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Rêvons de papillons plutôt que de littérature…

Par Perce-Neige
Rêvons de papillons plutôt que de littérature…
C’est presque un manifeste ! Ces lettres de D.H. Lawrence à Katherine Mansfield et à J.M. Murry (Rivage poche/Petite Bibliothèque) valent pour aujourd’hui plus encore, peut-être, que pour l’époque troublée durant laquelle elles ont été écrites. Si j’en crois ce que nous réserve la rentrée littéraire, sans même parler de ces gadgets (Facebook et compagnie) qui renforcent notre narcissisme et nous envahissent chaque jour un peu plus, nous ne sommes sans doute pas sortis de ces travers pour lesquels D.H. Lawrence n’éprouvait plus que lassitude et dégoût : « Une chose est sûre, c'est que je suis las de cette importance donnée à l'élément personnel ; vérité personnelle, réalité personnelle. C'est bien insipide et inutile. Je veux une nouvelle activité non personnelle, qui soit à la fois authentique et vitale. Et je veux des relations qui ne soient pas purement personnelles, basées sur des qualités personnelles, mais sur un accord unanime dans la vérité ou la foi, et une harmonie de but plutôt que de personnalité. Je suis las de la personnalité. Il s'agit de savoir maintenant si Murry s'en tient toujours à l'hypothèse personnelle. Dans ce cas, nos voies sont différentes. Je ne veux pas de relations purement personnelles avec lui. Il est un homme, par conséquent nos relations doivent être fondées sur la fin poursuivie non pas sur ce que nous sommes, mais sur ce que nous voulons réaliser. Je suis las et dégoûté de la personnalité sous toutes ses formes. Soyons libres et impersonnels, essayant de créer une vie nouvelle, une vie nouvelle en commun, un arbre de vie partant des racines qui sont en nous, au lieu de pétrir de nos doigts sans répit nos âmes et celles de nos amis. Je suis las à mourir de ces sèches feuilles de personnalités qui tournent à tous les vents. » [Le 12 décembre 1915. Lettre à Katherine Mansfield]. Soyons impersonnels, donc, quand il s’agit d’écrire, et nous n’en serons que plus vrais, et plus libres. J’aime cette idée, pour ma part, de me savoir impersonnel, multiple et fuyant, dissimulé sous des masques sans cesse renouvelés qui me permettent, fut-ce fugitivement, d’approcher le chatoiement de la réalité… ce qui signifie, naturellement, de n’avoir strictement aucun projet littéraire d’aucune sorte, de privilégier le jeu, la mascarade, la plaisanterie, les pirouettes, la légèreté du propos en refusant, avec la dernière énergie, de parler sérieusement de soi. Ne pas se prendre au sérieux, incarner la figure du pitre, tout en ne cessant d’explorer le terrain de jeu, briser les conventions en se dérobant au dernier moment, voilà ce qui s’avère, à mes yeux, l’exigence d’aujourd’hui. C’est pourquoi je lis avec tant de bonheur - vous le comprendrez - ce qu’écrivait à J.M. Murry, en janvier 1926, D.H. Lawrence dont l’œuvre est pourtant immense et tellement magnifique : « Je me fiche complètement de qui me publie ou ne me publie pas, ni où, ni comment, ni quand, ni pourquoi l'on me publie. Je tâcherai, si possible, d'avoir assez d'argent pour vivre. Mais je ne me prends pas au sérieux, si ce n'est entre 8 et 10 heures du matin et sur le coup de minuit. À d'autres saisons, ma parole, comme le moindre papillon, peut s'installer où bon lui semble : sur le lis des champs ou le crottin de cheval dans la rue, ou nulle part. Elle est sortie de moi. Mon cher vieux, les gens n'ont pas besoin de votre guignol particulier, ni de notre guignol à deux. Pourquoi, oh, pourquoi vouloir vous imposer aux gens ? Offrez-leur un morceau de choix et s'ils vous donnent cent sous, buvez-les à leur santé. » Une parole qui s’installe « où bon lui semble » ; dans la blogosphère, comme on dit, le fait est qu’il y a le choix ! Et puis, cela permet aussi de ne pas perdre de vue « l’importance du soleil », comme l’écrit encore D.H. Lawrence, le 9 février 1919 à Katherine Mansfield. « Il fait un temps merveilleux. Soleil éclatant sur la neige, clair comme en été. Soleil d'or éclairant l'horizon. Mais froid intense. Tout est gelé... le lait, la moutarde, tout. Hier j'ai fait une vraie promenade (j'ai eu un rhume et je suis resté au lit), j'ai grimpé avec ma nièce jusqu'au sommet des collines. Comme c'est beau, les traces de pas sur la neige - les empreintes des lapins comme de grandes cordes, traînant sur les sommets, les traces lourdes des lièvres, un renard pointu et délicat sautant le mur, les oiseaux sur deux pattes sautillant, une belle apparition de faisan, des ramiers lourdeaux et qui avancent en troupe, de ravissantes petites empreintes de belettes qui s'enchaînent comme un collier de baies sauvages, les curieux petits filigranes des rats de champs..., la traînée d'une taupe. Quel monde de créatures sauvages l'on sent autour de soi, dans les collines et la neige. La vue d'en haut est très belle. La terre est nue, d'un blanc argenté. Elle s'enfonce au loin, étrange et comme musclée, avec des lueurs qui rappellent la peau. Le vent seul surprend : invisible et froid. Le soleil brillant est étendu sur l'herbe comme le mouvement d'un dormeur. Au milieu de tout cela, comme la vie paraît insignifiante ! deux hommes venant d'une ferme, et pas plus gros que des poings, montent la pente neigeuse, portant le foin aux bêtes. À chaque instant ils semblent fondre, comme de petits grains de poussière insignifiants. La blancheur pure, vigoureuse et vivante des cimes absorbe tout. Seul un minuscule bouquet d'arbres sans feuilles (des hêtres) au sommet de la colline, tordu comme des barres de fer sous le ciel bleu. Je voudrais que l'on pût cesser d'être un être humain, .,- pour devenir un démon. All zu menschlich. Ma sœur Emily est ici avec sa petite fille, dont c'est aujourd'hui l'anniversaire. Emily fait cuire des caramels et des gâteaux, Frieda fait à Peggy une robe gris pâle, et moi je les conseille et les dérange. Pamela se lamente parce que les œufs ont gelé et éclaté dans l'office. J'ai passé une demi-heure à casser la glace dans le tub - maintenant je vais sortir. Peggy, ses merveilleuses boucles rousses tout en désordre, court de tous côtés pour réassortir les couleurs des laines et des fils. Scène de famille. C'est beau de traverser le pré pour chercher l'eau au puits - le soleil est si radieux et Slaley, le petit village le plus proche est ensoleillé sous sa neige comme un village italien. Je pense que Willie Hopkin viendra aujourd'hui. Enfin ! la vie est par elle-même source de vie - même le magnifique feuillage de givre sur la fenêtre. Pendant que nous vivons, soyons vivants. ». Pendant que nous vivons, soyons vivants… Quelle leçon !

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