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Pierre Michon, septième

Publié le 04 août 2009 par Irigoyen
Pierre Michon, septième

Pierre Michon, septième

Si d'aventure je ne devais retenir qu'un seul titre de Pierre Michon, ce serait celui-ci. Non pas que je le préfère à d'autres. Simplement, je le lis comme un point de départ, un décor où tout est posé et dont chacun des éléments constitutifs va progressivement éclore. La Grande Beune est pour moi le livre de l'origine du mouvement michonien.

Le narrateur est un instituteur de cours élémentaire qui débarque dans un patelin :

« Entre Les Martres et Saint-Armand-le-Petit, il y a le bourg de Castelnau sur la Grande Beune.  C’est à Castelnau que je fus nommé en 1961 : les diables sont nommés aussi je suppose, dans les Cercles du bas ; et de galipette en galipette ils progressent vers le trou de l’entonnoir comme nous glissons vers la retraite. »

Puis :

« J'y arrivai la nuit, passablement ahuri, au milieu d'un galop de pluies de septembre cabrées contre les phares, dans le battement des essuie-glaces ; je ne vis rien du village, la pluie était noire. »

Ce qui frappe d'emblée est la petitesse de l'individu face à ce décor installé dans un présent éternel – il y a – alors que le narrateur éprouve le besoin de situer son arrivée dans le temps – 1961 -. On remarquera aussi le nom du lieu : Castelnau dont le nom est très répandu dans le sud de la France et qui évoque les villages construits au Moyen-Âge à proximité d'un château. Nous sommes donc là dans l'espace totalement clôt qui domine un individu déjà prisonnier du temps et auquel le décor rappelle sans arrêt son caractère temporaire.

Étrange atmosphère dont le décor se réduit encore lorsque le narrateur se rend chez Hélène, une auberge derrière laquelle il y a un « trou » - dans Les chemins de Pierre Michon, Jean-Pierre Richard parle d' « épaisseur puissante, maternelle, nourrissante, mais engourdissante aussi de la campagne » dans l'œuvre de cet écrivain -.

Comme si l'aspect minuscule du narrateur ne suffisait pas, l'auteur ajoute quelques ingrédients étranges, étouffants : des chasseurs, une tête de renard qui semble surveiller l'assistance, le brouillard, l'odeur de salpêtre, le sang de bœuf... Et pour bien enfoncer le clou, voilà que Pierre Michon nous parle, à propos des locaux, de tribus valaques, sorte de peuplade barbare à laquelle l'instituteur va devoir se mesurer. Voilà donc deux mondes face à face, deux mondes opposés sans être pour autant hostiles.

Cette opposition s'estompe avec les premiers contacts ou quand le narrateur entend que ceux qui évoluent autour de lui ont un prénom – ils sont rares -. Il y a Jean, le pêcheur, qui est « un des brigands valaques ». Il y aura surtout Yvonne, la buraliste, dont l'instituteur va s'enticher

« Je ne crois guère aux beautés qui peu à peu se révèlent, pour peu qu'on les invente ; seules m'emportent les apparitions. Celle-ci me mit à l'instant d'abominables pensées dans le sang. C'est peu dire que c'était un beau morceau. Elle était grande et blanche, c'était du lait. »

Vous noterez le recours à un vocabulaire de la chair. Comme si Pierre Michon voulait nous signifier que, malgré tout, les habitants de ce trou; situé près de Lascaux, ne pouvaient se débarrasser d'une certaine animalité. Ainsi lorsqu'il évoque Bernard, le fils d'Yvonne – qui n'a pas de père -, l'auteur parle de « chair surnuméraire ». A trop rester dans cet univers clôt, le narrateur finit d'ailleurs lui aussi par avoir des tentations barbares :

« Je dois faire un aveu qui me coûte : je martyrisais Bernard. »

Bernard est un des élèves de l'instituteur, un maître qui, lorsqu'il parle de ses petits, utilise des synecdoques : nattes, nuques, couettes, capuchons.

Impossible de ne pas voir dans cette histoire un récit sur l'origine de l'écriture chez Pierre Michon. C'est peut-être là, me semble-t-il, que tout bascule, qu'il entre véritablement en littérature. Il s'agit d'un monde avec ses codes, avec ses références. En descendant dans les grottes, l'instituteur veut voir de ses propres yeux les traces laissées par ses aînés, il veut prendre conscience de sa filiation. Mais il ne trouvera rien d'autre qu'une grotte vide. Un vide dans lequel Pierre Michon va prendre place – on l'a vu dans les chroniques précédentes – progressivement.

Dans Le roi vient quand il veut, Pierre Michon dit, à propos de ce livre :

« Paradoxalement La Grande Beune est mon seul récit imaginaire. Un récit livré entièrement à l’imagination ne peut-être qu’un récit de désir. »

Un désir tellement fort qu'il s'achève par l'image de carpes jetées sur un comptoir. Les incultes comme moi n'y auront vu que du feu lors de la première lecture. Il s'agit en fait d'une référence explicite à Madame Bovary de Gustave Flaubert.

Flaubert, vous savez, le « masque de Croisset ».


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