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Les possédés de Dostoievski

Par Sylvie

RUSSIE-1872

Les Possédés
Editions Le Livre de poche

Ma troisième lecture de Dostoïevski après Crime et châtiment et Les frères Karamazov. Une lecture ardue, une mise en bouche très lente puis....peu à peu, on est happé par l'art romanesque si particulier de Dostoïevski, son génie à décrire l'homme, ses doutes et ses faiblesses.
Un roman phare, consacré aux soubresauts politiques de la Russie dans les années 1860-70, qui voit l'émergence des mouvements matérialistes et nihilistes. On sait que sans sa jeunesse, Dostoïevski a été partisan des socialistes et envoyé au bagne en Sibérie pour avoir participé à un cercle révolutionnaire en 1848. Après son retour de "la maison des morts", il devient conservateur, car pour lui une vie dans Dieu, nihiliste, est très dangereuse. Toute son oeuvre est basée sur le danger de la perte des valeurs, d'où la célèbre formule "Si Dieu n'existe pas, tout est permis".
Dans Les possédés, il met en scène une cellule révolutionnaire qui se crée sous la houlette d'un manipulateur despote, Piotr Stépanovitch Verkhovensky qui souhaite installer à la tête de la cellule le ténébreux Nicolaï Stavrogine, personnage mystérieux et charismatique que tout le monde admire. Derrière ces deux hommes, un groupe de personnages secondaires qui vivotent, manipulateurs et manipulés, sous la houlette de Verkhovensky.
Dostoïevski s'est inspiré d'un fait divers, l'assassinat d'un membre réfractaire d'un cellule révolutionnaire par son leader Netchaïev.
Les Possédés sont donc l'histoire de ce groupe, ces luttes et manipulations diverses et symbolisent la transformation tragique de l' idéal révolutionnaire en une infâme aventure despotique.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, l'auteur nous introduit dans les salons politiques et littéraires, pour qui révolution rime avec débats et théorie. Ces idéalistes des années 30/40 sont incarnés par les parents de Stavrogine et Verkhovensky, la comtesse Varvara Petrovna et Stépan Trofimovitch, qui introduisent une dose de bouffonnerie dans le roman. Stépan, le père de Piotr, littéraire occidentaliste, est un idéaliste vivant au crochet de la comtesse, secrètement amoureux d'elle.
La première partie, très longue, centrée sur les parents, n'est qu'un prologue pour annoncer l'arrivée des deux possédés, Stavroguine et Verkhovensky. On sent que quelque chose arrive, il y a des supputations de mariage, de "répudiations" et enfin, les deux héros arrivent.
Stavroguine, le mystérieux, le ténébreux, le fantomatique, qui à aucun moment, ne se laissera dévoilé. On le sait athée, on le devine tantôt plus chrétien ; il en va de même pour ses aventures amoureuses. Les rebondissement fracassants se succèdent,  qui se contredisent tout au long du récit. Par cette aura de mystère, Dostoïevski montre son génie du sens de l'intrigue. Par l'intermédiaire d'un narrateur naïf (nous ne connaîtrons jamais son identité), l'auteur construit quasiment un roman policier à énigmes où tout n'est que supputations ; Stavroguine est l'énigme à résoudre ; après un première partie très disparate, le lecteur recolle petit à petit les pièces du dossier avant l'apocalypse finale.
Verkhovensky, le despote, le manipulateur marionnettiste athée qui met une ville à feu et à sang en opposant systématiquement les membres entre eux et en révélant petit à petit son projet : ne croyant pas à l'idéal de liberté et d'égalité, il s'agit d'utiliser Stavroguine pour détruire toute fondation et installer un "grand homme" auquel se soumet le troupeau. Décidément, Dostoïevski est un visionnaire...
Les possédés ou la mort de la liberté....L'auteur se garde bien de prendre position. Ce qui l'intéresse, ce sont les confrontations d'idées, l'homme en lutte avec ses doutes. Pas de description, de contemplation. L'auteur n'intervient pas. Tout n'est quasiment rendu qu'avec des dialogues dans lesquels s'affrontent les personnages. Il ne s'agit pas d'asséner une vérité mais d'incarner une idée ( dans les personnages) ; Chatov, le double de l'auteur, le nihiliste repenti, Kirilov, le nihiliste pur, qui par sa mort volontaire, affirme qu'il est Dieu.
N'oublions pas les personnages secondaires : les femmes se perdant par amour, le gouverneur berné et tout ces révolutionnaires de petite trempe.
On ne s'étonne pas que ce roman fut adapté au théâtre : par sa tension dramatique, son art de dévoiler lentement le mystère des personnages, son sens du dialogue, de l'affrontement des idées, ce récit a une dimension théâtrale inouïe. A découvrir...


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