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Les impromptus littéraires touchent l'instant

Par Sandy458
"Toucher l'instant", vaste programme.... on se sent bien désemparé devant le thème de cette semaine...
Allons-y donc, lançons-nous à la recherche de l'instant à toucher!
(Pour mon texte in situ, c'est là)...
Les impromptus littéraires touchent l'instant
Côté Est du K2, photo de Luigi Amedéo-Duc d'Abruzzi, domaine public

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7 août

300 mètres de parois abruptes.

C’est la distance qu’il nous reste à parcourir pour atteindre le sommet. Au lieu de cela, nous voilà tous confiner dans nos tentes dérisoires, frêles abris qui tanguent et roulent sous les coups rageurs du vent glacial.

300 mètres nous séparent de la pleine réussite de notre expédition. 300 METRES !!!

 

9 août

Les conditions atmosphériques redoublent de malignité et nous contraignent à l’immobilisation dans ce no man’s land blanc.

Les hommes s’impatientent et commencent à s’inquiéter. Les rations sont calculées pour nous faire tenir un certain laps de temps : de quoi rallier le sommet puis redescendre au camp intermédiaire dans la semaine.  Mais pour le moment, nous attendons.

 

10 août

La neige s’accumule sur nos tentes et nous force à l’évacuer toutes les heures sous peine d’être enseveli sous son poids.

J’espère, j’appelle de tout mon être une embellie du temps et que les voies redeviennent à nouveau praticables. Impensable de baisser les bras si près du but.

300 mètres et on y est.

 

11 août

La nuit dernière, une avalanche a emporté la tente des sherpas. Aucun survivant.

 

12 août

Après la tragédie d’hier, les hommes montrent des signes de tension. J’en ai surpris un, déclarant que cette expédition n’était qu’une course inutile contre soi et contre la nature. Je l’ai vertement sermonné. A croire que la blancheur ambiante lave le cerveau des hommes… J’ai tenu à tous un long discours sur les valeurs de notre noble sport, nous nous tenions debout dans la neige qui nous arrivait aux genoux et qui chutait drue sur nos épaules. Puis chacun est retourné sous sa tente, silencieux.

 

13 août

La neige redouble et le sol est de plus en plus dur et glacé.

 

 

14 août

Sven, l’alpiniste norvégien, a craqué nerveusement ce matin. Il s’est mis à vociférer qu’il avait trop froid, qu’il devenait fou à rester planté là, qu’il fallait en prendre notre partie et redescendre d’urgence au camp intermédiaire. Mais cela est impossible : le mauvais temps nous empêche de rebrousser chemin.

J’ai remarqué que Sven a plusieurs doigts gelés à la main droite. De retour dans la vallée, il faudra probablement l’amputer.

 

15 août

Fête de l’Assomption.

J’ai éprouvé, pour la première fois,  le besoin de contempler les photos de ma femme et de mes enfants. La chaleur que je ne connais plus au-dehors, je l’ai ressenti délicieusement dans mon cœur. Plénitude de ce feu éphémère.

 

16 août

Les hommes sont abattus, le moral est au plus bas. Personne ne se l’avoue mais nous atteignons le point de non-retour. Les vivres sont quasiment épuisées. Le temps est tout bonnement atroce, je n’ai jamais vécu un tel déchainement de la montagne. Il est totalement impossible de bouger. Le camp intermédiaire est désormais inaccessible et l’ascension jusqu’au sommet est absolument inenvisageable.

300 mètres, c’est trop idiot…

 

17 août

Le froid m’engourdit les doigts. Je suis exténué. Les hommes, prostrés sur place, ne répondent même plus à mes exhortations à tenir bon et à croire encore au dénouement victorieux de notre situation. Ils fixent de leurs yeux fous et hagards la mort blanche qui nous encercle et se rapprochent de plus en plus. Nous touchons à l’instant fatal où tout bascule irrémédiablement dans l’abandon de la volonté.

 

18 août

Froid. Blanc. Peur. Faim.

 

19 août

J’aurai tellement voulu les revoir une dernière fois, avant.

 

22 août

Le vide blanc et infini se tient devant moi.

(Dernière page du carnet d’expédition retrouvé l’année suivant la perdition de l’expédition sur le K2.)


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Pour aller plus loin :
Le K2 est un sommet du massif du Karakoram, situé à la frontière entre la Chine et le Pakistan.
Son altitude de 8 611 m en fait le deuxième plus haut sommet du monde après l'Everest.
Techniquement, son ascension est bien plus difficle que le "toit du monde" et la météo qui y règne est à l'origine de bien des tragédies.




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