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Edito : L’histoire de la puissance de la France reste à écrire

Publié le 01 juin 2009 par Infoguerre

La thèse intitulée La France et la puissance, perspectives et stratégies de politique étrangère (1945-1995) que Frank Orban a présenté en français le 19 mai à la Faculté des Sciences Humaines, de l’Université d’Oslo, a le grand mérite d’analyser les prises de position diplomatiques de la France à travers une grille de lecture sur le concept de puissance. C’est un travail difficile et audacieux, compte tenu de l’état de la recherche en France sur ces questions. Dans l’analyse qu’il fait du concept de puissance, il souligne notamment la contradiction inhérente à la Révolution française : « l’idéologie révolutionnaire, qui rejette la simple raison d’état pour véhiculer les principes aussi fondamentaux que celui du droit à l’autodétermination des peuples, opère une rupture conceptuelle profonde avec la culture de la puissance traditionnelle, mais se retrouve confrontée à la difficulté de rendre compatible la volonté d’accroissement de puissance en pays conquis et le respect de l’idéal républicain qu’elle est censée exporter ». Frank Orban a raison d’insister sur le fait que cette contradiction sera un des blocages culturels endémiques qui a retardé et même parfois empêché l’émergence d’une école de pensée française, centrée sur l’étude de la problématique de puissance. Il ne faut donc pas s’étonner que les spécialistes français de la géographie se limitent à des synthèses régionales ou à une géographie des frontières. D’où le rejet par l’école des annales des atypiques comme La Blache qui fut accusé de pactiser avec les thèses allemandes parce que ses travaux s’orientaient vers une géographie plus politique qui s’écartait « de la géographicité du sol ».

La relecture de Raymond Aron, si elle éclaire bien le sens de la démonstration de l’auteur, aurait pu être plus critique dans la mesure où le recul que l’on peut prendre sur l’histoire contemporaine met en exergue plusieurs failles dans la matrice d’Aron sur la puissance. La première d’entre elles est l’absence de réflexion sur la différence à faire entre la rhétorique de la puissance et le réalisme de la puissance. Lors d’un séminaire de recherche organisé le 3 décembre dernier à l’Ecole de guerre économique de Paris, l’universitaire géographe et politologue français, Alexis Bautzman, a abordé la question de la politique française après 1945 en s’interrogeant sur la manière dont le général de Gaulle a pu développer une rhétorique de la puissance pour masquer une absence de puissance héritée d’une défaite militaire majeure (celle de juin 1940) dont les effets se font encore sentir aujourd’hui  et cela malgré les initiatives gaullistes de réaffirmation d’une politique d’indépendance nationale et de grandeur comme l’armement nucléaire de la France, le programme spatial ou la sortie partielle de l’OTAN. Une autre faille est liée à la notion de survie d’un peuple ou d’un territoire en fonction des réalités économiques, culturelles et géopolitiques. Je place les adjectifs dans cet ordre à la lumière des développements éventuels de la crise actuelle et de la relecture qui pourrait être faite de la crise de 1929. La thèse d’Orban souligne donc la nécessité d’une approche complémentaire des thèses aroniennes sur la puissance ainsi que de l’école réaliste qui focalisèrent trop leur attention sur le lien entre la puissance et le rôle de l’Etat et pas assez sur les conditions objectives qui incitent des pays à rentrer dans une logique de puissance. Les économies de subsistance sont moins sujettes à des projections extérieures vitales pour leur survie que les économies qui manquent de ressources et au sein desquelles se développent des stratégies de puissance fondées sur la recherche de l’espace vital.

Franck Orban rebondit en quelque sorte sur cette problématique en indiquant le possible renouveau de l’approche réaliste par la géoéconomie. L’approche émotionnelle de la puissance (cf. la citation de Bertrand Badie au début du  chapitre trois : « il reste que l’Europe a aujourd’hui de bonnes raisons de se méfier de la puissance et peut-être de ne point l’aimer ») a fait long feu sous le choc des réalités de ce monde. Franck Orban revient judicieusement sur l’idée de décadence et son impact historique et nous rappelle la constance de cette interrogation depuis la guerre de cent ans, qui est le révélateur d’une angoisse existentielle à l’égard de la perte des avantages d’une économie de subsistances et non d’une réaction sur la problématique d’accroissement de puissance des autres. C’est justement dans cet espace que se situe le déficit français à l’égard de l’Allemagne dont Franck Orban nous retrace à la fois le cheminement mais aussi l’écart de pensée stratégique entre les deux pays. En insistant sur le fait que la France n’a plus été capable d’assurer sa défense par ses propres moyens à partir de 1870, l’auteur nous donne une des clés du déficit dans notre gestion des rapports de force avec un pays qui est constamment en recherche de puissance depuis son unité retrouvée en 1870. Il aurait pu insister à ce propos sur la nécessaire distinction à faire entre les concepts d’indépendance nationale et d’accroissement de puissance. Le concept d’indépendance nationale qui est une des dominantes du discours du général de Gaulle a induit des choix qui ne permettaient pas de faire face à des dynamiques d’accroissement de puissance, en particulier dans le domaine géoéconomique. C’est le cas de l’informatique où la volonté d’équiper l’industrie française dans une optique d’indépendance nationale ne permit pas de faire face à la stratégie de conquête du marché mondial par les entreprises américaines de technologies de l’information dont la destinée est difficilement dissociable de la stratégie de puissance des Etats-Unis.

La thèse de Franck Orban est une première étape importante dans l’actualisation conceptuelle de la recherche sur la puissance. Cette thèse ouvre la voie à d’autres travaux sur les problématiques multiples qui découlent de ce concept mais aussi sur les thèmes encore mal explorés par les sciences politiques dans l’analyse des processus d’accroissement de puissance en politique étrangère.

Christian Harbulot


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