion de « récit dans le récit » dont je parlais précédemment.

Écoutons d'ailleurs ce que dit, à propos de cette structure gigogne, Christian Jouaud  dans le N°694 de la revue Critique : « Souvent, chez lui, le passé – ce qui est le passé, proche ou lointain, pour ceux dont il raconte l’histoire – se montre (et se cache) par l’effet d’un récit de lecture : lecture à laquelle quelqu’un se livre. Quelqu’un ? Un personnage, ou bien le narrateur, ou bien nous, lecteurs, invités à lire quelque chose dans le mouvement d’un décrochement de notre lecture même. »

Dans Les chemins de Pierre Michon, Jean-Pierre Vincent dit que les hommes, chez cet auteur sont souvent des rustres, quand ils ne sont pas des êtres en fuite. C'est vrai mais, du coup, cela accentue la fragilité du narrateur. Celui-ci diminue sa propre importance. L'autre est sacralisé et devient une figure paternelle qui est à la fois un repoussoir et un modèle auquel il s'agit de ressembler avec beaucoup d'énergie – on ne soulignera jamais assez, à mon sens, l'importance du mouvement chez Pierre Michon, qui montre à la fois un fort ancrage à la terre et une volonté extraordinaire - :

« L'homme en pelisse, le roi contradictoire à la barbe jovienne, à la langue déliée, celui contre qui avait enfin buté un destin parti vers lui d'Antioche, était aussi celui dont, plus tard, j'avais de toutes mes forces voulu qu'il fût mon père, en dépit de toute raison. »

Il me semble d'ailleurs que cette phrase fait écho à une autre de Pierre Michon dans Le Roi vient quand il veut :

« Je voudrais évoquer des hommes avec cet effet presque hallucinatoire qui fait la force des grands portraits. C’est un art d’évocation que je cherche, un art d’apparition. Comme un peintre, c’est une image, une image d’homme, que je veux faire apparaître. »

On notera tout de même une approche bien différente quant il s'agit d'une autre figure tutélaire, celle de la mère :

« Comme pour chacun de nous, son plus ancien souvenir était sa mère, ou peut-être l'effort qu'il fit pour se soustraire à sa mère. »

Je vous invite vraiment à lire ce livre qui montre à quel point l'auteur a à cœur de rétablir une injustice : celle faite aux ancêtres qui consiste à les oublier.

« Il y a suffisamment de gens morts et qui attendent qu’on parle d’eux. » (Le Roi vient quand il veut)

C'est aussi en ce sens que Pierre Michon est pour moi un écrivain de la totalité. Je sens dans ses écrits une gourmandise, une envie de se projeter dans le tout mais en considérant chacune des pièces constitutives de cet espace énorme comme unique.

Ces vies « minuscules » ne sont pas, je pense, uniquement des vies de sans-grades. Non, je trouve qu'il s'agit de vies dont les historiens, par leur arbitraire, n'ont pas réussi à faire ressentir la force. Pierre Michon répare cette négligence. Non seulement en ne choisissant que quelques bribes d'événement ...

« Je veux prendre dans un récit bref la longue durée, une totalité qui va de la naissance à la mort. » (Le Roi vient quand il veut)

... mais, en plus, en lui adjoignant des éléments romanesques :

« Écrire des vie, c’est inventer l’existence de gens qui ont existé, qui ont vécu un état civil, pourtant c’est redoubler l’illusion réaliste. » (Le Roi vient quand il veut)

Ici, Pierre Michon fait d'une pierre trois coups. Car les tranches de vie – même si elles sont étalées – de Attalus, Aetius et de Alaric prennent une nouvelle épaisseur, sans que jamais l'une ne l'emporte sur l'autre. J'y vois une démarche très démocratique :

« Il faut faire s’équivaloir une vie très chargée et une autre qui l’est moins. Il faut louer les grands hommes. » (Le Roi vient quand il veut)


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