Magazine Culture

Mon père est femme de ménage de Saphia Azzeddine

Par Reno

Ce blog a décidé de s'associer à un projet ambitieux : chroniquer l'ensemble des romans de la rentrée littéraire !

Vous retrouverez donc aussi cette chronique sur le site Chroniques de la rentrée littéraire qui regroupe l'ensemble des chroniques réalisées dans le cadre de l'opération.

Pour en savoir plus c'est ici.

Merci également à Guillaume de Babelio pour son rôle d’intermédiaire toujours présent et attentif.

Saphia Azzeddine est une jeune auteure qui a déjà publié le roman Confidences à Allah, déjà aux éditions Léo Scheer. Je n’ai pas pu le lire, et les réactions glanées sur la toile (sur ce forum et les commentaires du site de l’éditeur) sont assez divergentes.

Il en ressort cependant que S. Azzeddine avait déjà le goût des mots crus et des personnages marquants.

L’entretien réalisé lors de la sortie de ce précédent livre donne cependant des indications sur ce qui a l’inspiré pour son second roman.


Entretien Saphia Azzedine
envoyé par leoscheer_tv. - Futurs lauréats du Sundance.

Mise en page 1
Dans Mon père est femme de ménage, Paul, 14 ans, nous raconte sa vie. Il vit avec sa famille dans une cité de banlieue. Sa mère handicapée et plutôt absente, sa sœur rêve d'être noire et miss, son père est affectueux mais femme de ménage.

Sa vie s’organise autour du collège (pas terrible), de quelques copains, de Priscilla (qui vient des beaux quartiers) et des heures de ménage qu’il fait pour accompagner son père.

A travers cette vie et ses déboires, Paul se cherche et s’interroge, de la taille de son sexe à l’envie d’appartenir à une communauté religieuse.

Pour cela, il peut s’appuyer sur son envie d’apprendre “les mots qui font peur” et sur son père, souvent « à quatre pattes » mais toujours présent.

Saphia Azzeddine prend des risques en se glissant dans la peau d’un ado de 14 ans.

Pour la barrière de l’âge, elle a certainement eu le même d’esprit à cet période de sa vie. Elle fait ainsi dire à Paul : « C’est plus fort que moi, quand je me trouve moche, je deviens méchant et je dis la vérité » (page 56) et la portée de ces mots est universelle.

Elle se tire également bien du côté masculin du personnage, en faisant de Paul un personnage attachant et réaliste. Elle n’en fait pas un obsédé sexuel permanent, même si ses fantasmes sont très forts et décrits avec une certaine crudité. Elle ne fait pas non plus de lui un intellectuel asocial ou un adolescent déconnecté du monde actuel et éloigné des comportements des jeunes d’aujourd’hui.

Il faut dire Saphia Azzeddine a un style intéressant, qui sert bien son propos. Les phrases sont en général courtes et sèches. Beaucoup ne contiennent d’ailleurs qu’un ou deux mots, pour appuyer l’expression précédents. Quant aux dialogues, ils sont nombreux et écrits dans le style parlé. Le résultat convient bien à son récit, lui donnant un rythme rapide et vivant.

Elle donne également à ses personnages des belles réparties. Les moments durs succèdent aux moments de tendresse, entrecoupés avec des passages très drôles. Comment résister à ce dialogue surréaliste où , pour cacher ce qu’il pense réellement de son père, Paul lui avoue avoir « un petit zizi » (page 62). C’est avec une phrase toute simple (« Ta queue elle est très bien mon fils » page 64) que son paternel rassurera de manière simple mais efficace son fils.

Mais attention, il n’y a pas que des passages comme ceux-là. Saphia Azzeddine offre une vision d’une société contenant un peu de violence et beaucoup de préjugés. Elle est pourtant loin des clichés qu’offrent en général les récits se déroulant en banlieue.

Bien sûr, en lisant ce livre, comment ne pas penser à Kiffe kiffe demain de Faïza Guène, paru en 2005 ? De nombreux points communs relient ces deux livres.

