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Le Salon des refusés

Par Thibault Malfoy

Monet, Impression, soleil levant, 1872.

C’est sans doute en 1863 que la critique d’art perdit de son crédit aux yeux du public. Souvenez-vous : le jury du Salon officiel, tenu par les Académiciens, refusa d’exposer les toiles de Manet et d’autres peintres anticonformistes du fait qu’ils ne respectaient pas les canons esthétiques prônés par l’Académie royale de peinture et de sculpture, notamment en ce qui concerne le traitement des formes et de la lumière, mais aussi le choix des sujets. Les œuvres condamnées furent réunies pour une exposition à part, le « Salon des refusés », qui fut la risée de la critique assermentée et des badauds ignares.

En 1874, après avoir essuyé des refus successifs de tenir un autre Salon des refusés en 1867 et 1872, un groupe d’artistes – parmi lesquels Monet, Renoir, Cézanne et Degas – unis par la même sincérité dans leur recherche artistique (saisir la beauté d’un instant fugace) organisa sa propre exposition dans le studio du célèbre photographe Nadar. Monet profita de l’occasion pour présenter une de ses toiles : Impression, soleil levant. Le critique et humoriste Louis Leroy crut bon de se moquer de cet impressionnisme et le nom resta.

Malgré la vive résistance qui accueillit dans les cercles académiciens l’émergence de ce nouveau courant pictural, les impressionnistes connurent assez rapidement le succès, ce qui jeta le doute sur la capacité de la critique d'art d'exercer correctement son métier. Voilà ce qu'en dit Gombrich dans son Histoire de l'art (Phaidon) :

« La critique d'art subit alors une perte de prestige dont elle ne se releva jamais. Le combat des impressionnistes devint un mythe pour tous les innovateurs en matière d'art : ils pouvaient toujours dénoncer l'impuissance du public à reconnaître la validité des méthodes nouvelles. En un sens, cet échec notoire est un fait aussi important dans l'histoire de l'art que la victoire définitive du programme impressionniste. »
Gombrich, Histoire de l'art, Phaidon, p.523 de la seizième édition.

La rupture entre le modernisme et l'académisme marqua durablement les esprits et jusque de nos jours, malgré une certaine lassitude pour l'enthousiasme béat et malgré le postmodernisme, la critique craint encore de passer à côté de quelque chose d'important et qu'on lui reproche son manque de clairvoyance, voire son conservatisme. La critique est ainsi devenue consensuelle et a glissé progressivement vers la chronique : non plus un jugement de l'œuvre en ce qu'elle apporte à l'art, mais son accompagnement médiatique afin de ne pas sombrer dans l'obsolescence. Car le mot d'ordre est d'être tendance, in, dans le coup et surtout pas has been !

Et les artistes d'être incompris et maudits (forcément), et de prendre des poses d'esthètes marginaux. Et le public d'emboîter le pas à la critique en se gargarisant, de vernissages en cocktails mondains, des derniers créatifs à la mode de demain.

La littérature n'échappe pas à ce phénomène (oui oui, l'Idiot du Village est toujours un blog littéraire, mais il est parfois bon d'aborder la littérature par les chemins détournés). Ainsi en est-il du nombrilisme onaniste d'une Christine Angot ou du maniérisme d'un Bégaudeau et de sa clique néo-réaliste, adoubés par quelques critiques qui doivent sans doute tenir la réception très négative par la critique de l'époque de La Gare Saint-Lazare de Monet comme le symbole de nullitude d'une critique dépassée par un sujet banal. En cela nous sommes d'accord : tout sujet est bon pour faire de l'art. Encore faut-il avoir du talent !


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