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Stari Grad, port croate

Publié le 03 août 2009 par Argoul

En ce troisième jour, nous avons pris le bon rythme en kayak. Celui d’Elke est trop rapide car, quand je m’y adapte, nous passons toujours en tête ! J’ai beau lui dire de ralentir, son anxiété lui fait accélérer ses coups subrepticement. Je préfère, pour ma part, tenter de suivre le mouvement de l’eau une fois le kayak lancé en vitesse de croisière ; dépenser le minimum d’énergie en accompagnant la vitesse acquise, la pagaie s’enfonçant sans heurt et sans bruit, sans effort ni rupture. Le frère et la sœur ados, bien qu’ayant 18 mois de différence, ont un rythme de jumeaux. Ils s‘accordent tant, sans avoir besoin de se concerter ni de se regarder, qu’ils vont vite eux aussi. Seule différence, ils se fatiguent plus vite.

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La traversée entre les deux îles, dans la baie de Zavala, s’effectue dans un presque désert. Il est beaucoup plus tôt qu’hier et aucun plaisancier n’est encore sorti en mer. La pointe que nous visons paraît proche à force de la fixer, mais elle en réalité loin pour la vitesse de nos pagaies. Un léger courant va contre notre mouvement. En revanche, une fois passée cette fameuse pointe, matérialisée par un phare blanc, le courant de marée cette fois nous pousse. Quelques coups de pagaies et nous filons déjà. Nous dévalons dans la baie. Au centre, un banc de daurades s’amuse à sauter hors de l’eau : combat de mâles, joutes sexuelles ou tentatives d’échapper à un prédateur en chasse ? Sous la surface lisse de l’eau, se déroulent de bien mystérieuses histoires, les drames ignorés du monde inférieur.

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Nous arrivons beaucoup plus tôt qu’attendu dans la baie qui s’ouvre à gauche de l’entrée du port de Stari Grad. Deux voiliers de plaisance y sont déjà au mouillage. La seule plage de cailloux, minuscule, permet seule aux kayaks d’accoster en s’échouant. Nous débarquons nos affaires – ce serait plus difficile le long d’un quai. Comme à l’habitude, nous ne sommes pas sitôt arrivés, vers dix heures du matin, que le coin de rocher sous les pins, plat et à l’ombre, est convoité par les baigneurs venus de la ville par la route qui passe un peu plus haut. Nous nous empressons d’étaler nos sacs et nos serviettes pour marquer notre territoire car nous avons l’intention d’y rester un long moment. Glane a ce réflexe in extremis, en voyant débouler cinq jeunes mâles italiens du sentier qui descend de la route, parlant fort et roulant des muscles pas encore empâtés, fiers de leur bronzage et de leurs chaînes d’or au cou. Ils sont suivis par deux familles italiennes venues ensembles, une fillette et trois garçons. La colonisation du voisinage se poursuit ainsi quelque temps, jusqu’à stabilisation.

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Baignade, séchage, observation des alentours. J’ai à peine le temps de commencer à écrire qu’il est déjà l’heure du déjeuner ! Melon, fromage, tomates et thon, le tout au pain, composent un en-cas correct, même si l’eau à boire est tiède. La question se pose ensuite soit de ‘far niente’ ici (tropisme italien), soit d’aller jusqu’à la ville, à pied ou en kayak (tropisme celto-nordique). Stari Grad est à une demi-heure de kayak, à une heure par la route qui passe au sommet de la colline, sans doute le double en longeant sur les rochers la côte fort découpée, à la recherche des vagues sentiers contradictoires tracés par les baigneurs. Chacun se détermine. Mariam reste ici à bouquiner, elle ne peut plus se remuer. Eff prend de toute façon un kayak, son moyen de transport favori, Elke l’accompagne. La famille et moi allons à pied. Mais nous ne sommes pas sitôt partis, dans la pente du sentier qui mène à la route plus haut, qu’éclate une polémique entre épouse et époux. « Mais on avait dit qu’on prenait le sentier qui longe la mer, qu’Eff nous a indiqué ! » (Eff, comme nous tous, vient ici pour la première fois et les instructions laissées par son prédécesseur sont fort sommaires…) En bref, discussion, hésitations, demi-tour. Comme je suis en avant sur la pente, je laisse les querelles familiales se dérouler à leur rythme codé et poursuis seul.