Tout d’abord, les auteures, toutes deux jeunes et d’origine maghrébine. Pour toutes les deux, il s’agit de leur (presque) premier roman, paru lors de la rentrée littéraire.

Pour les personnages ensuite : il s’agit à chaque fois d’un adolescent vivant en banlieue, dont l’avenir est assez obscur et dont les interrogations sur la société sont nombreuses.

Pourtant, ces deux ouvrages ne se situent pas sur le même plan.

Paul et sa famille vivent en banlieue et n’ont pas beaucoup de moyens. Ils sont pourtant français originaires du Morbihan. Ils sont venus en région parisienne pour trouver un emploi et leur vie en province n’était pas plus agréable. Elle était même pire pour Paul, victime d’abus sexuels de la part de son oncle.

Malgré tout, ils ne dépendent pas des services sociaux. Pas d’assistante sociale en vue. Ils se situent dans la frange de la population qui ne peut pas partir en vacances.

Quant aux amis de Paul, ils sont arabes, africains, juifs, roms…

Ce point de vue tranche singulièrement avec celui de Faïza Guène. Dans Kiffe kiffe demain, seuls les personnages d’origine maghrébine ont l’air de vivre dans la cité. Ne vivant pas dans une cité, il est difficile de juger mais il semble que le monde de Saphia Azzeddine soit plus proche de la réalité.

Au-delà de cet aspect, il s’agit également de traiter des relations parent-adolescent. Le contexte est d’ailleurs particulier. Dans une cité de banlieue, l’avenir apparaît sombre pour des personnes en construction. En tant que parent, quand on ne bénéficie soi-même de peu de moyens (financiers mais aussi culturels), il devient alors difficile de les convaincre que tout n’est pas joué et que la vie peut réserver des belles surprises.

Cette problématique est au cœur du roman de Saphia Azzeddine. Le titre est à cet égard très révélateur, ainsi que la quatrième de couverture. En tant que père, est-il possible d’être écouté quand le métier exercé est essentiellement féminin et très dévalorisé dans notre société ?

Saphia Azzeddine répond par l’affirmative. Face à une mère peu présente, elle affuble Paul d’un père dépassé, parfois gêné, souvent maladroit qu’il est difficile d’aimer et d’admirer. Pourtant, il est présent, à l’écoute et ne berce pas son fils d’illusions. Il se prend lui-même comme contre-exemple et encourage son fils à suivre une autre voie.

Il l’exprime par cette formule, quand il explique à Paul ce que veut dire finir « comme lui » : "Ca veut dire que tu regardes plus souvent le sol que le ciel mais que ça t'empêche pas d'marcher dans la merde quand même..." (page 122). Explicite, non ?

Cet aspect est encore différent du livre de Faïza Guène. La mère de Doria lui montrera la voie par l’exemple, en reprenant sa vie en main après le départ de son mari. Elle ne guide pas Doria comme le père de Paul, en parlant de son avenir. Elle est toujours présente pour sa fille mais elle est trop dépassée et en décalage pour pouvoir être un repère.

Que dire pour conclure ? Eh bien personnellement, j’ai aimé ces deux titres pour différentes raisons.

kiffe kiffe demain faiza guene
Face au livre de Saphia Azzeddine, Kiffe kiffe demain apparaît comme plus sage et, d’un certain côté, comme répondant plus à certains clichés. Il garde certaines qualités : l’humour, un récit implanté dans une certaine réalité sociale et une certaine époque, la facilité de lecture. Hachette a eu raison de le rééditer au Livre de poche jeunesse, pour les adolescents. Avec un rythme rapide, des références actuelles, de l’humour, une fin optimiste et une certaine consensualité (comme le montre le deuxième commentaire de cet article de Mélaine), il peut constituer une lecture-accroche pour des jeunes qui lisent peu.

Mais à côté, le roman de Saphia Azzeddine propose plus de mordant, de vérité, de réalité et d’universalité. Il offre une vision de la société beaucoup plus large que ne le fait Faïza Guène. D’un certain côté, il est même plus optimiste, concluant que l’ascenseur social est bien réel, même s’il ne monte pas aussi haut que l’on croit.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Reno 34 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte