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Jean capart - 9. " merci " ...

Publié le 29 août 2009 par Rl1948


     La semaine dernière, souvenez-vous, ami lecteur, je vous avais proposé l'introduction que Jean Capart avait rédigée pour la passionnante publication, en 1946, - soit quelques mois avant son décès intervenu en juin de l'année suivante -, de ses impressions, de ses souvenirs des différentes campagnes qu'il dirigea à el Kab.
     Aujourd'hui, désirant clôturer cette série de billets initiée le 4 juillet, et qui s'est poursuivie chaque samedi depuis, j'aimerais vous donner à lire un texte, émouvant, d'un de ses précieux collaborateurs, par ailleurs Secrétaire général de la Fondation égyptologique Reine Elisabeth : Arpag Mekhitarian (1911-2004).
     Qui mieux que lui, en effet, pouvait mettre un point final à cet ensemble de "morceaux choisis" parmi les nombreux ouvrages de Jean Capart, évidemment loin de toute exhaustivité, que j'ai voulu vous donner à lire en guise de respectueux hommage de tous les amateurs passionnés par la discipline égyptologique qu'il créa et développa à Bruxelles et à l'Université de Liège au tout début du XXème siècle ?
     Pour apprécier pleinement les qualités humaines de Jean Capart, ses réactions devant les événements, ses convictions, ses habitudes, voire ses manies - pourquoi pas ? - il fallait le contact quotidien d'une vie commune. Nous avons eu le privilège de l'accompagner en voyage plusieurs fois et notamment à sa première et à sa dernière campagne de fouilles à El Kab; seul arabophone du groupe, nous étions appelé à tout instant à être son interprète et son porte-parole.
     Bien qu'il se trouvât souvent sur des chantiers, notre Maître était, par vocation, davantage un homme de musée, un savant de cabinet qu'un fouilleur. C'est presque par hasard, grâce à l'intervention d'un mécène américain,  qu'il le devint. Pensez qu'il était sexagénaire quand il se lança, avec une allégresse juvénile, dans cette nouvelle aventure. Il a fallu aussitôt tout improviser : équipe, outillage, logement, choix d'un contre-maître qui eût l'ascendant sur ses ouvriers, embauche de travailleurs dans une région formée de plusieurs villages entre lesquels un habile dosage était nécessaire, enfin, chose essentielle, l'organisation même du chantier et une méthode d'investigation adaptée au site. C'est avec sa simplicité habituelle, avec bonhomie qu'il entreprit la tâche; et la découverte, au premier coup de pioche, d'une magnifique statue de lion le confirma dans son optimisme. Il sut ainsi créer autour de lui une atmosphère détendue et un climat de confiance dans la mission que chacun assumait. 
(...)
     Ceux qui, aux fouilles, ont vécu dans l'intimité de Jean Capart, ont eu le privilège de connaître les aspects multiples de sa personnalité attachante. Ce savant avait un coeur d'adolescent. Il aimait profondément El Kab, il aimait ces lieux où il avait passé les jours les plus heureux peut-être de sa verte vieillesse. Il fallait le voir sur la terrasse de la maison de Somers Clarke, debout, les coudes appuyés à la haute balustrade, lorsqu'il contemplait les beautés argentées du Nil, la sévérité rocailleuse du désert contre lequel s'étendait, comme un sourire, un mince filet de culture. (...)
     En quittant El Kab, le 9 février 1946, a-t-il eu le pressentiment qu'il n'y reviendrait plus ? A cette minute pathétique du départ, il a donné une grandeur qui restera dans la mémoire de ceux qui en ont été les témoins. Il prenait le train à la station d'El Kilh. De là, à El Mahamid, le chemin de fer traverse le site de nos fouilles.  Debout à la fenêtre de son compartiment, calme mais visiblement en proie à une profonde émotion, il regardait. Il contemplait une dernière fois les coupoles de notre palais, les grandes murailles qui abritent les temples de Nekhabit, le lointain rocher aux vautours où perchent encore les représentants vivants de la déesse. On eût dit qu'il voulait emporter avec lui pour toujours la vision de ces sanctuaires païens qu'il avait glorifiés par sa science et où il avait élevé, vers son Dieu, ses prières de chrétien.
     En cela encore, il renouvelait le geste de ces Egyptiens de haut rang qui, sur les parois de leurs chapelles funéraires, se faisaient représenter en contemplation devant les travaux qui sont exécutés à leur bénéfice pour l'éternité. Quel sentiment de gratitude, pour les joies de l'esprit et du coeur que les fouilles lui avaient procurées, le fit-il, la vision d'El Kab passée, se retourner vers nous et dire simplement : Merci !
     Par cet unique mot de reconnaissance, il faisait le bilan de sa vie : tous ses rêves avaient été comblés.

Arpag MEKHITARIAN
(Repris de Brasseur Capart : 1974, 195-200)

     Tout en vous donnant rendez-vous mardi 1er septembre prochain pour reprendre, de conserve, notre visite des salles du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, c'est
ce simple mot, ce même Merci que je voudrais vous adresser, ami lecteur, pour m'avoir, peu ou prou, suivi dans cette évocation de quelques jalons de la vie professionnelle du grand égyptologue belge Jean Capart qu'il me tenait à coeur de vous faire connaître tout au long des deux mois de "vacances" de ce blog.


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