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J’avise un couple qui remonte de la plage. Ce sont des Français qui me confirment que 1/ la route est bien au bout du sentier qui monte, à quelques minutes, 2/ qu’il n’y a pas de « sentier » le long de la côte mais un chaos de rochers à passer à la manière des plagistes, et 3/ que la route à pied est quand même longue sous le cagnard. Ils me proposent gentiment de m’emmener puisqu’ils sont en voiture et rentrent à Stari Grad. Je laisse donc la famille à ses drames théâtraux de commedia del arte qui pimentent et cimentent probablement leurs relations compliquées. Il y a, selon mes hôtes, pas mal de voitures immatriculées en France à circuler ici. Eux-mêmes sont itinérants, sous tente habituellement, mais pour quelques jours chez l’habitant tant il fait chaud sous la toile. Vingt minutes plus tard, je suis au cœur de la ville. La famille mettra un peu plus de deux heures.

Je commence ma promenade par le port en me disant que le kayak est susceptible d’arriver très prochainement et, justement, il vient de s’amarrer. Eff ayant « plusieurs choses à faire », Elke et moi prenons un café et de l’eau minérale enfin fraîche à une terrasse offerte à la brise légère qui tempère la chaleur. Des familles passent, revenant du bain en slip pour aller déjeuner avant de faire la sieste. Un petit Allemand de deux ans se précipite sur le quai en courant droit vers l’eau, faisant pousser une exclamation à Elke. Mais non, le gamin s’arrête au bord comme un chaton sur un carré de test, et il regarde l’eau. Son père vient nonchalamment le rechercher, au grand dam d’Elke qui en aurait fait une crise s’il avait été son mari. On a toujours plus peur pour les enfants des autres que pour les siens car, les siens, on connaît leurs réactions. Une femme mûre passe ; elle ne porte rien sous sa robe – absolument rien, adepte du nudisme germanique. Le vent vient de soulever sa jupe lâche, découvrant des fesses flasques jusqu’en haut. Son mari et ses gamins portent short mais peut-être pas de slip.

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Eff revenu, nous effectuons plusieurs tours dans les ruelles de la vieille ville pour le change, pour une carte de téléphone, pour un bob. Je les quitte, ils rentrent à la pagaie. A ce moment, j’aperçois le Vieux qui me fait signe. La famille est enfin arrivée, apaisée, et je retourne dans la ville faire un tour en leur compagnie. Nous allons tout d’abord au bout du quai neuf où il me montre l’emplacement du bateau-taxi qu’il s’est empressé de réserver pour ne pas refaire le sentier à pied dans l’autre sens. Je le prendrai avec eux pour 20 kunas. La suite du quai collectionne les gros voiliers de location et trois bateaux immatriculés aux Etats-Unis. Justement, une horde d’adolescents et d’adolescentes déboule avec animation en revenant du bain. Ils sont excités par le soleil et par les hormones de leur âge, leur peau trop caressée par la brise. Ils se douchent sur le quai, au tuyau d’avitaillement en eau des bateaux. Les filles sont pâles et maigres, craignant l’obésité vulgaire et le soleil cancérigène ; les garçons sont plutôt musclés, entretenus au sport de rigueur dans les collèges. Braque les jauge en dessinateur et sa sœur en étalons.

Nous errons dans les ruelles ombrées de la vieille ville endormie à cette heure. Seul un garçonnet remplace la sieste par le tennis, en faisant des balles sur le mur adjacent de l’église. Il est fan et se débrouille assez bien. Ses parents, assis sur le muret en face, à l’ombre des lauriers-roses qui sentent le miel, regardent placidement le jeu de leur unique progéniture. L’église porte une façade de style italien, en décor de théâtre. Le clocher est indépendant, séparé du hall d’assemblée par la toute largeur de la place. Les ruelles pavées sont étroites, ombreuses. S’y ouvrent des soupiraux où parfois s’engouffre un chat. On y voit des maisons rénovées, des échoppes de souvenirs ou d’antiquités, des restaurants dans les cours. Nous en faisons vite le tour. Le soleil descend mais reste très fort.

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Nous prenons notre bateau-taxi et quittons ce petit port, d’architecture italienne jusqu’à son paysage. Au vu des couleurs des toits, des façades, et de la forme de son clocher, on pourrait se croire arrivé à Venise. Sur les rives de la pointe et dans la baie qui s’ouvre à la sortie du port, l’apoilisme sévit fortement. En couples, en ligue, en procession ; des jeunes, des vieux, des ascètes, des gras, une majorité d’Allemands, tous se vautrent ou se baignent en tenue de Paradis, « vêtus de vent » comme diraient les yogis. (Désolé, je n’ai pas fait de photos…) Pourquoi pas ? « On n’est pas pudique, mais on ne le fait pas devant les enfants », commente le Vieux, « mais parfois, lorsque nous sommes tous les deux. C’est bien agréable et cela ne nous choque pas ». Il est de la génération post-68 (la mienne) qui remet en cause les principes, les a priori et les pruderies d’une société hypocrite, héritière des névroses du 19è siècle. Notre bateau rattrape puis dépasse le kayak d’Eff qui avance à force de pagaies. Nous débarquons un peu en amont de notre lieu de séjour et je peux explorer une partie des rochers que les autres ont franchis à l’aller. Nous nous déshabillons pour nous baigner, afin d’évacuer la chaleur du jour, puis nous shampouinons au « bio spécial eau de mer » pour laver la poussière de la ville. Le soleil nous sèche, qui se réverbère très fort sur l’eau lisse de la baie.

J’ai enfin le temps d’écrire. Les plagistes rentrent peu à peu au bercail et processionnent sur les rochers que nous occupons, cheminant vers le sentier qui monte vers la route. L’un des bateaux au mouillage est français et vient de Lorient. Ses passagers nous diront, le lendemain matin, que, jeunes retraités, ils ont mis le bateau à l’eau en juillet il y a un an, ont navigué en Manche cet hiver, et sont partis le 12 avril doucement pour la Croatie en passant trois semaines aux Baléares et une semaine en Sicile. Ils rentreront à Lorient fin août après être passés par le nord et visité Dubrovnik. L’an prochain, ce sera la Norvège. Ils sont deux à bord en permanence, des copains les rejoignent à certaines étapes.

Nous faisons cuire nos spaghettis sur un feu de bois. Les paquets ont pris l’eau mais, une fois les pâtes cuites, rien ne se sent. Le Vieux et moi avons acheté une bouteille de vin rouge croate à 15 kunas au supermarché et deux litres de Pepsi pour les adolescents. Le vin est lourd, râpeux comme d’habitude. Laine nous fait une presque scène : « ah ! je ne bois pas de vin rouge ! du blanc, oui, mais pas du rouge. Pourquoi avez-vous acheté ça ? » Elle était pourtant avec nous lors de l’achat, nous avons discuté avec elle des années et des crus, elle nous a vu choisir et n’a fait aucune remarque. Elle recommence son théâtre comme sur le sentier au départ quand elle s’est « aperçue » qu’elle préférait passer par la côte.

La nuit tombe. Le vent fait frémir les sapins comme un soupir de monstre. Cela fait tomber les aiguilles mortes sur nos couches. Je dors très bien, les autres avouent mal dormir à cause du vent, du bruit… Est-ce l’effet soporifique du vin ou d’une plus heureuse nature ?

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